exposition

Jochen Gerz, au-delà de l’art

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 mars 2002 - 612 mots

Des photos, des textes, ou tout simplement des mots. Les uns et les autres soigneusement encadrés, le plus souvent de formats distincts, en couple ou en nombre, placés à touche-touche selon un dispositif précis. Des textes, des mots, parfois inclus dans l’image, faisant corps avec elle. Telle est l’idée que l’on se fait ordinairement du travail de Jochen Gerz. Et pourtant, ce n’en est là qu’un des aspects. Vidéos, performances, installations, écriture, site Internet, Gerz compte parmi les pionniers d’une pratique artistique largement ouverte, qui en appelle à un usage « multimedial ». « D’un point de vue technique, l’œuvre de Jochen Gerz (est) plutôt modeste », comme l’a noté Friedemann Malsch, mais il n’en reste pas moins que l’artiste a toujours fait preuve d’intérêt pour les nouvelles technologies. De l’ordinateur, utilisé pour sa première pièce dès 1971, Ces mots sont ma chair et mon sang, jusqu’à ce dialogue entre artistes et théoriciens qu’il vient de susciter tout récemment sur le Net, L’Anthologie de l’art, la démarche de Gerz est portée par une nécessité d’ordre existentiel qui vise à reconsidérer la fonction même de l’art. Pour lui, en effet, comme l’a observé Catherine David, « l’art tel qu’il est pratiqué et consommé dans notre société aliène l’artiste et le spectateur en les séparant toujours davantage de la vie et d’une expérience directe et unique du monde, d’un vécu que l’art ne peut ni représenter, ni remplacer ». D’où la recherche chez Gerz d’une permanente communication avec l’autre et, pour ce faire, la mise en œuvre de tous les instruments et supports de communication ou de création qui soient. Sans en privilégier un par rapport aux autres, mais en utilisant toujours ceux qui sont les plus appropriés à rendre compte de la vie concrète. Du moins de sa restitution sabotée dans ce no man’s land qui existe entre le réel et sa représentation, zone dans laquelle Gerz situe lui-même son travail. Jochen Gerz ne recourt pas à l’usage des médias pour leur qualité médiatique ou critique mais parce que « travailler avec les médias, sur les médias, travailler les médias, c’est la même chose. L’un n’existe pas sans l’autre ». L’artiste défend le fait qu’il est inimaginable que l’art puisse travailler sans la technologie et il tient à préciser que les problèmes qu’il se pose ne relèvent pas au départ d’une déontologie artistique. D’où l’emploi qu’il fait des médias au regard des situations et des processus induits par l’œuvre, son contenu et sa pertinence, dans une relation de sens empirique et non dogmatique avec ces médias. « Je ne fais pas de la peinture, de la sculpture, du dessin, mais j’utilise la photographie, le texte, le son, mon corps et aussi l’image mobile », dit-il. Autant de vecteurs qui montrent que « tout notre développement technologique et politique constitue une mise en chantier esthétique ». En réalité, une mise en chantier proprement éthique, comme en témoignent les deux manifestations qui sont simultanément consacrées à l’artiste à Paris et à Strasbourg. Intitulées « Temps détournés », celles-ci sont l’occasion de découvrir non seulement les œuvres de Gerz conservées par ces deux institutions, mais de découvrir son œuvre vidéo et internet, ainsi que l’intégralité de ses performances filmées. Dans cette façon de dépasser l’art, comme il l’a dit lui-même à propos du Monument vivant de Biron, jusqu’à ne plus y penser. Et, pour tout dire, de réévaluer le rapport de l’art au vivant, à l’autre comme à la vie.

- PARIS, Centre Pompidou, 19, rue Beaubourg, tél. 01 44 78 12 33, jusqu’au 24 avril et STRASBOURG, Musée d’Art moderne et contemporain, 1, place Hans Arp, tél. 03 88 23 31 31, jusqu’au 21 avril.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°534 du 1 mars 2002, avec le titre suivant : Jochen Gerz, au-delà de l’art

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