Jean-Paul Capitani : « Arles est en phase avec son époque »

Président du directoire des Éditions Actes sud

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 24 mai 2018 - 1189 mots

Très impliqué dans la vie locale, le patron des éditions Actes Sud et époux de la ministre de la Culture explique ses projets de développement pour la ville.

Président du directoire d’Actes Sud et cofondateur avec Françoise Nyssen de l’association du Méjan, Jean-Paul Capitani est né et a grandi à Arles, où il possède plusieurs biens immobiliers dont le siège de son entreprise. Il a demandé à l’architecte Patrick Bouchain d’édifier une tour en bois de 18 mètres de haut.

Pourquoi créer un nouveau lieu à Arles, en plus du Méjan ?

On a actuellement trois petites salles de cinéma au Méjan. Elles commencent à être petites et mal placées au niveau du parking. On va donc créer cinq salles supplémentaires dans ce nouveau lieu, qui s’élèvera à l’emplacement d’un bâtiment propriété de la famille depuis longtemps. Mon grand-père y vendait des légumes en gros avant qu’il ne devienne un garage. Depuis quelques années, c’était devenu un lieu en déshérence. L’an dernier, Les Rencontres d’Arles y ont exposé. Cet été le festival bénéficie de trois fois plus d’espace.

Est-ce l’espace, dit Croisière, dans la programmation des Rencontres, situé juste à proximité de la tour de Frank Gehry, donc du parc des Ateliers et du nouveau bâtiment de l’École nationale supérieure de la photographie ?

Oui. La tour de Patrick Bouchain s’élèvera juste en face de la tour des Mourgues. L’intérieur logera, outre cinq salles de cinéma, une auberge de jeunesse, une crèche, un restaurant, une librairie et un lieu de vente de produits bio de Camargue, de Crau et des Alpilles. On prévoit de l’inaugurer fin 2019, en même temps que la tour de Frank Gehry.

Faut-il voir dans cette construction une manière de marquer votre différence par rapport à la Fondation Luma de Maja Hoffmann ?

C’est complémentaire. Que la Fondation Luma crée des lieux beaux et bien équipés, c’est génial. Il faut aussi que les gens puissent venir à Arles de manière différente. Ce en quoi nous ne sommes pas du tout en opposition avec Maja. Si vous devez stigmatiser une certaine opposition, je ne trouve pas que construire un casino à Arles aille dans le bon sens. Quand la mairie justifie sa décision en disant qu’il permettra de doter la ville de moyens, c’est honteux et épouvantablement triste. C’est prendre le dernier sou à l’Arlésien qui n’a pas un radis. Faire venir des bus de touristes, construire un casino est tout le contraire de ce que nous avons engendré en vie culturelle. Si on artificialise ce terreau créatif avec ce type de pesticides ou d’engrais, on risque de le tuer.

Quel avenir pour le Magasin électrique au parc des Ateliers où vous deviez aménager les bureaux arlésiens d’Actes Sud ?

Ce projet a été envisagé il y a dix ou quinze ans. Actuellement, nous avons 2 500 m2 au Méjan contre les 1 000 m2 à cette époque. Les gens sont contents d’y être. À un moment, je voulais reconvertir le Magasin électrique en grande salle de concert. Il semblerait que Maja ait d’autres projets pour le parc des Ateliers. Nous allons certainement concevoir en commun un projet complémentaire de nos activités. Pour l’instant, ce lieu continue d’accueillir nos expositions. Sont programmés à partir de début juillet Prune Nourry, la collection de portrait d’Antoine de Galbert et une exposition de Frédéric Delangle et Ambroise Tézenas sur le rôle du vêtement chez les migrants en association avec Emmaüs Solidarité.

Comment qualifieriez-vous vos rapports avec Maja Hoffmann ?

Nous sommes des Arlésiens et nous avons envie de faire des choses pour cette ville qui est en phase avec son époque.

Ne craignez-vous pas une gentrification de la ville ?

C’est justement pour cela qu’il faut faire une auberge de jeunesse. Dans le personnel d’Actes Sud employé à Arles, seul 10 % environ sont originaires de la ville. L’installation des 90 % restant est à relier à l’activité. Signifie-t-elle une gentrification ou marque-t-elle simplement la synergie propre à une activité ? Installer les éditions Actes Sud à Arles a contribué à la dynamique de la ville. On ne peut pas dire que nous l’avons fait pour la population. Maja ne fait pas des expositions pour la population. Il n’empêche que ces dernières contribuent à tout le monde. Le développement d’une ville repose sur la création d’activités nouvelles qui attirent les gens.

Quand Lee Ufan crée sa fondation à Arles, est-ce à relier à l’exposition au Capitole en 2013 et à vos relations ?

Lee Ufan fait en effet ce lien et l’explique par le fait qu’Actes Sud a été en France l’organisateur d’une de ses deux grandes expositions et l’éditeur de sa première monographie. Son arrivée symbolise plus largement son intérêt pour Arles et l’attractivité de la ville.

Lucien Clergue avait espéré que la ville lui concéderait un lieu pour accueillir ses archives. Quatre ans après sa disparition, la ville ne s’est toujours pas positionnée en ce sens. Le regrettez-vous ?

Les choses prennent du temps. Le projet de Maja a mis quinze ans à se réaliser. Pour Lucien Clergue c’est la même chose. On lui trouvera un jour un musée à Arles. Germaine Richier est Arlésienne. Elle n’a pas de musée non plus. C’est dommage, mais il viendra un jour.

Frédéric Mitterrand avait envisagé que le nouveau bâtiment de l’École nationale supérieure de la photographie soit adossé à un centre de conservation de fonds de photographe. Aurélie Filippetti ne l’a pas souhaité. Le regrettez-vous ?

La collaboration entre les Rencontres d’Arles et la Région des Hauts-de-France prévoit que le futur Institut pour la photographie dans la métropole Lilloise abrite un centre d’archives. Arles pourrait en héberger une partie. On l’a évoqué avec Sam [ndlr, Sam Stourdzé, directeur du festival de photo, commandité par Françoise Nyssen d’un rapport sur la question des fonds photos en France]. On pourrait envisager que La Halle Lustucru démontée et entreposée sur le terrain des papeteries Étienne les abrite. Ce serait bien [ndlr, la halle conçue dans les ateliers Eiffel pour orner le Grand Palais de l’Exposition coloniale de Marseille en 1906, puis remontée à Arles, devait être démolie pour laisser place à un centre commercial, mais un accord a été trouvé en janvier 2018 pour la sauvegarder].

Comment jugez-vous les critiques envers votre épouse et son travail au ministère de la Culture ?

Je trouve qu’elle a beaucoup de courage. Elle travaille énormément pour faire évoluer la relation à la culture. On oublie trop souvent la bienveillance. En réponse à cet état d’esprit, je préfère évoquer ici la collection du Domaine du possible que nous avons créée en 2011. Elle a pour vocation de parler de gens qui construisent des alternatives offrant la possibilité de penser et d’agir différemment en apportant des solutions aux grandes questions qui se posent à notre société. C’est aussi le nom que nous avons donné à l’école que nous avons créée avec Françoise. C’est dans cette lignée que nos actions s’inscrivent.

Est-ce parce que votre femme est ministre que les 40 ans des éditions sont fêtés discrètement ?

l n’y a pas de lien. Ce sont les auteurs qui comptent et c’est avec eux que nous allons vivre ce moment.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°502 du 25 mai 2018, avec le titre suivant : Jean-Paul Capitani, président du directoire des Éditions actes sud : « Arles est en phase avec son Époque »

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