PUBLI-EDITO

CLERMONT-FERRAND MASSIF CENTRAL 2028

Destins croisés : culture naturelle et nature culturelle

Par Lorraine Lebrun · Le Journal des Arts

Le 9 décembre 2021 - 1172 mots

BRIVE-LA-GAILLARDE

La troisième « Conférence capitale » s’est intéressée à la place de la culture dans un environnement naturel confronté à de nombreux nouveaux enjeux.

Shinslab Architecture, Temp’L, Coque de cargo retournée, Séoul, 2016. © Shinslab Architecture / Yoon Jiwon
Shinslab Architecture, Temp’L, Coque de cargo retournée, Séoul, 2016.
© Shinslab Architecture / Yoon Jiwon

C'est un sujet qui sied bien à la Capitale européenne de la culture 2028. Le Massif central « est en effet une notion géographique, presque géologique, souligne dans son propos liminaire l’historien et académicien Pascal Ory. Cela correspond également aux nouvelles responsabilités des acteurs politiques, à travers l’émergence de la notion de "territoire", vis-à-vis de la nature. » Ainsi, quand la culture est envisagée comme un levier de développement territorial, dans le Massif central les questions environnementales ne sont jamais loin.

« La cristallisation de ce rapport nature-culture est récente, rappelle Pascal Ory. Elle a conduit à des changements de sensibilité, de regard, avec d’une part la relecture de l’histoire des cultures à la lumière du rapport à l’environnement physique ; d’autre part la nécessité d’un dialogue entre cultures scientifique et artistique, et enfin, la question de la responsabilité écologique des acteurs culturels. »

Pour partager leurs expériences et en débattre, étaient ainsi réunis le 16 novembre à Brives-la-Gaillarde (Corrèze) trois intervenants : Paul-Henry Dupuy, commissaire à l’aménagement, au développement et à la protection du Massif central à l’Agence nationale de la cohésion des territoires ; Dominique Gauzin-Müller, autrice d’ouvrages sur l’architecture écologique ; et Camille Pène, cofondatrice du collectif Les Augures qui accompagne les organisations culturelles dans leur transition écologique et sociale. 

La 3e Conférence capitale. De g. à dr., Paul-Henry Dupuy, Camille Pène et Jean-Christophe Castelain à Brive-la-Gaillarde. © Clermont-Ferrand Massif central 2028, le 16 novembre 2021.
La 3e Conférence capitale. De g. à dr., Paul-Henry Dupuy, Camille Pène et Jean-Christophe Castelain à Brive-la-Gaillarde, le 16 novembre 2021.
© Clermont-Ferrand Massif central 2028

Musée et urgence écologique

Parmi les équipements concernés au premier chef par la transition écologique, figure le musée, « qui entretient un rapport au patrimoine aussi culturel que naturel », souligne l’académicien. Mais pour Camille Pène, « les musées doivent encore s’emparer de cet enjeu ». « On sent déjà les conséquences du dérèglement climatique dans la culture : les "acqua alta" de plus en plus fréquentes à Venise, les musées fermés par le Covid (lui-même une répercussion du changement climatique), les épisodes caniculaires qui impactent la conservation des œuvres…, égrène-t-elle. Ce qui est en jeu, c’est que les musées en tant qu’activité soient moins émetteurs, mais aussi leur survie pure et simple face à la menace climatique – leur permettre de poursuivre leur mission dans le "monde d’après". »

Logo Clermont-Ferrand Massif central 2028
Courtesy Clermont-Ferrand Massif central 2028

Le constat est rude et l’objectif, clair : dans l’Union européenne, il faut réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Selon les chiffres du think tank Shift Project, les cinq postes d’émission principaux de la culture sont : le transport (des visiteurs, des artistes, des œuvres) ; l’alimentation (des festivaliers par exemple) ; le bâtiment (construction, climatisation, chauffage) ; le numérique (en 2018, le seul secteur de la vidéo en ligne a généré autant de CO2 que l’Espagne tout entière !) et les déchets. Ce sont autant de chantiers prioritaires vers lesquels se tourner.

Si certains musées ont déjà entamé leur transition, cette « radicalisation reste très marginale », observe Camille Pène. « La culture n’est pas vraiment perçue comme une industrie très polluante, à l’inverse de la mode. »

Pour accompagner les professionnels de la culture, des solutions concrètes existent, associant économie sociale et solidaire, artistes et publics. La sensibilisation des publics, l’écoconception des expositions, une production locale, la mutualisation des ressources (avec des ressourceries) et des infrastructures, sont autant de pistes à explorer. Mais les établissements culturels souhaitant s’engager dans cette démarche doivent le faire avec méthode. Maîtriser son impact environnemental, c’est d’abord connaître ses postes d’émission et de consommation (en énergie, en service, en transport, en déchets…), afin de mieux maîtriser son bilan carbone, d’optimiser ses ressources, ses déchets et son impact sur la biodiversité tout à la fois.

La transition doit donc s’enclencher de façon transversale et se jouer sur plusieurs plans : la gouvernance, la communication et la sensibilisation, l’évaluation et la méthode.

Manifeste pour une frugalité heureuse

L’architecture n’est pas en reste dans cette démarche. Si « tous les arts ont en principe à rendre compte d’un supposé rapport à la nature – au plein air, au rural, à l’animal, au végétal… –, il y en a un qui est organiquement lié au naturel : c’est l’architecture, estime Pascal Ory. Or aujourd’hui, mais en réalité depuis longtemps, le questionnement sur les matériaux, les formes, les usages dans l’opulence ou, au contraire, dans une forme de frugalité, de durabilité, est devenu prioritaire. » Un constat qui résonne avec les engagements de Dominique Gauzin-Müller. Lorsque celle-ci, en janvier 2018, prend l’initiative, aux côtés d’Alain Bornarel (ingénieur) et de Philippe Madec (architecte et urbaniste), de corédiger le « Manifeste pour une frugalité heureuse et créative dans l’architecture et l’aménagement des territoires », elle connaît les chiffres. En France, le secteur du bâtiment représente 46 % de la consommation énergétique et 40 % des émissions de CO2 (pour chauffer, climatiser, produire les matériaux de construction…). Militant pour une frugalité du bâti aussi bien en sol et en énergie qu’en matériaux, l’architecte-chercheuse constate qu’« une question émerge des réflexions sur l’indispensable changement de paradigme : faut-il encore construire ? ».

En effet, opter pour une réhabilitation, revitaliser l’existant, comme des friches militaires (à l’instar de Darwin Écosystème à Bordeaux) ou une ancienne chapelle abandonnée (convertie en centre culturel à Saint-Maurice-sous-les-Côtes, dans la Meuse), c’est éviter d’imperméabiliser de nouvelles surfaces de sol. Faire des éco-rénovations mais aussi valoriser les matériaux du territoire, c’est éviter l’hégémonie du béton : « Sa production consomme beaucoup et émet 8 % de gaz à effet de serre, tandis que les ressources en sable et gravier s’amenuisent. Le béton est précieux et ne doit être utilisé que lorsqu’il est indispensable. »

Sur les chemins de Compostelle

Signataire du « Manifeste pour une frugalité heureuse et créative », l’agence Encore Heureux a fait de l’emploi de matériaux locaux et durables le fer de lance de ses réalisations. Ses architectes se sont notamment illustrés par leur œuvre « Super-Cayrou », refuge installé dans le Parc naturel régional des Causses du Quercy. Une réalisation qui s’inscrit dans le cadre du projet « Fenêtres sur le paysage ». « L’un des enjeux majeurs des politiques du massif, explique Paul-Henri Dupuy, c’est de faire rayonner le Massif central par sa dimension culturelle. » « Fenêtres sur le paysage » en est l’une des manifestations concrètes et pérennes. L’objectif ? Ponctuer les chemins de Compostelle (GR65) d’« œuvres-refuges », à la fois œuvres d’art et refuges pour les randonneurs et pèlerins de passage. Ces installations, pensées dans une « approche localiste, de frugalité » sont aussi envisagées avec les habitants, dans une compréhension de leurs attentes. Dans le cas de « Super-Cayrou », refuge en pierre sèche pour lequel les locaux ont été associés dans le choix du site d’implantation. Ceci afin « que les élus et les habitants deviennent les premiers médiateurs de l’œuvre, qu’ils aient la fierté de faire découvrir cette œuvre d’art-refuge installée sur le bord du chemin de Compostelle ». C’est ainsi offrir la surprise d’une expérience artistique « là où on ne l’attend pas ». Le résultat final s’insère dans le paysage, mais invite surtout à la contemplation de ce dernier comme un tableau, ou « fenêtre ouverte » selon Alberti.

Prochaine conférence le 13 décembre 2021

Sur le thème du « numérique et des territoires », elle se déroulera au cinéma Arcadia à Riom (Puy-de-Dôme).


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Publi-information réalisée en partenariat avec l’association Clermont-Ferrand Massif Central 2028 et la Ville de Clermont-Ferrand

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