Architecture

De la Petite Écurie à la grande école

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 22 février 2002 - 896 mots

La réforme des écoles d’architecture avance à grands pas. Restructuration, regroupements, déménagement, nominations s’enchaînent. De Paris à Versailles, de Belleville à Malaquais en passant par Seine Rive Gauche, les écoles font peau neuve. À l’image de celle de Versailles qui s’enrichit de deux bâtiments que l’équipe Beckmann-N’Thépé-Vialet revisite intégralement.

Le dos au château de Versailles, depuis la place d’Armes, l’œil découvre les trois avenues qui s’élancent, rectilignes vers Sceaux, Paris et Saint-Cloud. Les couronnant, deux majestueux bâtiments, œuvre de Jules Hardouin-Mansart. À main gauche, la Grande Écurie ; à droite, la Petite Écurie. L’étiquette seule, et non les dimensions identiques, justifiait la distinction entre “Grande” et “Petite” écuries. La première était réservée aux chevaux de selle et possédait un manège où furent données de grandes fêtes. La seconde était utilisée pour les voitures, les chevaux des attelages et les équipages en général. La rivalité pourtant entre les deux écuries était perpétuelle. La première était placée sous l’autorité du grand écuyer qu’on appelait “Monsieur le Grand”, la seconde sous celle du premier écuyer qu’on appelait “Monsieur le Premier”. Autant dire que d’une écurie l’autre, l’atmosphère n’était pas celle des “Ris et Danceries”...
Trois siècles plus tard, la Petite Écurie accueillait, dans ses étages, l’École d’architecture de Versailles, forte aujourd’hui de six cents étudiants qui y étouffent littéralement.
Et voici que dans le cadre de la réforme, Nicolas Michelin est nommé, en 2000, directeur de l’école. Enseignant à l’université Columbia, à New York, et à Berlin, un temps directeur d’un Centre d’art contemporain, critique, analyste et auteur, lu et écouté, Michelin est un personnage considérable dans le petit monde de l’architecture. D’emblée, il affirme vouloir faire de l’école de Versailles une école phare, ouverte sur la ville et sur le monde, la connecter avec d’autres disciplines, en faire un centre de recherche tout autant que d’enseignement. Avec, en outre, une capacité d’accueil de neuf cents étudiants, soit trois cents de plus.
Exiguïté des locaux existant oblige, il convenait de s’agrandir. À l’arrière de la Petite Écurie, deux bâtiments magnifiques et inoccupés semblaient tendre les bras : les anciennes forge et maréchalerie qui servaient, autrefois, aux attelages et équipages.
Tandis que les Monuments historiques s’attachent à restaurer les deux bâtiments, un double concours est lancé qui porte d’une part sur la réhabilitation-reconversion des locaux existant dans la Petite Écurie ; d’autre part sur l’aménagement, en les liant, de la forge et de la maréchalerie. Michelin souhaite et obtient que parmi les équipes invitées figurent de très jeunes architectes. Souhait gagnant puisque ce sont justement de très jeunes architectes qui remportent les deux concours, celui concernant la Petite Écurie l’étant par Jacques Moussafir.
Mais c’est bien sûr le second qui apparaît comme le plus complexe et le plus passionnant : celui qui porte sur les bâtiments récupérés, soit la maréchalerie (180 m de long, 6 m de large et 9 m de hauteur, d’un seul tenant) conclue par la forge et qu’unit une belle cour pavée. Au total, 4 000 m2 à inventer et que l’équipe lauréate, composée d’Aldric Beckmann (trente et un ans), Françoise N’Thépé (vingt-huit ans) et Franck Vialet (trente ans), aborde avec modestie et imagination sous la direction de l’EPMOTC (Établissement public de maîtrise d’œuvre des travaux culturels).

Gratification spéciale
D’abord lier la forge et la maréchalerie. Ce sera chose faite en couvrant la cour pavée d’un énorme coussin pneumatique qui crée une épaisseur et prend l’allure d’une luciole réversible sans qu’interviennent les risques provoqués par une verrière.
Ensuite, faire de la forge le cœur battant de l’école en y installant l’entrée principale, la cafétéria qui déborde sur la cour couverte, un auditorium de deux cent cinquante places et une salle d’exposition (un accord est d’ailleurs en train d’être passé avec le Frac Île-de-France pour que cette galerie agisse comme un centre d’art contemporain). Soit, ici, l’ouverture sur la ville. Enfin, aménager la longue maréchalerie sans jamais en annuler la transparence, la porosité, la flexibilité. Deux couloirs sont ainsi virtuellement tendus de chaque côté : un couloir de circulation-distribution le long du mur opaque, un couloir de lumière le long du mur où existent les ouvertures. Une mezzanine est créée à mi-hauteur sur toute la longueur du bâtiment. Un plancher en caoutchouc d’une légèreté invraisemblable et qui, non systématiquement fixé, permet de continuer à lire le bâtiment dans toutes ses dimensions.
C’est cette souplesse et cet absolu respect de la nature du bâtiment qui a emporté l’adhésion du jury. Un exercice de style extrêmement subtil et malléable qui rappelle tout à la fois les interventions d’un Carl Andre, la légèreté d’un design-système des frères Bouroullec et la complexité mobile des fonctions offertes par un couteau suisse.
L’École d’architecture de Versailles nouvelle manière sera terminée en janvier 2004. Soit deux ans de travail, répartis en dix mois de préparation et quatorze mois de chantier. Une performance à laquelle se sont engagés les jeunes architectes lauréats. Et, notamment, en s’entourant de consultants expérimentés à l’instar de RFR. Une performance à laquelle les écuries sont accoutumées puisqu’elles furent édifiées en à peine trois ans, de 1679 à 1682, ce qui valut aux maçons une gratification spéciale “en considération de la précipitation et frais extraordinaires pour rendre les ouvrages faits et parfaits dans le temps que Sa Majesté a ordonné”.
Le budget global alloué à la restructuration de la nouvelle école est de onze millions d’euros. Mais y aura-t-il gratification spéciale ?

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°143 du 22 février 2002, avec le titre suivant : De la Petite Écurie à la grande école

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