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ENTRETIEN

Michel-Édouard Leclerc : « Je passe de bulle en bulle en essayant de rester sur terre »

Fondateur du Fonds Hélène et Édouard Leclerc

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 23 juin 2023 - 1352 mots

Le fils du fondateur des centres Leclerc ouvrait en 2012 en Bretagne, un lieu d’exposition. Il fait le bilan du Fonds Hélène et Édouard Leclerc, dresse des perspectives et parle un peu de lui.

Michel-Edouard Leclerc. © Nathalie Savale
Michel-Edouard Leclerc.
© Nathalie Savale
Au moment de l’ouverture du Fonds à Landerneau, vous attendiez entre 40 000 et 60 000 visiteurs, alors que vous en avez finalement accueilli 1,5 million, soit 150 000 par an. Est-ce une fausse modestie ou un succès inattendu ?

La Fondation a rencontré un très grand succès auprès, d’abord, du public régional qui avait faim de culture, comme on le voit pour la musique au Festival des Vieilles Charrues et pour la Fête du Bruit. Ce public a démontré son amour de l’art, son appétit pour toutes les expressions de la culture. J’en avais l’intuition, mais je n’en soupçonnais pas l’importance. Et ce public local a fait chambre d’écho auprès du public national et international : nous recevons beaucoup de visiteurs d’Europe.

Cela a-t-il eu un impact sur Landerneau ?

Landerneau n’a jamais pu être, dans son histoire, une capitale économique ou administrative. Malgré la présence sur son territoire d’une des plus grosses coopératives agricoles de France, cette ville de 17 000 habitants est restée une ville-dortoir. Or, avec le Fonds, elle est en train de devenir une capitale culturelle ! Toute la ville s’est mise au diapason. Nous faisons travailler les entreprises locales, comme les imprimeurs ou les menuisiers. La mairie a créé une galerie municipale. En se mettant en réseau avec les lieux culturels et patrimoniaux de Pont-Aven, Quimper et Brest, Landerneau participe à l’attractivité touristique de la région.

Vous revendiquez « une culture accessible à tous », mesurez-vous le taux de visiteurs qui n’est pas le public habituel des musées ?

Non, nous ne sommes pas outillés pour cela. Nous vivons dans la ville avec des vraies gens et on ne demande pas leur typologie aux visiteurs quand ils viennent. Ce à quoi nous sommes attentifs, c’est à la pédagogie et la lisibilité des informations, dans les notices, les cartels, et à la disponibilité des nombreux médiateurs dans les salles. Nous recevons jusqu’à 7 000 scolaires par saison. Le livre d’or est très instructif, les gens confondent Buffet et Dubuffet, mais témoignent d’un véritable appétit de connaissances. Il n’y a pas cette sorte de mépris ou d’arrogance qu’ont souvent les sachants.

Comment définiriez-vous la ligne éditoriale du Fonds ?

Alfred Pacquement, l’ancien directeur du Musée national d’art moderne, m’a dit au début : « Il faut que vous ayez une ligne. » Et je lui ai répondu : « Mais quand on écrit un premier roman, on ne sait pas le dixième roman qu’on va faire ! » Pour autant, nous avons une ligne de conduite, on a procédé par élimination, on s’est dit qu’on ne voulait pas provoquer et que nous n’avions pas encore de légitimité dans le milieu. De sorte que, tout naturellement, la figuration s’est imposée à nous : Jean Dubuffet, Jacques Monory, Marc Chagall… Mais ce n’est pas une ligne jaune, c’est une ligne en pointillé ; et comme disent les Italiens, tant qu’il n’y a pas deux lignes jaunes, on peut la franchir. Hans Hartung que l’on a exposé en 2017, c’est de l’abstraction. Je voulais même commencer par présenter Pierre Soulages dont des œuvres étaient en caisses avant d’aller à Rodez. Cela ne s’est pas fait et on a commencé avec Gérard Fromanger. Nous privilégions aussi les monographies car le public aime les monographies, c’est une porte d’entrée plus facile sur un artiste et son œuvre.

On a l’impression que vous êtes très impliqué dans la programmation…

Ma mère, jusqu’à sa disparition en 2019, était aussi très active. Oui, c’est vrai, je m’implique beaucoup au côté de l’équipe de Marie-Pierre Bathany, la directrice du Fonds, avec qui nous échangeons en permanence. J’aime apprendre avec les collaborateurs ou nos artistes invités. J’ai plutôt été formé à la littérature même si, depuis mon adolescence, je suis friand d’aller voir toutes les expositions. Cela dit, pour chaque projet, nous faisons appel à un commissaire extérieur qui ouvre à chaque fois de nouveaux horizons.

Picasso, Chagall, Miró... comment faites-vous pour obtenir tous ces prêts ?

Comme pour tout métier : il faut savoir oser et commencer par demander ! Nous avons constitué un réseau d’amis, de collectionneurs, de conservateurs, de directeurs d’institutions et d’artistes qui ont la gentillesse de nous parrainer. Nous avons construit notre légitimité au fil des expositions en montrant que nous agissons en professionnels comme dans les centres Leclerc. Ces prêts peuvent être gratuits ou payants, sous forme de restauration.

Pourquoi ne pas profiter de l’audience des expositions pour faire découvrir la jeune création à côté des salles principales ?

On y pense, on envisage de restaurer la grande chapelle du couvent des Capucins pour y organiser de telles expositions. Mais le projet est un peu en stand-by car cela coûte cher. De même, nous aimerions créer un parc de sculptures dans une grande propriété des enfants Leclerc aux alentours, mais nous butons sur des problèmes d’urbanisme. La réglementation est devenue telle qu’il est de plus en plus difficile d’ouvrir des lieux nouveaux au public.

Quel est le budget du Fonds ? Comment le financez-vous  ?

Le budget varie d’année en année et tourne autour de 3 millions d’euros. La charge la plus conséquente, ce sont les salaires avec une équipe permanente de 12 personnes qui peut monter à 35 lors des expositions avec les médiateurs, le personnel pour la boutique… Le financement est assuré par nos 600 mécènes, en grande partie constitués de collaborateurs Leclerc qui nous donnent entre 3 000 et 5 000 euros par an. Ils donnent car ils aiment le projet et aiment venir visiter les expositions. Des grandes entreprises nous aident aussi comme Arkéa, mais il n’y a aucun fournisseur des centres Leclerc. Pour des travaux importants, nous faisons d’autres appels de fonds. Cependant, depuis la pandémie, nous avons un peu réduit la voilure en n’organisant qu’une seule exposition qui dure de juin à janvier, comme celle sur l’univers de J.R.R. Tolkien et l’œuvre de John Howe qui ouvre le 25 juin.

Comment se porte l’activité de distribution de produits des espaces culturels Leclerc ?

Le livre, qui représentait 44,4 % des ventes des 215 espaces culturels, augmente chez Leclerc quand le marché national décroît. Il est tiré par une belle actualité littéraire, mais aussi par le marché de la bande dessinée et des mangas. Même si le marché n’a pas retrouvé le niveau de 2019, Leclerc a conforté sa place. Nous allons, ces douze prochains mois, développer notre activité sur le web commerce à partir d’une stratégie multicanal : la vente physique, le drive et le click & collect.

Il y a onze ans, vous m’aviez dit que le groupe réfléchissait à monter une offre de téléchargement pour concurrencer Deezer, les plateformes vidéo… Pourquoi ne pas l’avoir fait ?

Parce que nous n’avons pas trouvé le bon partenaire et que, au fond, la logistique ce n’est pas notre métier principal.

Comment se porte MEL Publisher, votre maison d’éditions de lithographies artistiques ?

L’activité a maintenant plus de cinq ans. La boutique en ligne marche bien. Nous avons produit une trentaine d’artistes depuis la pandémie et je travaille à une politique d’expo-vente pour 2024. Nous continuons à étoffer le catalogue pour nous crédibiliser auprès des collectionneurs, avec Pierre & Gilles, Emmanuel Guibert, Gérard Garouste, Françoise Pétrovitch, Damien Deroubaix, Bathélémy Togo ou encore Frank Miller.

Comment arrivez-vous à jongler entre vos différentes activités ?

Je suis comme l’inspecteur Adamsberg dans les romans policiers de Fred Vargas, je passe de bulle en bulle en essayant de rester sur terre. J’ai besoin de l’art et de la culture pour m’élever. J’ai une mémoire plus visuelle qu’auditive, alors je passe trois heures par jour à lire, je « stabylobosse » les documents, découpe des articles que je classe dans des chemises de différentes couleurs en fonction de mes bulles. En début de semaine, je travaille à Paris, puis en région pour visiter des centres Leclerc ou des producteurs. Le week-end en Bretagne, entre Landerneau et Concarneau, entre collaborateurs ou avec les artistes. Ça fait sept ans que j’ai laissé la présidence exécutive du groupe à une équipe d’adhérents. Je suis désormais comme eux, indépendant, et pour parler la novlangue, avec une mission permanente de senior advisor.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°614 du 23 juin 2023, avec le titre suivant : Michel-Édouard Leclerc, fondateur du Fonds Hélène et Édouard Leclerc : « Je passe de bulle en bulle en essayant de rester sur terre »

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