Un expert allemand remet en cause l’attribution des bronzes à Michel-Ange

Par Cléo Garcia · lejournaldesarts.fr

Le 12 février 2015 - 703 mots

LEIPZIG (ALLEMAGNE) [12.02.15] – L’historien de l’art allemand Frank Zöllner réfute l’analyse des experts de Cambridge en pointant une absence totale de sources témoignant de la réalisation des bronzes de Rothschild, récemment attribués à Michel-Ange, dans l’atelier de celui-ci ainsi que des indices stylistiques inconsistants.

Dans un article publié dans le quotidien Die Welt, Frank Zöllner, qui enseigne à l’université de Leipzig en sa qualité de spécialiste de Michel-Ange et de Léonard de Vinci, a exprimé son scepticisme devant la récente et sensationnelle réattribution de deux sculptures en bronze, dites « de Rothschild », à Michel-Ange.

Les experts du Fitzwilliam Museum de Cambridge ont affirmé début février 2015 détenir plusieurs indices démontrant que ces nus masculins à califourchon sur des panthères seraient les seuls ouvrages de l’artiste florentin réalisés dans le bronze qui nous soient parvenus. L’historien de l’art allemand, auteur de deux ouvrages (*) de référence sur Michel-Ange et Léonard de Vinci, ne l’entend pas de cette oreille. Même s’il reconnaît la qualité des sculptures, en particulier le traitement des figures humaines, rien ne prouve selon lui la légitimité de cette réattribution « aventureuse », 137 ans après qu’a été retirée la paternité du sculpteur florentin, reçue au XIXe siècle.

« Ces œuvres apparaissent nulle part dans la collection de Rothschild en 1878 et sont attribuées à Michel-Ange, malgré le fait qu’elles ne soient mentionnées dans aucune source connue au XVIe siècle », résume-t-il. C’est précisément cette absence de sources mentionnant l’existence de telles sculptures réalisées par Michel-Ange qui mérite selon lui de reconsidérer les conclusions peut-être hâtives des experts britanniques.

La fonte d’ouvrages en bronze étant un procédé complexe et coûteux qui requiert un équipement adapté, il remarque qu’« aucun artiste n’aurait pu concevoir des sculptures en bronze de cette taille, qui plus est réunissant plusieurs figures, seul et de façon inaperçue dans son propre atelier, pas même Michel-Ange que l’on croit capable de tous les miracles ». Les deux seuls bronzes – aujourd’hui détruits – que Michel-Ange a réalisés, une figure du pape Jules II et un David d’environ 130 centimètres sont en effet connus grâce à de nombreux témoignages livrant notamment des détails pratiques sur l’approvisionnement des fournitures nécessaires ou sur le déroulement des procédés et les difficultés techniques et humaines rencontrées lors de leur production. Selon Frank Zöllner, les chercheurs britanniques font une impasse problématique sur cette question centrale du manque de témoignages et de sources retraçant l’histoire des « bronzes de Rothschild ». Rien ne permettrait, en l’absence de celles-ci, d’attribuer ces bronzes à Michel-Ange.

Délaissant cette composante historique, l’analyse des experts de Cambridge se concentrerait presque uniquement autour d’observations stylistiques, tombant ainsi « dans l’un des plus anciens pièges de l’histoire de l’art : celui du rapprochement par le sujet ». Selon Frank Zöllner, c’est seulement sur la comparaison avec des motifs similaires retrouvés dans des dessins de Michel-Ange et de son entourage que repose l’argumentation des chercheurs qui en devient dès lors insuffisante. C’est en effet un dessin de l’atelier du sculpteur florentin, figurant entre autres un homme nu chevauchant une panthère, qui semble constituer l’indice principal des experts du Fitzwilliam, qui y voient une esquisse préparatoire des bronzes de Cambridge. Frank Zöllner admet une similitude du motif mais attire l’attention sur des différences assez importantes qui laissent penser qu’il pourrait s’agir d’un hasard. Les dissemblances sont en effet plutôt fortes, notamment dans les proportions : sur l’esquisse, la figure humaine paraît toute petite, assise sur une panthère démesurée, tandis que les bronzes montrent à l’inverse des hommes chevauchant des fauves relativement petits. La position du corps est également différente : sur le dessin, le bras de l’homme est tendu à la hauteur de son épaule alors que les nus du bronze lancent leurs poings en direction du ciel.

Les recherches et analyses des experts du Fitzwilliam se poursuivront jusqu’au mois de juillet, après quoi les conclusions seront rendues publiques. En attendant, il est possible de venir admirer le couple de sculptures jusqu’au mois d’août au Fitzwilliam Museum de Cambridge, où les visiteurs affluent depuis février 2015.

(*) A lire

Frank Zöllner, Christof Thönes, Thomas Pöpper, Michel-Ange, l’œuvre complète, Taschen, Cologne 2007.

Frank Zöllner, Léonard de Vinci, tout l’œuvre peint et graphique, 1452-1519, Taschen, Cologne 2007.

Légendes photos

Attribués à Michel-Ange (1475-1564), Bacchants sur des panthères, c. 1506-1508, bronzes, 93 x 80 cm - Photo Fitzwilliam Museum/>
Anonyme, d'après Michel-Ange (1475-1564), Etude avec la Vierge embrassant l'enfant Jésus et autres figures, c.1508, crayon et encre sur papier - Photo Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole

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