Politique culturelle

PROGRAMMES D’ACCUEIL

Artistes en exil, la France renforce ses programmes d’accueil

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 13 février 2024 - 1474 mots

Les crises géopolitiques récentes ont obligé le secteur culturel français à structurer durablement ses programmes d’aide aux artistes exilés et à gagner en autonomie et en réactivité.

Oksana Chepelyk, On the Edge, vidéo réalisée avec l'aide de l'Atelier des artistes en exil. © Oksana Chepelyk
Oksana Chepelyk, On the Edge, vidéo réalisée avec l'aide de l'Atelier des artistes en exil.
© Oksana Chepelyk

France. Artistes du « bloc de l’Est » pendant la guerre froide, Chiliens en 1973, Libanais dans les années 1980 : la France est un pays d’accueil pour les artistes réfugiés ou exilés. Si le ministère de la Culture a longtemps été le principal acteur des programmes de soutien à ces artistes, les dernières crises ont obligé les opérateurs et les acteurs non étatiques à s’organiser, dans un esprit d’autonomie renforcée. La crise du Covid-19 et la guerre en Ukraine ont accéléré la structuration du secteur culturel dans ce domaine.

Il existe cependant de nombreux dispositifs de soutien aux artistes étrangers en exil, qui ont été mis en place bien avant. La plupart de ces programmes émanent plus ou moins directement du ministère de la Culture qui en reste le financeur et l’initiateur. À la Cité internationale des arts, fondation privée d’utilité publique, le ministère finance plusieurs programmes, comme l’indique Bénédicte Alliot, sa directrice générale. Elle signale que dès 2017 la Cité s’était dotée d’un projet d’établissement centré sur l’accueil des artistes exilés, et cite le cas des artistes afghans à l’été 2021, après la prise de Kaboul par les talibans : « Nous avons monté le projet d’accueil avec l’Élysée et le ministère de la Culture très rapidement. » Au printemps 2022, ce sont des artistes ukrainiens et russes opposés à la guerre qui ont été soutenus « par un dispositif organisé en une semaine avec le ministère ».

Bénédicte Alliot note surtout « une évolution de l’engagement de l’État depuis 2021 pour les artistes en exil », une observation corroborée par la plupart des acteurs culturels. Judith Depaule, directrice de l’Atelier des artistes en exil (AAE) confirme avoir assisté « à une évolution des pouvoirs publics sur cette question, y compris en termes sémantiques ». Le terme « en exil » s’est imposé depuis quelques années, là où le ministère et ses opérateurs privilégiaient « réfugiés », terme plus administratif. Judith Depaule gère ses dossiers avec la sous-direction des Affaires européennes et internationales du Secrétariat général au ministère de la Culture, soit « un service central » : c’est le signe que la question de l’exil est prise au sérieux par le ministère, principal financeur de l’AAE. À la Cité internationale des arts, Bénédicte Alliot précise que le ministère finance les programmes à hauteur de « plusieurs centaines de milliers d’euros chaque année ».

Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) est aussi impliqué dans ces programmes, via l’Institut Français. Celui-ci pilote, par exemple, un programme de résidences à Palerme avec le Gœthe Institut et l’AAE, ainsi qu’un programme de soutien à la création aux artistes russes opposants. Pour un séjour de trois mois, le dispositif fournit une allocation de 5 000 euros et une résidence de production dans un centre culturel en France, comme la synagogue de Delme ou le Lieu Unique à Nantes. C’est également l’Institut Français qui a piloté les bourses « Nafas » entre septembre 2020 et octobre 2022, soit un programme qui a accueilli une centaine d’artistes libanais, avec le soutien de six collectivités territoriales. Le MEAE se montre cependant plus réticent à financer directement les projets des structures culturelles, selon Judith Depaule. Plus largement, le MEAE est en relation constante avec ces acteurs culturels pour faciliter la sortie des artistes de pays en guerre et organiser les demandes de visas : Bénédicte Alliot et Judith Depaule confirment être en contact avec des ambassades françaises en Birmanie, à Gaza ou en Russie.

Atelier ouvert de Nge Lay lors de l’événement hebdomadaire « Ateliers ouverts : pratiques ralenties » à la Cité internationale des arts, 2023. © Cité internationale des arts / Maurine Tric
Atelier ouvert de Nge Lay lors de l’événement hebdomadaire « Ateliers ouverts : pratiques ralenties » à la Cité internationale des arts, 2023.
© Cité internationale des arts / Maurine Tric
Des solutions à long terme

Grâce à ce soutien, les acteurs culturels ont accru leur autonomie, tout en envisageant des solutions pour les artistes exilés sur le long terme. Bénédicte Alliot rappelle que la Cité internationale des arts a une tradition d’accueil d’artistes exilés depuis sa création en 1965, avec notamment « des Polonais à la fin des années 1960 et des Chiliens dans les années 1970 ». Elle note cependant « une augmentation des candidatures d’artistes en difficulté ou en exil dans tous les programmes de la Cité, y compris dans ceux qui ne leur sont pas directement destinés ». Cette augmentation est confirmée par Judith Depaule à l’AAE, qui souligne que l’afflux des demandes met à l’épreuve « la capacité de l’AAE à gérer toutes les crises ». L’association s’occupe déjà d’environ 600 artistes, et vient d’ouvrir une antenne à Marseille.

Cela implique aussi de prévoir des financements et des dispositifs au long cours pour ces artistes déracinés, une fois l’urgence passée. Si la guerre en Ukraine a suscité un vif intérêt sur les artistes exilés, Judith Depaule note que « les moyens mis en place par l’État ne sont pas les mêmes selon les crises », un problème que des dispositifs au long cours permettraient de contourner. En filigrane se pose la question de la durée des séjours et des bourses, très variables selon les programmes et les lieux d’accueil. À la Cité internationale des arts, « les séjours durent entre un et deux ans en moyenne », selon Bénédicte Alliot qui précise que les situations sont différentes d’un artiste à l’autre. Certains cumulent parfois une bourse et une résidence dans des programmes distincts. À l’AAE, le séjour qui était auparavant illimité dans le temps ne le sera plus prochainement. Judith Depaule évoque une limitation à « un an ou deux probablement ». L’accompagnement professionnel des artistes doit aussi être modifié, selon elle, pour leur permettre de stabiliser leur situation en France.

Mahmood Peshawa au travail dans son atelier de la nouvelle antenne marseille de l'Atelier des artistes en exil. © Camille Cousin
Mahmood Peshawa au travail dans son atelier de la nouvelle antenne marseille de l'Atelier des artistes en exil.
© Camille Cousin
Les associations et les écoles d’art se mobilisent aussi

En parallèle, de nouveaux acteurs dans le secteur associatif et dans le domaine universitaire participent de cette aide d’urgence. Outre l’AAE qui est devenu un interlocuteur incontournable, l’association Portes ouvertes sur l’art organise depuis 2018 des visites d’ateliers et des expositions d’artistes exilés en France. Sa cofondatrice Pauline de Laboulaye explique en avoir eu l’idée en 2017, pour aider les artistes syriens en France, avant d’élargir les activités de l’association. Il s’agit de « rompre l’isolement des artistes en exil et de leur faire rencontrer des interlocuteurs français du milieu de l’art ». Des expositions à la Maison des arts de Malakoff et à la Cité internationale des arts ont donné de la visibilité aux artistes exilés et tissé un réseau avec les institutions culturelles. La prochaine exposition se tiendra en février au Palais de Tokyo grâce à une mécène syrienne, précise Dunia Al Dahan, cofondatrice de l’association.

Côté enseignement supérieur, les écoles d’art se sont mobilisées pour accueillir des artistes exilés, comme l’explique Stéphane Sauzedde, vice-président pour l’international de l’Andea (Association nationale des écoles d’art) : « Les écoles d’art dans leur ADN sont des lieux d’accueil et le dossier des artistes en exil est ouvert depuis cinq ans à l’Andea. » Après des actions informelles, l’association a mis en place un prototype de dispositif de résidence à l’école d’Annecy en lien avec le programme « Pause » porté par le Collège de France. Destiné en premier lieu aux chercheurs menacés, « Pause » s’est ensuite élargi aux artistes. Depuis 2021, le programme a accueilli, en lien avec des structures culturelles, 59 artistes en France, venus entre autres du Congo, d’Iran, d’Afghanistan et de Birmanie, ainsi que 45 Ukrainiens dont 41 artistes. Stéphane Sauzedde précise que 42 artistes exilés ont été reçus dans les écoles d’art membres de l’Andea dans le cadre de « Pause », et 90 étudiants en art ukrainiens depuis septembre 2022 dans le cadre d’un autre programme. Il estime que « lors des crises politiques majeures, les écoles d’art sont devenues des interlocuteurs réguliers des pouvoirs publics » sur ce sujet. Il note aussi une synergie entre les acteurs culturels, puisque l’Andea collabore notamment avec l’AAE, la Cité internationale des arts, Erasmus et des partenaires européens.

Une structuration au niveau européen

On assiste en effet à l’émergence d’un écosystème d’acteurs culturels « spécialistes » des artistes exilés, via des projets qui regroupent des structures de nature différente. À la Cité internationale des arts, Bénédicte Alliot cite le programme financé par Icorn, une ONG norvégienne d’accueil de réfugiés dont la Ville de Paris est membre : une photographe du Yémen et une poétesse du Bangladesh en bénéficient actuellement. Judith Depaule évoque des dispositifs montés avec plusieurs partenaires européens (In Exile Lab) et note une tendance à constituer « des réseaux d’acteurs culturels au niveau européen ». L’association Portes ouvertes sur l’art compte parmi ses soutiens l’Académie des beaux-arts qui lui versait une subvention jusqu’en 2023, et la Fondation Antoine de Galbert qui la finance régulièrement.

Certains des artistes exposés bénéficient en outre du programme « Hérodote » des Beaux-arts de Paris, destiné aux artistes demandeurs d’asile ou réfugiés. Il existe ainsi un véritable réseau structuré d’opérateurs et d’acteurs du secteur de la culture pour soutenir les artistes en exil. Parfois, certaines situations nécessitent une mise en commun des moyens d’action : c’est le cas des artistes gazaouis, qui sont toujours bloqués à Gaza malgré les efforts des acteurs culturels et du réseau diplomatique français pour les faire sortir.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°626 du 2 février 2024, avec le titre suivant : Artistes en exil, la France renforce ses programmes d’accueil

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