La police russe ferme brutalement une exposition antimilitariste

Par Emmanuel Grynszpan, correspondant à Moscou · lejournaldesarts.fr

Le 13 mai 2015 - 597 mots

MOSCOU (RUSSIE) [13.05.15] – A la veille de la grande parade militaire sur la Place Rouge, la police, de mèche avec une télévision locale, a censuré une exposition critique sur ces commémorations.

Les sarcasmes des artistes sur la « victoire sacrée du peuple russe » ne passent pas en Russie. La galerie moscovite S.Art l’a appris à ses dépens, ainsi qu’un artiste et un avocat, tabassés par la police. Le 8 mai, l’artiste Oleg Basov (du groupe Sini Vsadnik) travaillait dans la galerie S.Art, alors fermée au public, lorsqu’on frappe à la porte. C’est un journaliste qui veut lui poser des questions sur l’exposition Nous avons triomphé, inaugurée la veille. Les oeuvres raillent la propagande militariste russe omniprésente en ces célébrations du 70e anniversaire de la « Grande Guerre Patriotique » (c’est son nom officiel en Russie). On voit entre autres une installation où des soldats russes et allemands s’entassent dans un hachoir à viande, dont sort un long ruban de Saint-Georges, symbole de la valeur militaire russe. Ce ruban aux bandes orange et noire est omniprésent aujourd’hui en Russie, accroché à la poitrine de tous les leaders pro-Poutine et des présentateurs télés.

Pendant que les deux hommes discutent, une équipe de télévision de la chaîne Ren-TV (contrôlée par un proche de Vladimir Poutine), fait subrepticement son apparition, caméra en main. Puis ce sont une trentaine de policiers qui débarquent, dont la moitié en civil. L’interview se transforme illico en interrogatoire musclé. « Les policiers ne se sont pas présentés, ils n’ont montré aucun document, rien », raconte Oleg Basov au Journal des Arts. « Un groupe de six policiers m’a entraîné dans une pièce séparée. Ils m’ont frappé au ventre, m’ont menacé et humilié. J’ai appelé à l’aide, mais en vain », poursuit Oleg Basov. Parallèlement, la police procède à une fouille de fond en comble de la galerie S.Art, qui appartient à l’artiste Petr Vois, absent au moment des faits. Oleg Basov profite d’un moment de répit pour appeler son avocat Alexeï Domnikov, qui survient peu de temps après. Ce dernier est également malmené par la police, tandis que les journalistes les interrogent avec une hostilité d’inquisiteur. Domnikov et Basov finissent par être emmenés au poste.

« Ce journaliste a agi comme un cheval de Troie. Il est évident qu’ils étaient de mèche avec la police », s’indigne Basov. De fait, le reportage télévisé n’y est pas allé de main morte : « la police a fermé une scandaleuse exposition nazie à Moscou » ; « oeuvres blasphématoires insultant la mémoire des héros » ; « propagande des valeurs des assassins de la population civile du Donbass » sont les phrases que l’on retient. Pourtant, les artistes de Sini Vsadnik (traduction de « Blaue Reiter » en russe) revendiquent le respect pour les vétérans de la guerre. « Ces oeuvres portent un puissant message pacifiste », se défend Petr Vois (de son vrai nom Petr Tiouleniev). « Ces travaux sont de l’actionnisme politique. Ma galerie est l’une des plus anciennes de Moscou. Elle a toujours été dans l’opposition au pouvoir », poursuit le galeriste. Il note que l’usage de journalistes de la télévision est une nouvelle tactique du pouvoir. « Avant, ils envoyaient des activistes orthodoxes radicaux ou des cosaques intimider les artistes ». Bilan : une dizaine d’oeuvres confisquées, quelques dégâts matériels, et l’ouverture probable d’une enquête contre les artistes impliqués. « Basov peut maintenant s’attendre à une sanction administrative, voire même l’ouverture d’une affaire criminelle », se réjouit un commentaire diffusé dans le reportage de Ren-TV. Les ennemis de l’art contemporain ont triomphé.

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Petr Vois

Légende Photo :
Oeuvres de l'exposition censurée à Moscou © S.Art Gallery

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