Art ancien - Attribution

La présentation du « Caravage de Toulouse » à la Brera fait déjà des vagues

Par Carole Blumenfeld · lejournaldesarts.fr

Le 26 octobre 2016 - 571 mots

MILAN / ITALIE

MILAN (ITALIE) [26.10.16] - Le professeur Giovanni Agosti, l’une des figures les plus respectées de l’université italienne, s’est démis de ses fonctions de membre du Comité scientifique de la Pinacothèque de Brera, voulant ainsi protester contre l’exposition du « Caravage de Toulouse ».

Caravage Judith  Holopherne Toulouse
Le tableau Judith tranchant la tête d’Holopherne (c. 1604-1605 ?) découvert dans un grenier toulousain en avril 2014. La peinture est attribuée au Caravage par le cabinet d'expertise Eric Turquin.
© Photo Studio Sebert

La présentation à la Pinacothèque de Brera du tableau trouvé chez des particuliers à Toulouse et donné au Caravage par l’expert Eric Turquin, déclenche une belle polémique non pas sur l’attribution du tableau comme on pouvait s’y attendre, mais bien sur l’événement. Le commissaire de cette exposition n’est ainsi autre que Nicola Spinosa, ancien directeur du Musée de Capodimonte, auquel le cabinet Turquin a demandé de rédiger la notice destinée à vendre le tableau estimé 120 millions d’euros dans la police d’assurance.

Ayant finalement démissionné du comité scientifique de la Brera comme le Corriere de Milan l’a annoncé ce matin, le professeur Giovanni Agosti, un des universitaires les plus respectés d’Italie, connu en France pour son commissariat de l’exposition « Mantegna » au Musée du Louvre avec Dominique Thiébaut en 2008-2009, a adressé un courrier au directeur de la Brera, James Bradburne où il fait part de ses inquiétudes éthiques et déontologiques.

Dans cette lettre dont Le Journal des Arts s’est procuré une copie, il lui demande, en accord avec Stefano Baia Curioni et Fulvio Irace, respectivement membre du conseil d’administration et membre du comité scientifique du musée, de rajouter plusieurs phrases à la fin de son essai dans le catalogue de l’exposition pour bien indiquer que la décision de présenter ce tableau a été prise sans consulter les dits conseils et que l’attribution a été acceptée de manière « acritique » par le musée.

Le principe d’une « présentation ouverte sur une question d’attribution » suggéré en juillet ayant depuis évolué, le professeur Agosti rappelle au directeur que la Brera « n’est pas une galerie privée ou une fondation ». Il pointe le fait que le cabinet Turquin a imposé que le nom de Caravage sur le cartel ne soit accompagné d’aucun point d’interrogation et d’aucune mention « attribué à ».

La Brera a finalement obtenu de faire figurer un astérisque à côté du nom du peintre et plusieurs phrases dans le catalogue assurant ne pas se porter garante des attributions proposées par les propriétaires du tableau ! Une attitude surprenante qui renverse les rôles, l’institution cédant ainsi en quelque sorte le travail scientifique au propriétaire.

Cette lettre pose par ailleurs deux questions : pourquoi ne pas avoir effectué une confrontation entre ce tableau et La Cène à Emmaüs de Caravage conservée à la Brera un jour de fermeture en réunissant les spécialistes comme c’est l’usage en pareil cas ? Pourquoi présenter ce tableau en première mondiale -si on fait acception du tapage médiatique du mois d’avril- à Milan et non en France ?

Si la Pinacothèque de la Brera pourra arguer de sa volonté d’associer le public dans un processus souvent réservé aux initiés ou encore de son désir d’attirer de nouveaux visiteurs sollicités par la couverture médiatique de l’événement, on attend avec intérêt la réponse de la France. Si James Bradburne peut s’offrir ce « dialogue » autour de Caravage qui devrait attirer les foules, c’est parce que la France a laissé la voie libre.

Par ailleurs, la prise de position de Giovanni Agosti devrait avoir le mérite de faire surgir un débat sur l’évolution des pratiques des musées italiens et sur le statut des prêts provenant du marché.

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