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Une collection d’art impressionniste disputée entre Dublin et la National Gallery de Londres

Par Julie Paulais · lejournaldesarts.fr

Le 1 juin 2015 - 1053 mots

LONDRES / ROYAUME-UNI

Alors que Dublin et la National Gallery se disputent depuis 1915 la propriété d’une importante collection d’art impressionniste, Nicholas Penny a reconnu que Dublin avait un droit moral, sinon légal, sur cette collection, et laisse la porte ouverte à une évolution de cette situation complexe.

Édouard Manet, La musique aux Tuileries, 76,2 x 118,1 cm, huile sur toile, 1862, Legs de Sir Hugh Lane, 1917, The National Gallery (Londres). En partenariat avec la Hugh Lane Gallery, Dublin © Photo Slick-o-bot
Édouard Manet, La musique aux Tuileries (1862), 76,2 x 118,1 cm, huile sur toile. Legs de Sir Hugh Lane, 1917, The National Gallery. En partenariat avec la Hugh Lane Gallery, Dublin.

Depuis 1915 Dublin et la National Gallery de Londres se disputent la propriété d’une importante collection d’art impressionniste léguée par le marchand d’art et directeur de la National Gallery of Ireland Sir Hugh Lane. Bien que la National Gallery soit le propriétaire légal, son directeur, Nicholas Penny, a reconnu que Dublin avait un droit moral sur cette collection, ce qui constitue un énorme pas en avant, raconte le journal The Guardian.

C’est lors d’une conférence organisée lundi 18 mai 2015 à la National Gallery que les Irlandais ont entrevu un espoir d’évolution de la situation. L’historien et biographe Roy Foster était invité pour s’exprimer sur la vision artistique de Hugh Lane pour l’Irlande, en commémoration du 100e anniversaire de sa mort. Il est naturellement revenu sur le problème de la propriété de cette importante collection de 39 tableaux impressionnistes léguée par Sir Hugh Lane, comprenant des chefs-d’œuvre incontestés tels que La Musique aux Tuileries de Manet, Les Parapluies de Renoir ou Lavacourt sous la neige de Monet, le qualifiant d’ « injustice de longue date ». Nicholas Penny, a quant à lui affirmé publiquement « que Dublin avait des prétentions morales » sur les tableaux, ce qu’aucun des précédents directeurs n’avait reconnu. D’après Roy Foster, personne de la National Gallery n’est allé aussi loin que Nicholas Penny dans la reconnaissance et la compréhension de la situation. Retour sur cette affaire complexe.

Les origines de la controverse
Sir Hugh Lane (1875-1915), d’origine irlandaise, était un marchand d’art accompli à Londres. Très proche du noyau de la renaissance culturelle irlandaise dans les premières décennies du XXe siècle, il se passionne pour le meilleur de l'art national et organise en 1904 la première exposition d'art contemporain irlandais à l'étranger, au Guildhall de Londres. Hugh Lane décide d’établir un musée d’art moderne à Dublin, afin d’inspirer les jeunes artistes et d’engager un mouvement de renouvellement des arts visuels irlandais. Grand collectionneur, il voyage dans toute l’Europe pour acheter des œuvres, et, de passage à Paris, achète notamment un vaste ensemble de peintures impressionnistes, initialement pour lui, puis pour les offrir au futur musée. La galerie Hugh Lane ouvre en janvier 1908 grâce à un premier noyau donné par le collectionneur, dans un immeuble d’Harcourt Street, que Hugh Lane considérait comme un lieu de conservation temporaire. Il souhaitait en effet la construction d’un bâtiment spécialement conçu pour son musée. Hugh Lane garda pour lui 39 tableaux qu’il considérait comme les meilleurs, et fit une proposition à la ville de Dublin : il ne donnerait ses œuvres au musée de façon permanente qu’à la condition que la ville aide à financer la construction d’un nouveau bâtiment. Les négociations durèrent 5 ans, et en 1913 Dublin déclina l’offre. Hugh Lane retira donc les 39 œuvres impressionnistes du musée et les offrit à la place à la National Gallery de Londres.

Cependant, en 1914, Hugh Lane devient directeur de la National Gallery of Ireland et reconsidère l’idée de donner ses œuvres à son pays. En 1915, lors d’un voyage aux Etats-Unis, il rédige un codicille à son testament, changeant le destinataire des œuvres pour la galerie d’art moderne de Dublin. Malheureusement, lors de la traversée de retour, le bateau sur lequel Lane se trouvait, le Lusitania, est coulé par une torpille allemande près des côtés de Cork. Après sa mort, le codicille a été déclaré invalide par la justice, car rédigé en l’absence de témoin, et ainsi les tableaux sont resté la propriété de la National Gallery. Une vaste campagne réclamant le retour des œuvres à Dublin a été menée par sa tante Lady Gregory et par des gens de l’élite intellectuelle irlandaise comme le poète W.B. Yeats, qui voyait cette affaire comme un symbole du pillage colonial britannique.

Un accord de prêt entre les deux musées
Quand John A. Costello devient Taoiseach (chef du gouvernement irlandais) en 1948, il entreprend des négociations avec le premier ministre britannique Harold Macmillan, qui conduisent à un compromis en 1959, selon lequel la moitié de la collection de Hugh Lane serait exposée à Dublin tous les 5 ans. En 1993 l’accord est modifié et prévoit que 31 sur les 39 peintures restent en Irlande ; les 8 restantes sont divisées en deux groupe de 4 prêtées alternativement tous les 6 ans. Ainsi, le 23 mai dernier, Les Parapluies d’Auguste Renoir, Le portrait d’Eva Gonzales d’Edouard Manet, Jour d’été de Berthe Morisot et la Vue de Louveciennes de Camille Pissarro ont ainsi été transférées à la galerie Hugh Lane de Dublin. Nicholas Penny s’est d’ailleurs félicité dans son discours des accords de partage de la collection mis en place jusqu’à présent.

Une évolution de la situation ?
Bien que Nicholas Penny ait exprimé une certaine sympathie vis-à-vis des positions de Dublin dans son discours, cela ne veut pas dire pour autant que la position du musée londonien évoluera, d’autant plus que l’actuel directeur quittera bientôt ses fonctions pour laisser la place à Gabriele Finaldi dont on ignore encore les positions sur le sujet. Nicholas Penny a également bien rappelé dans son discours que la National Gallery restait le propriétaire légal des tableaux.

Du côté de l’Irlande, on a vu dans ces déclarations une voie ouverte à un futur changement, étant donné que l’entente de partage doit prendre fin en 2019. Barbara Dawson, directrice de la galerie Hugh Lane de Dublin a en effet déclaré : « les remarques de Nicholas Penny sont une reconnaissance publique des droits de Dublin sur ces peintures et sont les bienvenues. Comme le Dr Penny le sait, des œuvres prestigieuses telles que celles léguées par Sir Hugh Lane bénéficient grandement à l’institution qui les possède et permet à bien des égards de construire et maintenir le profil de cette institution. Ce serait très souhaitable pour la galerie Hugh Lane d’en redevenir propriétaire pour que cela bénéficie à la galerie, comme Hugh Lane l’avait voulu ». Pour Roy Foster, rendre toutes les œuvres à Dublin serait l’opportunité de réparer une injustice historique et la meilleure façon de d’honorer la mémoire et l’action de Sir Hugh Lane.

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