Visions d’Afrique

Par Laure Meyer · L'ŒIL

Le 1 mai 2002 - 899 mots

Si la création des Rencontres de la Photographie africaine en 1994 lui a donné une impulsion évidente, il y a depuis les années 30 à Bamako une véritable histoire de la pratique photographique, de Seydou Keita ou Abderramane Sakaly
jusqu’à Mamadou Konaté, Aboubacrine Diarra ou Alioune Bâ, trois artistes contemporains aujourd’hui invités à Amiens.

Le 22 septembre 1960 a marqué une rupture irréversible dans l’histoire du Mali devenu alors indépendant. Sur le plan artistique, tout a changé. Les Maliens, fortement attirés par les villes, par la civilisation occidentale, s’efforcent dès lors de l’imiter ou de s’y intégrer. Les religions traditionnelles sont abandonnées, parfois au profit de l’Islam. Les sculpteurs chargés auparavant de réaliser les statues destinées aux cultes ne reçoivent plus de commandes. Les plasticiens maliens sont alors dans l’obligation de se tailler une place dans le contexte artistique mondial. Ce virage à 180 degrés, de l’art tribal à l’art contemporain, n’a pu se faire en un jour. Parmi ceux qui émergent maintenant se trouvent en première ligne de nombreux photographes. La photo, connue en Afrique depuis les années 30, était peu utilisée, à l’exception des réalisations de cartes postales. Les premiers spécialistes appartiennent à la bourgeoisie, ils sont attirés par les inventions, la technique et peuvent se payer les appareils nécessaires. L’émergence d’une classe sociale urbaine aisée favorise la création des premiers studios où des familles riches viennent poser pour immortaliser des évènements mémorables. Le maître des cérémonies est alors Seydou Keita (1921-2001) qui ouvre en 1948 un atelier où se presse le tout Bamako. Pour donner de ses clients la plus belle image, Keita les positionne lui-même. Au début des années 50, un dignitaire noir porte encore des vêtements africains. Même parti dix ans plus tard pour deux femmes dont les robes semblables et les gestes prouvent leur amitié. Mais souvent aussi Keita prête à ses modèles des costumes et accessoires européens, montres, stylos et même scooter ou voiture. Par sa maîtrise de la lumière, son désir de vérité psychologique, Keita, en grand portraitiste, nous a laissé une image exceptionnelle de la société malienne de 1940 à 1977. Plus jeune, Malick Sidibé (né en 1935), ouvre en 1958 à Bamako le Studio Malick. Avec l’Indépendance de 1960, l’effervescence est à son comble. Malick est de toutes les fêtes et s’implique à fond dans la vie sociale. L’Entrée du bal (1962), qui met en scène un homme impeccablement habillé à l’occidentale, traduit l’atmosphère de l’époque. On découvre les danses européennes ou américaines. Malick en fixe tous les aspects, en boîte comme dans Dansez le twist (1965) ou sur les bords du Niger. Pour ce faire, il s’attache à exprimer le mouvement et les rythmes endiablés, aux antipodes des patientes recherches de studio de Seydou Keita. Alors que ces deux maîtres photographiaient des portraits ou des personnages en pied, les jeunes artistes à l’œuvre dans la dernière décennie s’intéressent surtout à des détails significatifs de la vie africaine. Chez Alioune Bâ (1959), photographe au Musée de Bamako, on remarque tout de suite la série réalisée autour du fleuve Niger. De ses origines peules, une ethnie de bergers nomades des rives du Niger, cet artiste a gardé une fascination pour l’eau, son mouvement, son scintillement. Idéaliste, il veut fixer des moments de beauté, de joie. De son côté, Aboubacrine Diarra (1953) privilégie une vision réaliste, se spécialise dans les détails. Il met en scène des objets de rebut ramassés dans les rues, pour l’ensemble intitulé Sol et détails. Mamadou Konaté, quant à lui, utilise la macrophotographie associée à des jeux de lumière pour présenter des parties du corps humain sous des aspects irréels. Il crée ainsi Les Parures du quotidien dont on retient La Danse des doigts réalisée dans une perspective onirique. Ces artistes ont sans aucun doute bénéficié de l’élan imprimé à la création artistique par le peintre Abdoulaye Konaté qui, étant directeur du Palais de la culture à Bamako, a favorisé depuis 1994 l’essor de la photographie au Mali en assurant la direction des 3e et 4e Rencontres de la Photographie africaine. Pour cette manifestation, unique sur le continent africain et dont la dernière édition était en 2001, on a vu très grand : une vingtaine d’expositions étaient groupées à Bamako, tandis que dans de nombreuses villes on montrait les travaux des photographes locaux. L’Exposition internationale a permis de présenter à Bamako des œuvres nées dans tout le continent, du Sénégal au Mozambique et de l’Algérie à l’Afrique du Sud. Les expositions thématiques, sortes de reportages, ont insisté sur des recherches particulières. Pour que les jeunes photographes soient en mesure de progresser et d’aborder les réalités visuelles sous des angles nouveaux, une grande place a été faite aux technologies de pointe et un séminaire a permis d’ouvrir des pistes de réflexion originales. L’élan était alors donné et on s’est passionné, dans les villes du Mali, pour la photographie au point que même les enfants dans les rues se sont mis à produire des « sténopés » au moyen de boîtes percées d’un simple trou. Finalement, les résultats, convaincants, ont été édités. Spontanées ou professionnelles, toutes ces créations permettent de reconstruire le puzzle de la vie malienne, fragments d’objets ou de paysages rehaussés d’effets de matière ou de jeux de lumière. D’immenses possibilités se font jour, le présent le plus actuel s’enrichit du souvenir des modes de pensée traditionnels, laissant espérer une spectaculaire progression dans les années à venir.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°536 du 1 mai 2002, avec le titre suivant : Visions d’Afrique

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