Histoire de l'art

Van Gogh était probablement bipolaire

Par Lorraine Lebrun · lejournaldesarts.fr

Le 4 novembre 2020 - 729 mots

GRONINGEN / PAYS-BAS

130 ans après sa mort, une étude inédite tente d’apporter un nouvel éclairage sur les troubles psychiques du peintre. 

Vincent Van Gogh, Autoportrait (détail), 1889, huile sur toile, 65 x 54 cm, Musée d'Orsay. © Photo Sailko, 2015, CC BY 3.0
Vincent Van Gogh, Autoportrait (détail), 1889, huile sur toile, 65 x 54 cm, Musée d'Orsay.
Photo Sailko, 2015

Des chercheurs du centre médical universitaire de Groningen ont rendu public le 2 novembre dernier les résultats d’une étude conduite sur un patient bien connu pour ses troubles mentaux : Vincent van Gogh. S’il ne s’agit pas de la première étude sur le sujet, c’est en revanche la première synthèse psychiatrique aussi approfondie effectuée sur l’état de santé du peintre, publiée dans l’International Journal of Bipolar Disorders.

Le principal intéressé n’étant plus là pour être ausculté, les scientifiques se sont appuyés sur le large corpus constitué des 902 lettres que Van Gogh a écrites au cours de sa vie, 820 d’entre elles étant destinées à son frère ou à ses proches ainsi que d’autres sources, notamment obtenues en regardant du côté des médecins qui ont été amenés à le soigner. Elles constituent un matériau de première main, des lettres dans lesquelles l’artiste décrivait souvent les maux auxquels il était confronté. 

Recours à des historiens d’art

Les chercheurs qui entendaient présenter un aperçu global des problèmes de santé mentale de Van Gogh afin de donner les diagnostics les plus probables, ont soumis trois historiens de l’art spécialistes de Van Gogh et de sa correspondance à des entretiens semi-directifs ainsi qu’à quatre questionnaires portant sur les troubles de la personnalité. Les réponses à ces questionnaires ont été traitées par des diagnosticiens indépendants, ignorant l’identité du patient examiné. Ils ont également interrogé les historiens afin d’établir un examen neuropsychiatrique cherchant à évaluer si les symptômes pouvaient être – du moins en partie – expliqué par une épilepsie.  

Pour corroborer les réponses des historiens de l’art interrogés, ils ont passé au peigne fin la correspondance de Van Gogh afin de lister une liste de symptômes. Se faisant, ils ont été en mesure d’exclure certains diagnostics, comme la psychose cycloïde, l’empoisonnement au monoxide de carbone (dû aux lampes à gaz) mais surtout la schizophrénie, suggérée rapidement après sa tentative de suicide, qui est ici considérée comme très peu probable. 

Troubles bipolaires

Les scientifiques estiment que Van Gogh souffrait en réalité de plusieurs maladies comorbides, soulignant qu’il a probablement développé dès son jeune âge des troubles de l’humeur – une probable bipolarité – combiné à des troubles d’une personnalité obsessive-compulsionnelle. Son mode de vie autodestructeur, associant une consommation abusive d’alcool et de tabac, malnutrition et manque de sommeil, ses relations difficiles ainsi que les tensions liées à sa vie de peintre « raté », désargenté et maudit, incapable d’établir la vie de famille stable ou la communauté de peintres dont il rêvait, ont exacerbé ses pathologies, le conduisant, au paroxysme, à se trancher sa propre oreille suite à une confrontation avec Gauguin en 1888.

C’est la suite de cet épisode qu’il arrête subitement l’alcool. Selon les chercheurs, « Van Gogh a probablement souffert à deux reprises de delirium [tremens] dû au sevrage de l’alcool ». S’en est suivi une aggravation de son état avec plusieurs épisodes dépressifs sévères, dont au moins l’un présentant des composantes psychotiques. Le peintre aurait d’ailleurs réalisé à une seule occasion un autoportrait alors qu’il souffrait de psychose.

Epilepsie temporale

Enfin, une épilepsie temporale (à l’époque appelée « épilepsie larvée mentale ») se caractérisant par des hallucinations, un état de conscience altérée et des absences de mémoire, ne serait pas non plus à exclure – même si, comme le soulignent les chercheurs, l’absence d’imagerie médicale ne permet pas d’établir un diagnostic sûr sur ce point.

Incapable de se remettre complètement de ses épisodes psychotiques malgré plusieurs passages à l’hôpital d’Arles et à l’asile psychiatrique de Saint-Rémy-de-Provence dans les années 1888-1890, il aurait fait une tentative de suicide à l’âge de 37 ans, à Auvers-sur-Oise, le 29 juillet 1890. 

Néanmoins, comme le rappellent les auteurs de l’étude, les lettres qui ont servi de base à l’étude sont nécessairement biaisées, puisque Van Gogh les écrivait non pas à destination des médecins, mais de ses proches afin de les informer mais aussi de les rassurer. Le professeur émérite Willem A. Nolen, qui a mené les investigations, rappelle que finalement, les conclusions sur la santé mentale du peintre ne seront jamais acquises. « Nous ne sommes plus en mesure d’interroger et d’ausculter le patient, ce qui signifie qu’il faut prendre les résultats de notre étude avec précaution. » Avant de conclure : « Par conséquent, notre article ne sera probablement pas le dernier sur le sujet. »
 

Thématiques

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque