Ventes aux enchères

La première vente des collections Aristophil se déroulera le 20 décembre

Par Marie Potard · lejournaldesarts.fr

Le 14 novembre 2017 - 1198 mots

PARIS [14.11.17] - La maison de ventes Aguttes organise la première dispersion des collections Aristophil, la société spécialisée dans le commerce de manuscrits et autographes liquidée en août 2015. 300 ventes sur 6 ans sont prévues.

Aristophil, créée par Gérard Lhéritier dans les années 90, proposait des autographes et manuscrits de personnages illustres à travers des contrats d’investissement promettant des rendements de 8 % en moyenne par an, jamais honorés. Mise en liquidation judiciaire en 2015, ce fut le tour de son fondateur d’être mis en examen la même année pour escroquerie en bande organisée et blanchiment pour fraude fiscale.

Suite à un appel d’offre, la maison de ventes Aguttes a été chargée par le Tribunal de Commerce, d’assurer le transfert, la conservation et la garde de la totalité de la collection Aristophil (précédemment gardée par la société de transport André Chenue), puis d’organiser les opérations de tri et d’inventaire avant de concevoir et mettre en œuvre le processus de restitution à leurs propriétaires. « Beaucoup de monde était intéressé mais finalement, nous avons été les seuls à répondre à l’offre. Notre dossier était bien ficelé et nous avons été retenus », explique le commissaire-priseur.

En tout, 130 000 pièces appartenant à 18 000 propriétaires sont concernées - rassemblant 26 000 contrats dont 56 indivisions (gérées désormais par un administrateur judiciaire - Me Pascal Hotte) et 4500 contrats en pleine propriété (contrats dénommés Amadeus). « 80 % de mon temps a été consacré à ce dossier depuis 1 an. Pour mettre les œuvres en cartons scellés sous contrôle d’huissier et les déménager nous avons utilisé 6 ou 7 camions. Ensuite, nous avons effectué un tri pendant 6 mois, avec l’aide d’une dizaine de personnes à temps plein », raconte Claude Aguttes.

Et pour assurer la garde des biens en toute sécurité, la maison de vente Aguttes n’a pas lésiné sur les moyens : 1 million d’euros en personnel, 700 000 euros en gardiennage, 600 000 euros en assurance mais aussi un budget informatique de 300 000 euros. « Aujourd’hui, tout est informatisé et en moins d’1 minute, on retrouve une œuvre », se félicite Claude Aguttes.

Sur les 18 000 propriétaires, « environ 90 % sont vendeurs. Ils ne veulent pas garder les œuvres », explique-il. « Je me suis rendu dans une vingtaine de villes de province pour rencontrer les propriétaires et leur expliquer comment nous nous occupions de leurs œuvres. Certains d’entre eux ont très mal vécu l’arrêt de la société », poursuit-il.

Compte tenu du volume titanesque d’œuvres, il faudra 300 ventes et au moins 6 ans - certains pensent même à 10 ans - pour tout disperser et ne pas inonder le marché. « 300 ventes en 6 ans, c’est se moquer du monde car cela reviendra à organiser 50 ventes par an. De la folie pour ce petit marché ! », s’insurge Frédéric Castaing, expert en autographes et manuscrits, président de la Compagnie Nationale des experts.

Le Tribunal de Grande Instance a également demandé à Claude Aguttes d’organiser la vente judiciaire des biens propres de la société Aristophil ainsi qu’une petite partie du stock des contrats Amadeus et indivisions (ventes volontaires). Pour l’heure, il a été décidé que les vacations seraient transversales, organisées par thèmes (musique, littérature, Beaux-Arts, Sciences…), chacune comportant des lots phare à plusieurs millions d’euros mélangés à d’autres de moindre valeur. Par exemple, les manuscrits concernant Mozart seront dispersés au cours d’une même vente mais issus à la fois des biens propres d’Aristophil mais aussi des contrats Amadeus et des indivisions.

Une première vente a été fixée au 20 décembre prochain à Drouot. Elle comprend 192 lots pour une estimation de 12 à 16 millions d’euros « et comporte un éventail de toutes les différentes disciplines », indique le commissaire-priseur. Il n’y aura pas de frais vendeur. Parmi les pépites figurent notamment le rouleau manuscrit du Marquis de Sade écrit pendant sa détention à la Bastille, Les 120 Journées de Sodome, 1785 (est. 4 à 6 M€) ; Le 1er Manifeste du Surréalisme, d’André Breton, 1924 (est. 800 000 à 1 M€) présenté avec le Manuscrit Poisson Soluble (est. 1,2 à 1,5 M€), les 7 carnets du Poisson Soluble (2 à 2,5 M€) et Le Second Manifeste du Surréalisme (1 à 1,2 M€) ou encore le manuscrit médiéval Histoire d’Alexandre Le Grand, vers 1480, de Quinte Curce, richement enluminé (300 000 à 500 000 €).

La mise sur pied de cette vente a été laborieuse. « Il a été évoqué au départ que la vacation pourrait être organisée "sous le haut patronage" des 3 compagnies d’experts (CNE, CNES et SFEP) mais ce n’est pas le rôle des associations d’experts », a rapporté Michel Maket, président de la SFEP. « La maison de ventes a cherché désespérément des experts car beaucoup ne souhaitaient pas cautionner ces ventes », a expliqué un connaisseur du marché. Au final, 6 experts ont été chargés d’authentifier et estimer les lots : Claude Otelero (Surréalisme), Jacques Bellini (Livres anciens et rares), la paléographe Ariane Adeline, René Millet (tableaux et dessins anciens), Mario Mordente (histoire postale) et Thierry Bodin (manuscrits, lettres et autographes) qui a pourtant expertisé et vendu plusieurs milliers de lettres à Aristophil…

« Je souhaite le succès de cette première vente mais je crains qu'à moyen et à long terme, la stratégie choisie ne soit pas la bonne. J'avais proposé un collège d’une dizaine d'experts n'ayant pas été liés à Aristophil pour organiser et planifier les ventes à venir », raconte Frédéric Castaing qui s’est toujours opposé à Aristophil. Il poursuit : « Mais le processus a été inverse puisque l'ensemble a été confié à un commissaire priseur - qui s’est chargé lui-même de recruter les experts - qui n'est pas un habitué des ventes d'autographes et qui connaît très peu ce marché ».

Par ailleurs, les indivisaires - représentés par l’administrateur judiciaire Me Hotte - ont souhaité que des professionnels du monde et du marché de l’art soient consultés. Un collège d’observateurs a donc été nommé au cours d’une réunion organisée par l’administrateur le 7 novembre dernier. Ce collège ne regroupe plus que 3 personnalités - Michel Maket, Didier Griffe (expert en mobilier et objets d’art) et Frédérique Mitterrand - puisque le 4e, Henri Vignes le président du Syndicat national de la librairie ancienne et moderne (Slam) vient de se désister. « Nous donnerons notre avis sur l’articulation des ventes, sur éventuellement le choix des lots et des maisons de ventes qui participeront à la dispersion des collections et sur différents sujets liés au programme », a expliqué Michel Maket. « A quoi vont-ils servir ? Ils ne sont pas spécialisés en autographes », rétorque Frédéric Castaing.

Enfin, la décision du 16 mars 2017 a également chargé Aguttes de la coordination des ventes suivantes, qui se dérouleront à partir de 2018. « Compte tenu du volume considérable, nous ne serons pas seuls. D’autres maisons de ventes vont nous épauler », a annoncé Claude Aguttes. Parmi les opérateurs qui pourraient être retenus figurent Osenat, Alde, Ader, Drouot Estimations et Artcurial « mais pour l’instant, rien n’a été arrêté », précise Me Delomel, avocat de l’ADC Lorraine et des 800 consommateurs victimes d’Aristophil qu’il représente.

Légende photo

Marquis de Sade, Manuscrit Les 120 Journées de Sodome, 1785 © Coll. privée / Musée des Lettres et Manuscrits, Paris

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