Venise, les îles, la brume (part I)

L'ŒIL

Le 1 février 2001 - 473 mots

Comme dans Baudelaire, pour ce nouveau voyage d’hiver, « la très chère était nue et connaissant mon cœur, elle n’avait gardé que ses bijoux sonores ». Venise semblait se liquéfier, sombrer peu à peu dans une nuée opaque et silencieuse. Pourtant, ce n’était point cette acqua alta déterminée par les marées et qui recouvre d’eau le pavement de la piazza San Marco. Plongée dans un brouillard couleur perle comme en une suspension effervescente, la Sérénissime avait perdu ses habitants et ses visiteurs, égaré ses monuments et ses venelles. Juste perceptibles, les carillons et de rares bruits de moteur ; plus d’images, ni d’odeurs, les sons seuls. Le moment était venu de s’éloigner de la ville aux fantômes et d’aborder aux autres îles.C’est comme une croisière caraïbe, dont aucun des îlots ne se ressemblent vraiment et que les transports maritimes publics, vaporetto, motoscafo, motonave, relient entre eux selon des fréquences erratiques. Tous partent des Fondamenta Nuove, le long quai rectiligne du quartier septentrional de Cannaregio, tout proche du Campo dei Gesuiti, cette esplanade ornée d’un réverbère et d’une margelle soudain si étranges quand la brume se mêle à la brune. En deux minutes, le bateau de la ligne 52 accède à l’Isola San Michele. L’arrêt suivant est à Murano, la plus étendue des îles de la lagune. Sur le vaporetto qui porte le chiffre 14, en direction de Burano, il faut s’installer à tribord. En chemin, on double de ce côté deux îlots aux constructions en ruine, poudrière ou fortins, San Giacomo in Paludo et Madonna del Monte. Ensuite, à peine discernable dans son manteau ouaté, voici l’île double composée de Mazzorbo et de Mazzorbetto, leurs maisons de bois peint à la scandinave, la passerelle piétonne qui mène à Burano la dentellière. Petites demeures de couleurs vives, filets de pêche séchant dans les courettes. Qu’il est imposant au contraire le silence épais qui règne en face sur Torcello la presqu’inhabitée ! La foi originelle semble baigner les lieux.A l’embarcadère, une carte. Comment accoster à ces îles ignorées de tous les guides parce que nues peut-être, et qui ont nom Crevan, Sant’Ariano, La Cura, Santa Cristina ? Du moins peut-on faire escale à Vignole la maraîchère, à San Erasmo, fortifiée de tours et de bastions. Et se rendre aisément à San Giorgio Maggiore comme à la Giudecca, sans oublier le Lido. Revenu à Venise même, on ne s’apercevra pas forcément qu’en suivant la Riva degli Sciavoni au-delà de l’Arsenal, dans le quartier de Castello, on parvient à ce qu’un pont a transformé en presqu’île, San Pietro. On peut effleurer l’église épiscopale et sa tour penchée blanche comme neuve ; mais le cloître auquel on accède par une banale porte de façade qu’il suffit de pousser vaut qu’on s’y arrête, et qu’on y attende la fin du jour. Alors s’allument quelques girandoles et survient, forcément, l’inspiration.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°523 du 1 février 2001, avec le titre suivant : Venise, les îles, la brume (part I)

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