Résidences d’artistes

Académie de France : des séjours plus encadrés

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 7 avril 2015 - 1294 mots

Les réformes, d’ampleur inégale, réalisées par les Villas Médicis, Kujoyama et Velázquez, cherchent à mieux accompagner les pensionnaires pendant leur séjour dans ces résidences qui ne manquent pas de candidats.

Quand le 25 mai 2012 le conseil artistique de la Casa de Velázquez décide de ne pas renouveler pour une deuxième année consécutive les demandes de huit artistes de la promotion 2011-2012, il est loin d’imaginer que son refus provoquerait de la part des pensionnaires une lettre courroucée à Geneviève Fioraso, alors ministre de l’Enseignement et de la Recherche, ni qu’il engendrerait un recours devant le tribunal administratif de Paris (qui déboutera les plaignants). « De 1979 à 2011, seuls onze membres [ainsi sont dénommés les pensionnaires, NDLR] sur 205 n’ont pas été renouvelés », précisait le courrier des plasticiens, photographes, cinéastes, musiciens… et chercheurs. Créateurs et chercheurs mettaient aussi à l’index les dysfonctionnements de l’illustre maison où ils se retrouvent chaque année à Madrid en nombre égal. Les signataires critiquaient en particulier l’absence des huit membres sur seize de la commission d’admission lors de l’inauguration de l’exposition annuelle des pensionnaires et le peu d’intérêt porté à leurs travaux : quatre artistes seulement sur treize avaient été visités dans leur atelier durant leur séjour.

Madrid, tournée vers le Maghreb
La décision de Jean-Pierre Étienvre, directeur de la Casa (2006-2013), de réduire à un an la résidence compte tenu du nombre grandissant des candidatures apparaît depuis comme l’un des premiers actes majeurs de sa mutation lente et discrète. L’autre grande évolution est à rechercher dans l’élargissement des partenariats passés avec des écoles supérieures ou des fondations espagnoles ou ibériques voire brésiliennes. Ce sont ainsi dix nouvelles résidences qui se sont créées, portant à quarante leur nombre total (dont 13 pour la seule Académie de France à Madrid), tandis que l’arrivée en janvier 2014 de Michel Bertrand à la direction marque le souhait d’élargir les partenariats au Maghreb et plus largement à l’Amérique latine.

Côté résidents, on continue d’envisager le séjour madrilène comme le moyen de se concentrer et d’investir de l’argent dans son travail grâce au salaire et à l’indemnité d’expatriation allouée (soit 3 400 euros mensuels selon les conditions familiales). Mais au ministère, les interlocuteurs demeurent mutiques quand on les questionne sur la fonction d’une résidence à l’Académie de France à Madrid pour les artistes. La grande remise à plat de sa vocation et de son fonctionnement n’est pas à l’ordre du jour, contrairement à ce qui s’est engagé à Rome ou Kyoto.

Décision était pourtant prise il y a quelques année de fermer la Villa Kujoyama, au Japon, en raison des coûts qu’induisait sa rénovation devenue obligatoire. Mais la catastrophe de Fukushima, survenue le 11 mars 2011, suivie du soutien financier de Pierre Bergé, pour la rénovation de son édifice, couplé à celui de la Fondation Bettencourt Schueller (mécène des résidences et des salaires des membres de la direction), a changé la donne et permis de repenser sa refonte complète. En Italie, Éric de Chassey, à la direction de la Villa Médicis, a mis en place la réforme de l’Académie de France à Rome tant appelée de ses vœux par le Conseil d’État, d’une ampleur équivalente à celle menée en 1971.

Rome, un « lieu de recherche fondamentale »
La session 2014-2015 de la Villa Médicis, qui s’achèvera en juin, est la première à avoir bénéficié des recommandations émises par la commission de réflexion conduite par Éric de Chassey, et retenues par la ministre précédente. Aux quatorze pensionnaires recrutés pour une durée de douze à dix-huit mois se sont adjoints pour la première fois des lauréats accueillis pour des séjours courts et issus des établissements d’enseignement supérieur dépendant du ministère de la Culture. Sur le plan de la logistique, une personne est désormais missionnée au sein de l’Académie de France à Rome pour le suivi des pensionnaires, « en plus de l’encadrement assuré par le directeur lui-même », précise Éric de Chassey. Des cours d’italien à la Villa durant le premier mois de la résidence sont assurés tandis qu’une série de réunions sont organisées lors de l’installation des résidents. À la présentation des différentes institutions culturelles et artistiques de la ville succède la rencontre avec leurs programmateurs, de même qu’avec les boursiers des autres Académies à Rome.

La désignation d’une personnalité de stature internationale pour accompagner chaque promotion (Giorgio Agamben en 2014-2015) s’inscrit également dans l’accompagnement des pensionnaires à Rome. En accord avec le philosophe italien, les créateurs ont opté pour un séminaire d’une semaine, et des rencontres individuelles ont été programmées. Une autre personnalité sera choisie lors de la prochaine session. Toutes ces mesures contribuent à renforcer la raison d’être de la Villa : « un lieu de recherche fondamentale, pas de recherche appliquée, rappelle Éric de Chassey. On ne fait pas de résidences en fonction du résultat que cela va donner ».

Du côté de la visibilité donnée aux pensionnaires, une nouvelle dynamique se déploie entre la programmation soutenue de la Villa, l’exposition collective des pensionnaires (dit le « Teatro delle Espozioni », le « Théâtre des expositions », dont la sixième édition vient de s’achever) et la participation de ces derniers à des manifestations liées à des institutions culturelles ou artistiques romaines telles que le Musée national des arts du XXIe siècle, ou « Maxxi ». Les mécénats d’Emerige (qui prend financièrement en charge le résident en arts plastiques) et de la Fondation Jean-Luc Lagardère aux côtés du fidèle Amundi (soutien à la programmation et l’édition) permettent quant à eux de mener à bien la réforme dans une période de gel budgétaire. Le partenariat signé récemment avec le Palais de Tokyo donnera lieu quant à lui à un événement qui se fera l’écho de l’activité de la Villa.

Le « bon timing » dans la carrière de l’artiste
Aux détracteurs ou aux sceptiques d’une Académie considérée davantage comme une « ambassade de France-bis » que comme un espace pertinent pour des créateurs, Jean-Michel Othoniel, ancien pensionnaire (promotion 1995-1996) répond qu’elle « est un cadre exceptionnel pour faire le point sur sa création, réfléchir, et se confronter à l’histoire de l’art ». La carte de visite qu’elle représente pour la suite du parcours, son rôle dans une carrière artistique se retrouvent d’autre part dans maints itinéraires d’artiste.

L’inflation du nombre de candidatures (600 cette année pour 14 places à Rome) donne la mesure de son aura, à la Villa Médicis comme à la Villa Kujoyama, et entraîne une sélection accrue de ses futurs pensionnaires. Les critères dans les deux cas se sont faits à cet égard plus exigeants et plus soucieux de transparence. « Le lien avec le Japon est un point important dans notre examen des dossiers », explique Sumiko Oé-Gottini (1), chargée du développement et des partenariats ainsi que de l’accompagnement des pensionnaires avant, pendant et après leur séjour à Kyoto selon la nouvelle organisation de la Villa. « Il s’agit de vérifier si c’est le bon “timing” dans la carrière de l’artiste et si son projet correspond à cette résidence de recherche de deux à six mois », énonce-t-elle de concert avec Christian Merlhiot.

Le nouveau directeur de la Villa (1), depuis 2014, est tout autant investi dans l’accompagnement des pensionnaires sur place que dans l’établissement de liens avec les institutions ou créateurs japonais. Là encore, des partis pris s’affirment. L’ouverture de la Villa aux métiers d’art sous l’impulsion de la Fondation Bettencourt Schueller a donné lieu à une première résidence, celle de la doreuse Manuela Paul-Cavallier. Une initiative qui tend ainsi à bousculer, casser la dichotomie entre art et arts appliqués, inexistante au Japon mais fortement prégnante en France.

Erratum

(1) Dans l’article "Des séjours plus encadrés " (JdA 433) nous avons omis de préciser que Sumiko Oé-Gottini est co-directrice de la Villa Kujoyama avec Christian Merlhiot.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°433 du 10 avril 2015, avec le titre suivant : Académie de France : des séjours plus encadrés

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