Justice - Restitutions

Un juge américain refuse d’ordonner le retour d’un Pissarro aux héritiers de Lilly Cassirer qui l’avait vendu aux nazis sous la contrainte

Par Julie Paulais · lejournaldesarts.fr

Le 15 juin 2015 - 653 mots

LOS ANGELES (ETATS-UNIS) [15.06.15] – Un juge fédéral a refusé d'ordonner le retour d'une œuvre de Pissarro, aujourd'hui au Musée Thyssen-Bornemisza de Madrid, aux héritiers d'une femme de confession juive qui avait été forcée de le vendre en 1939 aux nazis. La famille Cassirer poursuit l’Etat espagnol et la Fondation Thyssen depuis 2005.

Camille Pissarro, La Rue Saint-Honoré dans l’après-midi. Effet de pluie, 1897, huile sur toile, Madrid, Musée Thyssen-Bornemisza.
Camille Pissarro, La Rue Saint-Honoré dans l’après-midi. Effet de pluie, 1897, huile sur toile.
© Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid

Le juge John F. Walter de la Cour fédérale des Etats-Unis, a rejeté la demande des héritiers de Lilly Cassirer, qui poursuivent la Fondation Thyssen-Bornemisza et l'Espagne, afin de récupérer un tableau de Camille Pissarro ou obtenir une réparation financière, rapporte le New York Times. Depuis dix ans la famille Cassirer poursuit l’Etat espagnol et la Fondation Thyssen-Bornemisza pour se faire restituer le tableau, conservé au musée Thyssen de Madrid, mais en vain. En 2010, des juges de la Cour d’appel de Californie avaient rejeté leur compétence en premier lieu dans un procès identique.

L’œuvre de Camille Pissarro, Rue Saint-Honoré, Après-midi, Effet de Pluie (1897), appartenait à Lilly Cassirer. Elle fut contrainte de le vendre aux nazis en 1939 pour environ 300 euros. Après la Seconde Guerre mondiale, le tableau refait surface aux États-Unis en 1951, quand il est acheté par Sydney Brody, un collecteur en Californie. Il change de main une seconde fois puis est finalement acquis par le baron Hans Heinrich Thyssen-Bornemisza en 1976. Le tableau est exposé à Madrid depuis l'ouverture du musée en 1992. La demande de restitution initiale a été déposée en 2005 par Claude Cassirer, l'héritier de Lilly Cassirer, qui vivait à La Mesa, en Californie. Après sa mort en 2010, deux autres membres de la famille, David et Ava Cassirer, ont repris en tant que plaignants, aux côtés de la Fédération Juive Unie du Comté de San Diego.

Le juge Walter a statué que la loi espagnole devait s’appliquer dans le cas présent, et que la loi n'exige pas le retour de la peinture à la famille Cassirer. Cependant, il a conseillé au musée « de réfléchir et d'envisager » de travailler à une résolution juste et équitable pour les victimes des persécutions nazies, à la lumière de l'acceptation de l'Espagne des accords internationaux concernant le retour des œuvres d’art spoliées par le régime nazi.

En réponse, Evelio Acevedo Carrero, le directeur général de la Fondation Thyssen, a annoncé que le musée pourrait envisager « une certaine forme de reconnaissance morale » des circonstances dans lesquelles Lilly Cassirer a perdu la peinture. Par exemple, dit-il, le musée pourrait accrocher une plaque à côté de l’œuvre en expliquant qu'elle a fait partie de l'expropriation nazie de l'art. Evelio Acevedo a déclaré qu'il était « très satisfait » qu’un tribunal américain ait reconnu les droits de propriété d'un musée espagnol. « Le juge est très clair sur le fait que la fondation est le propriétaire légitime », a-t-il dit.

Les membres de la famille Cassirer ont déclaré dans une brève déclaration transmise par leur avocat qu'ils feraient appel de la décision. « Les musées et les gouvernements du monde entier reconnaissent la nécessité de rendre les œuvres spoliées par les nazis aux propriétaires légitimes », a déclaré Laura Brill, une avocate de la famille Cassirer. « Ici, c’est indiscutable que le Pissarro appartenait à la famille Cassirer jusqu’à son vol par les nazis en 1939 ».

Evelio Acevedo répond que Lilly Cassirer avait reçu une indemnisation adéquate d'après-guerre de la part du gouvernement allemand pour le tableau et qu’à « aucun moment il n’a été caché », contrairement à d'autres œuvres d'art spoliées par les nazis. Thaddeus Stauber, un des avocats de la Fondation qui milite depuis des années pour que l’affaire soit jugée en Espagne, se réjouit de cette décision, qui montre que la justice américaine est prête à prendre en compte « l'histoire complète de la peinture », et à reconnaître la souveraineté nationale et les lois d'autres pays : « un pays ne peut pas décider d'être le tribunal du monde ».

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