Le Château de la Pilule dans l’Aisne, menacé de démolition

Par Margot Boutges · lejournaldesarts.fr

Le 8 juillet 2013 - 782 mots

SAINT-QUENTIN (AISNE) [08.07.13] - Le Château de la Pilule, bâti en 1932, sera-t-il démoli après son compromis de cession à un promoteur immobilier chargé de bâtir des résidences pour seniors ? Depuis la fin de l’année 2012, des défenseurs du patrimoine tentent de sauver l’édifice.

Mêlant art nouveau et art déco et s’inscrivant dans le courant Beaux-Arts par sa silhouette évoquant le XVIIIe siècle, le Château de la Pilule - qui tire son patronyme des activités pharmaceutiques qui occupaient le terrain au XIXe siècle- est régulièrement présenté comme la plus belle demeure de la commune de Saint-Quentin, dans l’Aisne.

Sa façade scandée de colonnes gardées par deux statues de sphinx, ses ferronneries florales, son vitrail animalier, et ses portes en bois de palissandre ornées de marqueterie à motifs géométriques ne manquent en effet pas d’allure.

Mais cette bâtisse de plus de 1 000 m2, élevée en 1932 par les architectes Jaques et André Barbotin (à qui on doit une demeure classée à Ixelles, en Belgique) pour une famille de riches industriels du textile, pourrait bien être démolie prochainement.

En 2008, sa propriétaire et résidente depuis 40 ans, qui ne peut plus assumer la charge du domaine, signe un compromis de vente auprès de la société Aegide/Domitys, groupe de promotion immobilière de résidences pour personnes âgées qui souhaite s’établir sur le domaine de la Pilule.

Le permis de construire, signé en août 2012 par Xavier Bertrand, maire de Saint-Quentin, accorde la démolition de la demeure et la reconstruction d’une résidence sur son emplacement, l’édifice ne répondant pas aux normes d’accessibilité pour handicapés et d’isolation thermique et ne bénéficiant d’aucune protection.

Diffusée dans les médias régionaux à la fin de l’année 2012, l’affaire attire l’attention de Karine Bernard, amatrice d’architecture, qui va se lancer à corps perdu dans la défense de l’édifice, créant notamment en avril 2013 l’association « On n’avalera pas la pilule », soutenue par l’association reconnue d’utilité publique Vieilles maisons françaises qui œuvre pour la sauvegarde du patrimoine architectural privé et diffusant une pétition qui a récolté environ 2 400 signataires.

Tandis que la municipalité saint-quentinoise s’insurge, évoquant « une intrusion au cœur d’une affaire privée », la course à la protection s’organise : le 30 mai 2013, la Commission régionale du patrimoine et des sites (CRPS), qui réunit notamment des membres de la Direction Régional des Affaires Culturelles (DRAC) Picardie, des historiens et des élus locaux, propose à l’unanimité l’inscription de l’édifice, émettant le souhait que le ministère de la Culture aille jusqu’au classement.

L’inscription, qui ne peut-être validée que par un arrêté du préfet de région qui a autorité sur la DRAC, se fait trop attendre pour les défenseurs du patrimoine.

« Nous avons beaucoup de dossiers en cours », explique aujourd’hui la DRAC, ne garantissant en rien que l’édifice sera finalement protégé.

Questionné sur la possibilité de classer ou de poser une instance de classement sur l’édifice, le ministère de la Culture ne s’est pas prononcé. « Le fait que l’édifice datant des années 30 ne soit pas directement rattachable au mouvement art déco ne favorise pas le classement », témoigne une source proche du dossier.

De son côté, Aegide/Domitys n’entend pas renoncer à implanter une résidence sur l’emplacement du manoir. « La DRAC a rendu en mai 2012 un avis favorable à la démolition », explique la porte-parole de la société, évoquant un document dispensant simplement d’effectuer des fouilles archéologiques préalables sur le domaine. La commercialisation des appartements de la future résidence est actuellement en cours.

La vente n’a pourtant pas encore été signée avec la propriétaire de la Pilule. Cette dernière, qui ne savait pas que l’édifice allait être démoli en signant le compromis de vente ne peut aujourd’hui plus se rétracter sans devoir reverser un dépôt de garantie de 10 % du prix de la vente. « Je dois me séparer au plus vite de cette maison », explique la personne âgée qui n’a pas souhaité s’exprimer avantage, évoquant simplement la lassitude d’être « prise en otage dans toute cette affaire. »

L’association de sauvegarde de la demeure recherche aujourd’hui un nouvel investisseur, prêt à acheter et préserver la maison, regrettant que la municipalité ne s’en porte pas acquéreuse elle-même, « pour créer par exemple une antenne du musée saint-quentinois Antoine-Lécuyer, aux espaces d’exposition très étriqué et dont les réserves débordent d’objets Art déco. »

« La Ville a d’ailleurs commandé en 2012 un ouvrage évoquant le patrimoine art déco de la ville dans lequel les décors intérieurs du château de la Pilule sont en bonne place », explique Karine Bernard.

Décors intérieurs qu’Aegide/Domitys n’excluent pas de préserver en partie de la démolition, « si la Municipalité le souhaite » comme l’a déclaré la société.

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