Souvenirs de Cassel

L'ŒIL

Le 1 juillet 2002 - 676 mots

Harald Szeemann
Le Suisse Harald Szeemann, 69 ans, était le directeur artistique de la documenta 5, en 1972. Conservateur indépendant, directeur artistique de la Biennale de Venise en 2001, il vient de concevoir un pavillon pour la Banque nationale suisse, au sein de l’Expo.02, et présente actuellement une exposition « Marcel Duchamp » au Musée Tinguely de Bâle.
L’organisation de la documenta 5 fut vraiment une aventure. Le Fridericianum et la Neue Galerie étaient abandonnés depuis cinq ans et à moitié squattés par des hippies... Avant toute chose, nous avons dû convaincre le ministère de la Construction de nous aider à restaurer les bâtiments, afin d’avoir au moins des murs où accrocher les tableaux ! Nous disposions seulement de 3,5 millions DM, contre plus de 20 aujourd’hui. Mon but était d’essayer d’imposer une autre réception que « ça me plaît/ça ne me plaît pas » ou « je ne comprends pas ». Après coup, je me suis retrouvé sans travail et perclus de dettes. Le chef comptable de la documenta me harcelait et prétendait que j’avais creusé un déficit prémédité ! Je me suis dit alors que je ne voulais plus être directeur d’une institution, que c’était fini. A mes yeux, le maître mot est l’aventure. Ce romantisme m’a toujours animé. J’ai toujours aimé créer ex nihilo, inventer des expositions que les musées ne peuvent pas faire.

Jan Hoet
Le Belge Jan Hoet, 66 ans, était le directeur artistique de la documenta 9, en 1992. Il est depuis 1975 le directeur du Smak, le Musée d’art contemporain de Gand. Il a également été nommé à la tête du Musée Marta, un futur musée d’art moderne et contemporain, de design et d’architecture construit par Frank O. Gehry à Herford (Allemagne), dont l’ouverture au public est prévue en 2004.
La documenta est avant tout un événement. Un événement dont le public a besoin : le public qui ne « s’y connaît pas » a en effet besoin d’être impressionné pour se sensibiliser au monde de l’art contemporain. C’est un véritable outil de démocratisation culturelle, mais attention aux dangers de la mondialisation, aux risques de standardisation ! Cette homogénéisation m’apparaît de plus en plus clairement depuis dix ans. Contrairement aux biennales, dont les délais de préparation sont trop courts, la documenta donne des clés, ouvre des portes. Ces visions sont combinées avec un point de vue personnel, subjectif, un « angle » toujours différent d’une manifestation à l’autre puisque chaque directeur se situe par rapport à ce qui a été fait précédemment. Cela a été pour moi une expérience majeure, même si j’ai pu être supérieur à d’autres moments : ce n’est pas parce que c’est un grand format que cela réussit aussi bien qu’un petit format !

Catherine David
Catherine David, 47 ans, était la directrice artistique de la documenta 10, en 1997. Conservateur au Musée national d’Art moderne, puis à la Galerie nationale du Jeu de Paume, elle dirige aujourd’hui le Musée Witte de With, à Rotterdam. Elle présente actuellement « Beyrouth-Liban » à la Fondation Tapiès, à Barcelone, dont certains éléments seront montrés à Paris cet automne.
Il faut tenir quatre ans sur le bateau, même si ça tangue ! Ce fut une expérience professionnelle et humaine formidable... mais une fois suffit ! La documenta 10 a été la première à être bénéficiaire. Elle a accueilli 600 000 visiteurs et gagné 1,4 million DM. Et pourtant, si vous comparez la documenta avec n’importe quel festival ou biennale, la logistique est une coquille de noix : à mon arrivée, l’équipe artistique ne disposait que de deux secrétaires, d’un comptable et d’un administrateur. Je suis restée sur place les 100 jours, j’étais tous les jours confrontée à de petits problèmes, à de petits stress : un invité qui n’arrive pas, une conférence qui ne correspond pas au programme... Ce qu’on a défendu à travers une documenta fait partie de votre histoire. Il faut ensuite continuer, ne pas baisser la garde. On adopte d’autres méthodes, on fait d’autres choix et on a une autre fonction dans le monde de la Culture.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°538 du 1 juillet 2002, avec le titre suivant : Souvenirs de Cassel

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