Garantie : retour de la responsabilité solidaire ?

Experts et commissaires-priseurs : la jurisprudence évolue

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 19 décembre 1997 - 614 mots

Un arrêt de la Cour d’appel de Paris, rendu dans une affaire concernant la vente aux enchères d’un faux Dali, semble confirmer la tendance des juges à rétablir la responsabilité solidaire des experts et des commissaires-priseurs, tout en invitant ces derniers à la prudence dans leur communication.

PARIS - Les juges sont-ils en train de reconstituer ce que le décret de 1985 sur le tarif des commissaires-priseurs avait supprimé : la responsabilité solidaire des commissaires-priseurs et des experts ? Jusqu’en 1985, les uns et les autres étaient solidairement responsables des mentions portées au catalogue. Après 1985, cette disposition ayant été supprimée, les commissaires-priseurs renvoyaient les acquéreurs vers l’expert, et de nombreuses décisions  judiciaires leur ont donné raison. Ainsi, l’officier ministériel était dégagé de la “garantie” d’authenticité dès lors qu’il s’était fait assister d’un expert. Depuis peu, la tendance semble s’inverser dans un sens que caractérise bien cette affaire.

Le seul examen du cliché
En substance, un tableau adjugé comme un authentique Dali s’était révélé être un faux. Le vendeur – un professionnel – avait présenté au commissaire-priseur une photographie du tableau, au dos de laquelle un expert réputé avait mentionné “selon mon opinion, l’œuvre reproduite sur cette photographie est de Salvador Dali. Elle est répertoriée dans mes archives sous le n°...”. En fait, cet expert n’avait pas eu le tableau en mains mais s’était prononcé sur le seul examen du cliché. Cette imprudence sanctionnée par les juges de première instance n’a pas été retenue par la Cour d’appel, qui a estimé avec beaucoup d’indulgence que “la mention apposée au bas de la photographie ne comporte aucun élément précis permettant de l’assimiler à un certificat d’authenticité”, mais elle semble s’être fondée aussi sur la disparition de la photographie originale qui rendait très difficile l’évaluation du degré de négligence de l’expert et, enfin, sur l’impossibilité de démontrer que l’expert connaissait la destination du document.

Au regard de cette indulgence vis-à-vis d’un expert agissant hors d’une vente aux enchères, l’arrêt est au contraire sévère avec l’expert de la vente et le commissaire-priseur. Au premier, il reproche de s’être borné à reprendre sans investigation complémentaire les affirmations de son confrère ; au second, d’avoir fait état dans le catalogue de la remise d’un certificat d’authenticité, requalifiant ainsi la photographie annotée par le premier expert en certitude, et d’avoir “embelli” l’ensemble en reproduisant dans le catalogue une photographie de l’original parue dans Vogue – alors qu’une comparaison de cette photo avec le tableau permettait semble-t-il de susciter le doute sur l’œuvre mise en vente –, et en affirmant que le tableau venait d’une collection suisse alors qu’il avait été acquis dans une autre vente publique.

De tout cela, la Cour déduisait la responsabilité du commissaire-priseur et de son expert et prononçait leur condamnation solidaire. Comme entre-temps la société du vendeur avait fait faillite, la condamnation imposait aux deux fautifs de garantir le remboursement à l’acheteur.

Rétablir la règle antérieure dans le nouveau projet de loi
On ne peut cependant déduire de cette décision, motivée par des négligences et des excès cumulés, que s’établirait une jurisprudence. La loi française est claire, la solidarité ne se présume pas, ce qui oblige les juges à motiver leurs décisions dans ce sens. Alors, plutôt que d’imposer aux magistrats des investigations délicates et aux acheteurs des procédures coûteuses et interminables allongées par l’intervention des compagnies d’assurances, ne serait-il pas opportun de rétablir la règle antérieure ? Le projet de loi réformant les ventes volontaires en serait l’occasion. Mais dans sa version initiale, cette mesure de bon sens, qui accroîtrait la sécurité des transactions et pousserait à une meilleure coopération les commissaires-priseurs et les experts, semble avoir été oubliée. Il est encore temps de réparer cette omission.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°50 du 19 décembre 1997, avec le titre suivant : Garantie : retour de la responsabilité solidaire ?

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