Volée après le suicide de l’empereur, « l'icône » d’Ethiopie est enfin retrouvée au Portugal

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 27 mars 1998 - 3205 mots

En 1868, après avoir été défait par les Anglais, l’empereur d’Éthiopie se donne la mort. Quelques instants plus tard, un envoyé du British Museum, Sir Richard Holmes, pénètre dans ses appartements et dérobe un tableau représentant le Christ. Vénéré depuis des siècles par les Éthiopiens et connu sous le nom de Kwer’ata Re’esu, il avait été peint vers 1520 par un artiste flamand ou portugais. Depuis, à l’exception de deux apparitions furtives chez Christie’s, il avait disparu. Martin Bailey, collaborateur de notre partenaire éditorial The Art Newspaper, l’a retrouvé au Portugal et retrace ici son histoire.

LONDRES (de notre correspondant) - Le Kwer’ata Re’esu est aujourd’hui la propriété d’un collectionneur portugais qui souhaite garder l’anonymat. Le tableau, en sûreté dans une banque, est toujours dans le coffret en bois d’origine dans lequel il a fait le voyage depuis Londres en 1950. À l’examen, nous avons pu découvrir certaines facettes encore ignorées de son incroyable histoire.  Le Kwer’ata Re’esu est une image puissante, propre à impressionner l’Empereur et ses sujets. Il représente le Christ ceint de la couronne d’épines, le sang s’écoulant de son front meurtri jusque sur le torse. Ses paumes sont levées vers le ciel et son regard baissé. Le Christ est représenté à la fin de son procès, juste avant d’être mis en croix.

Au regard du style, la datation aux alentours de 1520 proposée par les premiers historiens de l’art qui l’ont étudié paraît exacte. Une analyse approfondie du tableau a également révélé l’existence d’une peinture sous-jacente : à l’origine, la tête du Christ était légèrement plus étroite, ce qui transparaît nettement dans la zone des cheveux. Le panneau, probablement en bois de chêne, mesure 33 x 25 cm.

Sur le fond sombre, dans les deux angles supérieurs, on a pu découvrir une inscription, presque effacée et écrite en ge’ez, langue ancienne de l’Église éthiopienne, signifiant “Ils ont frappé la tête de notre Seigneur.” D’un point de vue paléographique, elle daterait du début du XVIIe siècle et pourrait même être antérieure. D’après Stanislaw Chojnacki, auteur de l’étude la plus récente consacrée au Kwer’ata Re’esu, on ignore toujours si elle a été apposée par l’artiste ou rajoutée plus tard. L’inscription est aujourd’hui beaucoup plus effacée qu’il y a près d’un siècle, lorsque la photographie en noir en blanc a été prise. Il paraît donc évident qu’elle a été apposée par un pinceau différent.

Une histoire mouvementée
Malgré de nombreuses vicissitudes, le Kwer’ata Re’esu est remarquablement préservé : il a certainement fait le voyage entre le Portugal et l’Éthiopie au début du XVIe siècle, a été transporté maintes fois sur des champs de bataille, volé par les Musulmans au Soudan au XVIIIe siècle, a vu la bataille de Magdala, pour finalement être ramené à Londres par Sir Richard Holmes. C’est à peine si quelques retouches de peinture ont été nécessaires et, au regard de la photo ancienne, son état ne semble pas s’être détérioré au cours des cent dernières années. Une craquelure est apparue en diagonale vers le bas, à partir de la commissure gauche des lèvres. La surface est encrassée, les couleurs ont foncé. La tunique du Christ était sûrement pourpre à l’origine, comme il est écrit dans l’Évangile. En 1905, elle a pourtant été décrite comme “bleu foncé”, et tire aujourd’hui sur le bleu-vert, couleur proche de celle du fond.

Notre analyse a en outre révélé que le cadre d’origine avait été préservé. Il s’agit d’un travail flamand du début du XVIe siècle, avec une base inclinée, à la dorure complètement usée. Le cadre d’origine est aujourd’hui protégé par un second cadre, qui aurait été posé au XIXe siècle afin de mettre en valeur le tableau.

Le revers du panneau, particulièrement intéressant, est recouvert d’un tissu de soie rouge avec des motifs stylisés de feuilles. Après avoir étudié nos photographies, Linda Wolley, du Victoria & Albert Museum, a déclaré qu’il pourrait s’agir de soie italienne de la fin du XVIe siècle ou du début du XVIIe siècle. L’Italie a en effet entretenu des échanges commerciaux avec l’Éthiopie jusqu’à l’expulsion des Jésuites, en 1634. La soie a donc pu être acheminée directement depuis l’Italie ou passer par le Portugal. Assez curieusement, le tissu de soie est rabattu sur des angles et couvre partiellement le dessus du cadre, suggérant que le tableau aurait pu être à un moment recouvert d’un rideau de la même matière.

Une inscription explicite
Le revers du Kwer’ata Re’esu réservait une autre surprise, une inscription à l’encre de la main de Sir Richard Holmes sur le tissu de soie : “R.R. Holmes/FSA (Fellow of the Society of Antiquaries)/ Magdala/13 April 1868/taken from the palace of Theodorus” – R.R. Holmes/FSA (membre du Cercle des antiquaires)/Magdala/ 13 avril 1868/saisi dans le palais de Théodoros. Ce texte inédit confirme que Holmes s’est emparé du tableau immédiatement après le suicide de l’Empereur et qu’il se l’est approprié avant la vente officielle du “butin”. Nous avons pu avoir accès à certaines archives qui nous ont permis d’établir avec certitude que Holmes avait fait le nécessaire pour ne pas ébruiter son retour à Londres.

La trace du Kwer’ata Re’esu ayant été retrouvée, les Éthiopiens pourraient redoubler d’efforts pour le récupérer. Aucun tableau au monde n’a été aussi intrinsèquement lié à l’histoire d’une nation, à part peut-être certaines des icônes les plus vénérées de Russie et d’Europe orientale, telle La Madone noire de Czestochowa, en Pologne. Mais elles avaient une signification religieuse plus étroite. Il y a près de cinq ans, The Art Newspaper (n° 32, nov. 1993) avait publié un article de Stephen Bell, spécialiste de l’histoire éthiopienne, consacré au Kwer’ata Re’esu et intitulé “Où se trouve le tableau aujourd’hui ?” Stephen Bell, qui se consacre en ce moment à l’écriture d’un livre sur Magdala, se dit enchanté que le tableau ait été retrouvé : “Le Kwer’ata Re’esu devrait être rendu à l’Éthiopie, car il a joué un rôle majeur, à travers les siècles, dans l’histoire de ce pays. Historiquement, il est aussi important que les Joyaux de la Couronne en Grande-Bretagne, mais il a aussi une dimension religieuse.”

Attributions variables
Maintenant que le Kwer’ata Re’esu a été retrouvé, le mystère de son origine devrait pouvoir être élucidé : a-t-il été peint dans les Flandres, au Portugal ou encore par un artiste portugais de passage en Éthiopie ? Pour l’instant, les historiens de l’art des Pays du Nord tendent à penser que l’artiste était flamand, alors que leurs homologues ibériques sont convaincus qu’il était portugais. Mais, dans tous les cas, la plupart des attributions découlent de l’étude de la photographie du début du siècle. Parmi les artistes proposés, citons Memling, Matsys, Bouts, Isenbrandt, Afonso, Bermejo, ou leurs disciples.

Une autre théorie, plutôt surprenante, avance que le tableau serait l’œuvre de Lázaro di Andrade, artiste portugais arrivé en Éthiopie en 1520, où il a séjourné plusieurs années. Les Portugais auraient aussi pu offrir le Kwer’ata Re’esu à l’Éthiopie dès 1520, lorsqu’une mission diplomatique, dont faisait partie Lázaro di Andrade, a débarqué dans le pays. Afin de convertir la population au catholicisme, les Portugais ont parcouru tout le pays, jusqu’à l’expulsion des Jésuites. Le tableau n’a donc pu arriver en Éthiopie que durant cette période d’à peine plus d’un siècle. Pourtant, tout porte à croire que l’œuvre est parvenue en Éthiopie au début du XVIe siècle. Il est bien évident que les Portugais auraient donné plus volontiers une œuvre récente qu’un tableau ancien. Par ailleurs, le fait que le Kwer’ata Re’esu soit devenu une icône sacrée au XVIIe siècle suggère une présence déjà ancienne du tableau dans le pays. À cette époque, les Jésuites avaient déjà été expulsés, et il est peu probable qu’une image catholique relativement récente ait été vénérée de la sorte.

Sur les champs de bataille
Richard Pankhrust, expert en histoire éthiopienne, a retracé l’histoire du Kwer’ata Re’esu en Éthiopie. Le tableau est mentionné pour la première fois dans les archives en 1672, à Gondar, capitale de l’empereur Yohannes I, et, à cette date, est déjà considéré comme une icône sacrée. La chronique de son règne révèle que le Kwer’ata Re’esu a été emporté sur les champs de bataille dans le sud du pays. Plus tard, les forces impériales l’ont transporté d’une guerre à l’autre, comme un palladium. Lors d’une rébellion, en 1705, les citoyens de Gondar ont prêté serment sur le tableau.

En 1744, lors d’une bataille au Soudan, les Musulmans s’emparent du Kwer’ata Re’esu, qu’ils rendront ensuite contre une rançon. James Bruce, qui a visité l’Éthiopie entre 1768 et 1773, raconte dans ses carnets de voyage que le “quarat rasou” et d’autres saintes reliques n’avaient été que “peu profanés par les mains entachées de sangs des Maures” et que “tous les habitants de Gondar étaient ivres de joie” de les avoir récupérés. James Bruce parle du tableau comme d’une “relique des plus précieuses, qui viendrait directement de Jérusalem”. C’est “une image de la tête du Christ ceint de la couronne d’épines qui aurait été exécutée par saint Luc, et, pour les occasions de la plus haute importance, elle était transportée par l’armée, en particulier lors de la guerre contre les Maho­métans et les Païens”.

Témoins de son importance, de nombreuses copies du Kwer’ata Re’esu apparaissent dans les manuscrits éthiopiens dès le début du XVIIe siècle, ainsi que sur plusieurs retables. Dans la plupart des copies anciennes, l’image est cerclée d’une bordure rouge, laissant penser que le Kwer’ata Re’esu était déjà enveloppé dans le tissu de soie italienne. Le tableau était de plus en plus vénéré, et, en 1700, une tente avait été installée dans le camp de l’Empereur, spécialement conçue afin de protéger le tableau. Le camp fut dévasté par le feu peu après, mais la légende raconte qu’il s’est éteint en atteignant la tente. En 1855, l’empereur Théodoros II, qui vient d’être couronné, emporte le Kwer’ata Re’esu dans sa première expédition militaire.

Le pillage de Magdala
Se sentant menacé par les Turcs, Théodoros souhaite obtenir le soutien de l’Empire britannique. Il écrit à la reine Victoria, en 1862, pour lui proposer un échange d’ambassades. La Reine ne donne pas de réponse ; en représailles, l’Empereur retient prisonniers le consul britannique et d’autres Européens. Les longues négociations pour la libération des otages n’aboutissant pas, au début de l’année 1868, la Grande-Bretagne envoie un corps expéditionnaire sous le commandement de Lord Napier. À Magdala, les troupes de l’Empereur s’inclinent face à l’armement européen.

Le 13 avril 1868, alors que les soldats britanniques envahissent Magdala, l’empereur Théodoros se tire une balle dans la bouche. Quelques minutes plus tard, son corps est découvert par les Anglais. Le pistolet trouvé à côté du corps, offert par la reine Victoria en 1854, portait l’inscription “en témoignage de sa gratitude”. Sir Richard Holmes, archéologue dépêché par le British Museum (BM), accompagnait l’expédition britannique. Ayant succédé à son père en 1854 au poste d’assistant conservateur des Manuscrits, il était chargé de rassembler manuscrits et antiquités pour le musée. Plusieurs lettres adressées au British Museum attestent de son engagement. Trois jours après la chute de Magdala, il écrivait qu’il était “sous le feu de l’ennemi” alors qu’il passait les portes de la ville avec Lord Napier. “Je savais que je devais y aller, parce que beaucoup de choses auraient pu disparaître”, déclarait-il.

Sir Richard Holmes est l’un des premiers à pénétrer dans les appartements de l’Empereur, arrivant dans la chambre au moment même où les troupes identifient le corps. Il expliquera plus tard dans une lettre au BM : “Je me suis attardé auprès du corps pendant quelques minutes pour dessiner rapidement la silhouette de notre ennemi défunt.” Ce dessin est toujours conservé au département des Dessins et Estampes et porte une inscription similaire à celle retrouvée au dos du panneau.
Holmes s’est certainement emparé du Kwer’ata Re’esu – qui était accroché au-dessus du lit de l’Empereur – dès son arrivée dans la chambre. Afin de ne pas attirer l’attention des autres pillards, il l’a probablement caché dans un sac ou sous son manteau avant de se mettre à dessiner.

L’inscription récemment découverte au dos du tableau ne laisse nulle place au doute quant à la manière dont il se l’est approprié. La prise de Magdala a eu lieu le 13 avril, mais ce n’est que les 20 et 21 avril que le butin de l’expédition a été vendu. À cette occasion, Holmes a acheté de nombreuses antiquités pour le BM. Le journaliste américain Henry Stanley, qui accompagnait lui aussi l’expédition, a raconté que, lors de la vente, “Mr Holmes, en digne représentant du British Museum, était dans toute sa gloire. Et comme il disposait de fonds considérables, il a pu surenchérir sur la plupart des lots présentés”. Ce jour-là, Sir Richard Holmes dépense un total de 113 livres. Il repart ensuite pour Londres, ses malles pleines : près de quatre cents manuscrits, le calice et la couronne en or de l’Empereur, bon nombre d’antiquités diverses, et bien sûr, le Kwer’ata Re’esu. Le British Mu­seum le gratifie alors d’une prime de 200 livres, “en gage de reconnaissance pour l’esprit patriotique dont il a fait preuve, et pour les services rendus aux Trustees en dirigeant l’expédition archéologique en Abyssinie”. Malgré une étude approfondie des archives du BM, nous n’avons trouvé aucune référence au Kwer’ata Re’esu, alors que les autres acquisitions d’Holmes sont largement commentées.

À la recherche du Kwer’ata Re’esu
Yohannes IV succède à Théodoros et signe un traité de paix avec la Grande-Bretagne. Le 10 août 1872, six mois après son couronnement, il écrit à la reine Victoria et au comte Granville, ministre des Affaires étrangères, pour les informer de la disparition de deux objets d’une valeur inestimable : le Kwer’ata Re’esu et un livre ancien d’histoire éthiopienne intitulé La gloire des Rois. Dans un anglais quelque peu emprunté, Yohan­nes IV déclare au ministre : “Il y a une autre chose que je voudrais vous expliquer, c’est qu’il y avait un tableau appelé le Qurata Rezoo, qui est un tableau de Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, trouvé à Magdala avec de nombreux livres par les Anglais. Ce tableau, le roi Théodoros l’a emporté de Gondar à Magdala, et il est maintenant en Angleterre ; tout le tour du tableau est en or et son centre est coloré.” Yohannes IV réclame également le livre des Lois, et conclut : “Je vous prie de découvrir qui a ce livre et de me l’envoyer, parce que, dans mon pays, mon peuple n’obéira pas à mes ordres sans lui.”

Le 29 novembre 1872, le ministère des Affaires étrangères contacte le British Museum afin de savoir s’il serait possible de retrouver le livre et le tableau. Dans sa lettre, le ministère indique qu’une enquête préliminaire a déjà été menée pour retrouver le tableau et que “Lord Granville a été informé qu’il n’y en avait aucune trace au British Museum”. Le livre d’histoire, rapporté par Holmes, est retrouvé au musée et renvoyé en Éthiopie. Les archives du BM indiquent que toutes les recherches effectuées pour retrouver le Kwer’ata Re’esu ont été vaines. À ce moment, Sir Richard Holmes a quitté son poste depuis deux ans pour devenir bibliothécaire royal à Windsor, et il semble inconcevable qu’on ne l’ait pas contacté au sujet du panneau disparu. Il aura certainement nié en avoir eu connaissance. Le 18 décembre 1872, la Reine envoie une lettre à Yohannes IV, dans laquelle elle répond : “Nous n’avons trouvé aucune trace du tableau et ne pensons pas qu’il ait pu être ramené en Angleterre.”

Le Kwer’ata Re’esu est resté méconnu des historiens de l’art jusqu’en 1905, soit un an avant que Holmes ne prenne sa retraite. Le Burlington Magazine de mai 1905 publie un petit article anonyme sur “un tableau flamand d’Abyssinie”, certainement écrit par Sir Richard, membre du conseil consultatif du journal, ou par son neveu Charles John, directeur de la rédaction.

Deux passages en vente publique
Sir Richard Holmes est fait chevalier en 1905 ; il meurt en 1911. Six ans plus tard, le Kwer’ata Re’esu refait brièvement surface chez Christie’s. Le vendeur n’est autre que sa veuve, Lady Evelyn, et c’est son frère Charles qui se charge d’organiser la vente. Le 14 dé­cembre 1917, le tableau – attribué à “l’École de Bruges” – est adjugé 420 livres à Martin Reid, de Wimbledon. Durant toute la période de l’entre-deux-guerres, il en gardera l’existence secrète. Après sa mort, son héritier J.W. Reid le vend anonymement chez Christie’s le 17 février 1950, simplement intitulé A man of sorrows par Adriaen Isen­brandt. Aucune mention n’est faite de son importance historique, et sa provenance est indiquée en petits caractères : “Roi Théodoros d’Abyssinie 1868/Sir Richard Holmes KCVO”. Visiblement, aucune démarche n’a été entreprise pour alerter le gouvernement d’Hailé Sélassié et, par sa discrétion, sans doute Christie’s a-t-elle tenté d’éviter toute réclamation de la part de l’Éthiopie.

Toutefois, un membre éminent de la Royal Library découvre son importance et décide d’agir. Ayuda Scott-Elliott, conservatrice des Dessins et Estampes, alerte Ato Abbebe Retta, ambassadeur d’Éthiopie à Londres. Mais, à Addis-Abeba, les autorités ne réagissent pas assez vite, et lorsque Londres est informé de la décision d’acheter le Kwer’ata Re’esu, la vente a déjà eu lieu depuis trois semaines. Ayuda Scott-Elliott a certainement compris que l’ambassade éthiopienne peinerait à obtenir l’autorisation d’achat à temps ; elle tente alors d’acheter le tableau par l’intermédiaire de Colnaghi’s, mais la somme dont elle dispose (moins de 100 livres) ne sera pas suffisante. Des années plus tard, elle déplorera que le tableau ait été vendu à quelqu’un d’autre. Le mois dernier, nous nous sommes entretenus avec Ayuda Scott-Elliott, aujourd’hui âgée de 88 ans, qui garde un souvenir très précis de la vente : “Le Kwer’ata Re’esu était un objet unique, et les Éthiopiens auraient dû tout faire pour le récupérer. Mais leur bureaucratie était trop lente”, nous a-t-elle déclaré. Lors de la vente de 1950, l’offre la plus élevée se chiffre à 131 livres, mais le tableau reste invendu. Peu de temps après, il sera vendu à huis clos, pour 300 livres environ,  à un marchand londonien œuvrant pour le compte d’un acheteur portugais. L’acheteur anonyme est l’historien de l’art Luis Reis Santos, auteur d’un article sur le Kwer’ata Re’esu paru dans l’édition de juillet 1941 du Burlington, dans lequel il affirmait que le tableau n’avait pas été exécuté par un peintre flamand mais par un artiste portugais.

Depuis sa seconde apparition furtive chez Christie’s, les autorités britanniques n’ont pas ménagé leurs efforts, dans le plus grand secret, pour le rendre à l’Éthiopie en témoignage de leur bonne volonté. En 1961, Sir Denis Wright, alors ambassadeur de Grande-Bretagne à Addis-Abeba, fait le nécessaire pour acquérir le Kwer’ata Re’esu, mais ses dé­mar­ches n’aboutissent pas. Luis Reis Santos, ami intime du Premier ministre Salazar, propose en 1965 au gouvernement portugais de racheter le panneau afin de l’offrir à Hailé Sélassié, qui doit venir à Lisbonne en visite officielle. Le gouvernement décline l’offre, probablement en raison du prix demandé. Luis Reis Santos est décédé en 1967, et le propriétaire actuel du tableau souhaite garder l’anonymat. Il y a deux ans, l’ambassadeur britannique à Addis-Abeba a relancé l’idée de le rendre à l’Éthiopie, à l’occasion du centenaire de la création de l’ambassade. Même si son caractère royal a disparu avec la chute de l’empereur Hailé Sélassié, en 1974, le Kwer’ata Re’esu reste un emblème national révéré.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°57 du 27 mars 1998, avec le titre suivant : Volée après le suicide de l’empereur, « l'icône » d’Ethiopie est enfin retrouvée au Portugal

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque