Photographie

Un entretien exclusif avec la photographe Sabine Weiss

Par Fabien Simode · lejournaldesarts.fr

Le 12 novembre 2008 - 858 mots

PARIS [12.11.08] - À 84 ans, Sabine Weiss, née Sabine Weber, possède encore l’énergie d’une jeune femme. La photographe Suisse inaugurait mardi 4 novembre 2008 sa nouvelle exposition à la Mep dans le cadre du Mois de la photographie à Paris. Photographe dite « humaniste », Sabine Weiss a collaboré aux plus grands magazines dont la revue L’œil pour laquelle elle a notamment réalisé, pour son premier numéro en 1955, une visite d’atelier d’Alberto Giacometti.

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Comment est née votre collaboration avec la revue L’œil ?
Je ne me souviens plus exactement comment Rosamond Bernier [fondatrice de la revue] m’a passé commande. J’ai pris tellement de clichés dans ma vie. Mais je connaissais bien Giacometti, pour avoir été en classe avec Annette Giacometti, avec qui j’étais restée amie.
Je ne suis pas issue d’un milieu à proprement parlé artistique, mais ma famille s’intéressait à l’art. Ferdinand Hodler avait peint mon père, ma tante, etc. Il existe même un tableau, conservé à Genève, intitulé Les Enfants Weber. Si mes parents n’étaient pas collectionneurs, il s’agissait de travaux de commande. Mais je crois que c’était un soutien de leur part à Hodler. Chez moi, je possède par exemple une des cartes postales représentant de lac de Thoune en Suisse qu’Hodler peignait afin de les vendre aux touristes.

Votre mari, Hugh Weiss, était peintre. Quels autres artistes avez-vous photographié ?
Je me souviens d’avoir photographié Kees Van Dongen. Il peignait le portrait de Brigitte Bardot pour la couverture de Life, une horreur ! J’ai également photographié Braque, Utrillo… Pauvre Utrillo, complètement soumis, dirigé par sa femme. Je me rappelle d’une anecdote : elle peignait également, et un jour elle me dit en me montrant une toile représentant des pékinois : « Regardez, Dieu m’a donné des pinceaux pour me remercier de ce que j’avais fait pour Utrillo ». Alors qu’elle l’avait complètement lessivé !

Après une période d’apprentissage de la photographie chez Boissonas à Genève, une grande dynastie de photographes, vous vous installez définitivement à Paris après la guerre.
Oui, j’arrive en France sans argent, sans studio, sans rien. Mais à l’époque, nous pouvions vivre sans rien. Un ami m’a envoyé chez le photographe de mode Willy Maywald qui m’a prise comme assistante pour m’occuper de ses développements, des lumières, etc. C’était formidable, son matériel tenait dans un petit sac de la taille d’un patin à roulettes. Moi, je portais le pied de l’appareil photo et un second sac contenant deux lampes. C’était restreint !
J’ai retrouvé dans mes archives une boîte de films 8 x 10 inches testés par le laboratoire de Life. La rapidité de film étaient de… 6 ISO, seulement ! Imaginez-vous, à certains moments, la photographie tenait du casse-tête. Elle posait aux photographes des questions techniques terribles. Je me souviens d’en avoir rêvé souvent la nuit.
Dieu merci, grâce à mon apprentissage chez Boissonas et à mon passage chez Maywald, j’étais capable de répondre à toutes ces questions. J’étais une photographe.

Faites-vous la distinction entre vos images plus personnelles sur les enfants et vos travaux de commande, pour la publicité par exemple ?
Non, et je faisais tout le même jour. Je me souviens d’une photo du Maréchal Juin, en 4 x 5, avec les flashs. Je préparais mon matériel dans la chambre avoisinante tandis qu’il téléphonait, mais je rencontrais quelques problèmes techniques. Il m’a alors gentiment proposé de revenir un peu plus tard, avec d’autres appareils. Qui dirait cela aujourd’hui ?
À l’époque, je photographiais tout. Mon mari allait même parfois voir un commerçant en lui proposant de photographier son étalage en échange d’un bifteck.
Les magasins du Printemps m’avaient demandé de photographier leurs vitrines à chaque fois que celles-ci changeaient. Alors je me rendais boulevard Haussmann, avec mon mari, et pendant qu’il discutait avec les passantes, je faisais du « 60 clichés à l’heure ». Un jour, je me rends à Luxembourg pour un portrait post mortem. Le veuf me conduit dans la salle de bain où trempaient dans la baignoire remplie de glace des bouteilles de champagne. C’était la fête. Arrivée dans la chambre, la morte était installée sur le lit dont le mari avait fait repasser les moindres plis. Cela lui avait coûté très cher pour que tout soit parfait. J’installe mon matériel, je m’apprête à photographier quand le mari s’écrie : « Arrêtez, c’est son plus mauvais profil ! » C’était vraiment très drôle.

Travaillez-vous toujours en argentique ?
Mais maintenant, je travaille en numérique ! [Sabine Weiss revient d’un voyage en Chine, partie sur les traces d’Ella Mayar pour un travail de commande] À l’époque pour travailler en couleur, il fallait une série de filtres en verre, c’était lourd ! Je ne pourrais plus les porter aujourd’hui. Alors que désormais, les appareils numériques sont tout petits, rapides… c’est si facile et si bien !

Photographe de rue, emportez-vous toujours un appareil photo avec vous ?
Non, quand je photographie, je ne fais que cela. Et quand j’achète mes carottes, j’achète mes carottes. Si j’ai tout photographié, je n’ai jamais mélangé mes activités.

« Sabine Weiss, un demi-siècle de photographies », exposition à la Maison européenne de la photographie, jusqu’au 25 janvier 2009, www.mep-fr.org

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