Art contemporain

Supports / Surfaces

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 26 octobre 2017 - 1006 mots

Le mouvement apparu en France à la fin des années 1960 bénéficie d’un retour en grâce. Le Carré d’art de Nîmes consacre notamment une relecture de ses origines très attendue.

1- L’expo éponyme

Septembre 1970. Invités du Musée d’art moderne de la Ville de Paris dans sa section de l’Arc (Art-Recherche-Confrontation), Vincent Bioulès, Marc Devade, Daniel Dezeuze, Patrick Saytour, André Valensi et Claude Viallat en envahissent les salles avec tout un ensemble d’œuvres déroutantes. Celles-ci font la part belle à la toile libre, à un accrochage en suspension ou au sol, au pliage, à l’empreinte, à la répétition, etc. Aux yeux de ces artistes, le recours à de telles procédures devrait offrir à la peinture la possibilité de « se développer comme réalité matérielle, posant ses questions, fournissant ses réponses, donnée à voir dans son mouvement même ». Extraites du catalogue de cette exposition, ces paroles sont énoncées par Bioulès, lui-même auteur de l’expression « Supports-Surfaces ». Finalement, le groupe Supports/Surfaces comptera une douzaine d’artistes, pour beaucoup originaires du Sud : Arnal, Bioulès, Cane, Devade, Dezeuze, Dolla, Grand, Pagès, Pincemin, Saytour, Valensi et Viallat.

2- Un concept

Appliquée d’abord et avant tout à toute une production picturale, l’expression « Supports/Surfaces » condense en elle-même les deux éléments majeurs de la fabrique de la peinture. Le support, c’est l’élément, négligeable jusque-là, que les pigments recouvrent, tandis que la surface, c’est ce qui recouvre, ce qui cache celui-ci, le dessus qui se donne à voir. La formule retenue met donc en exergue la problématique des relations entre l’un et l’autre et contribue à souligner ce qu’il en est d’une volonté des artistes d’instruire les termes d’une nouvelle esthétique. Marcellin Pleynet, qui se positionnera comme leur ardent thuriféraire, l’explique ainsi : « Je crois qu’un des aspects de la modernité consiste à mettre en évidence le déroulement formel de l’exécution des peintures, c’est tout au moins ce que l’on dissimulait autrefois. » En conséquence, il s’agit pour l’essentiel sinon d’insister sur l’envers de la peinture, du moins de mettre à vue ce qui la fait. Partant, ce qui fait la sculpture.

3- Avant "Supports/Surfaces"

L’exposition éponyme du groupe s’inscrit dans la suite d’un travail que la plupart des artistes développent dès la seconde moitié des années 1960, dans toutes sortes d’expositions collectives, en phase avec les avant-gardes ambiantes, minimalisme, conceptualisme ou Land Art. Dès 1966, Bioulès et Viallat participent au Musée de Céret à l’exposition « Impact » qui rassemble une trentaine d’artistes (dont Arman, Buren et Toroni) remettant en question le statut et la fonction de l’œuvre d’art. La cinquième Biennale de Paris, en 1967, le Salon de la Jeune Peinture, en 1968 et en 1969, ainsi que quelques expositions ponctuelles passent ainsi comme les lieux incontournables de toutes sortes de recherches et d’expérimentations. Parmi celles-ci, en 1969, deux préfigurent en quelque sorte la constitution du futur groupe : d’une part, « La peinture en question », au Musée du Havre, regroupant Cane, Dezeuze, Saytour et Viallat ; d’autre part, « Coaraze 1969 » qui réunit dans un petit village des Alpes-Maritimes Dezeuze, Pagès, Saytour et Viallat

4- Un débat théorique

L’émergence de Supports/Surfaces est concomitant d’une période où l’œuvre d’art est au centre de tout un ensemble de questionnements sur la production artistique qui procèdent entre autres des travaux engagés dans les domaines aussi variés que la linguistique, l’ethnologie, le marxisme ou la psychanalyse. A propos du support, Daniel Dezeuze parle volontiers du « refoulé de la peinture », tandis que Marcelin Pleynet s’interroge sur la manipulation par les historiens d’art eux-mêmes des œuvres de la peinture, occultant son véritable statut assimilable à celui de la connaissance. « Tant que ne seront pas systématiquement pensés les deux refoulés du code pictural occidental (dialectique de la technique gestuelle et de la couleur), la peinture ne cessera de tomber d’une idéologie dans une autre et sa force de travail se trouvera ainsi forcément toujours détournée », écrit-il dans Tel quel. En cela, Pleynet fait écho au refus de Julia Kristeva de considérer les arts comme des espaces aliénés, comme elle en parle alors dans ses Recherches pour une Sémanalyse (1969).

5- Scission et fortune critique

Aussitôt après l’exposition de l’Arc, des divergences, mais surtout des dissensions idéologiques, adviennent entre certains artistes à grand renfort de tracts et de polémiques provoquant une scission interne du groupe. Le coup de feu est la publication, au printemps 1971, du premier numéro de Peinture, cahiers théoriques dans lequel Arnal, Bioulès, Cane, Devade et Dezeuze affirment vouloir inscrire leur activité plastique dans une réflexion politique basée sur le marxisme, dans la foulée d’un air du temps d’après 1968. Une posture qu’ont refusée Viallat, Valensi, Dolla, Grand et Saytour, soucieux de préserver leur indépendance et de conserver leur liberté d’action. Malgré cela, Supports/Surfaces n’en a pas moins exercé une influence déterminante, bien que parfois un peu étouffante, sur toute une génération d’artistes tant ce qui en fonde la pensée critique s’est imposé comme une doxa dans les écoles d’art. Jusqu’à ce que la possibilité du figurable revienne toutefois à la charge au tournant des années 1980.

6- Une production éclectique

Par-delà ce qui a pu rassembler un moment les artistes de Supports/Surfaces, force est de constater l’éclectisme de leur production. Le recours par Viallat à une forme exclusive, répétée à l’infini sur toutes sortes de supports textiles, n’a rien à voir avec les partitions monochromes de Bioulès, les peintures diffuses de Devade et de Cane, les marquages de Dolla, les collages de Pincemin, les pliages d’Arnal ou les assemblages de Valensi. Le principe de déconstruction du châssis chez Dezeuze et de la toile chez Saytour se distingue des inventaires de Pagès ou des sculptures-structures de Grand. Si les rassemble une forme d’esprit qui procède d’un même soin de travaux pratiques, volontiers didactiques, pour déboucher sur une esthétique revisitant paradoxalement la question de l’abstraction, leurs œuvres sont suffisamment singulières pour les identifier individuellement.

"Supports / Surfaces, les origines, 1966-1970",
jusqu'au 31 décembre 2017. Carré d'art , Musée d'art contemporain de Nîmes, place de la Maison-Carrée, Nîmes (30).
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h. Tarifs: 5 et 3,70. Commissaire: Romain Mathieu
www.carreartmusee.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°706 du 1 novembre 2017, avec le titre suivant : Supports / Surfaces

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