Le célèbre portrait par Fragonard n’est plus celui de Diderot

Par Romain Bouvet · lejournaldesarts.fr

Le 22 novembre 2012 - 693 mots

PARIS [22.11.12] – Suite à l’étude récente d’esquisses de Jean-Honoré Fragonard, le musée du Louvre a révélé que le portrait réalisé par l’artiste et mondialement connu comme étant celui de Denis Diderot ne représentait pas le célèbre penseur français.

Nul besoin d’être un passionné d’art pour avoir en tête le portrait dont il est question. Ces dernières décennies, manuels scolaires et livres spécialisés publient presque systématiquement ce portrait ou celui de Louis-Michel Van Loo, dès qu’il s’agit d’illustrer un texte en rapport avec Denis Diderot.

Cependant, si l’identité du personnage peint par Van Loo ne fait aucun doute – Diderot lui-même le confirme en reprochant à l’artiste de l’avoir représenté « lorgnant, souriant, mignard, avec l'air d'une vieille coquette qui fait encore l'aimable » – il semble que le monde de l’art ait approuvé pendant des siècles une imposture, en voyant dans le portrait de Fragonard une représentation de Diderot. Le Figaro rapporte en effet que le musée du Louvre (qui possède le tableau depuis 1972) avait officiellement réfuté cette attribution, en changeant la notice de l’œuvre.

Difficile d’établir à quand remonte précisément la méprise. Elle se comprend néanmoins aisément, tant l’attitude et la pose affichées par les personnages des deux portraits sont semblables. Les quelques différences que l’on pouvaient relever étaient généralement mises sur le compte des styles d’exécution très différents de Van Loo et de Fragonard.

Certains s’étaient déjà étonnés du fait que Diderot n’avait jamais fait mention dans ses écrits du portrait réalisé par Fragonard. On sait pourtant que le peintre et le philosophe se connaissaient. Le fait que Fragonard ait représenté l’auteur de Jacques le fataliste avec des yeux bleus alors que les descriptions de l’époque et le tableau de Van Loo le présente avec des yeux marron suscitait également l’interrogation.

C’est cependant l’examen d’un dessin présentant des esquisses de Fragonard qui a décidé le Louvre à reconsidérer officiellement l’attribution du portrait de Diderot. Longtemps conservé en mains privées, ce n’est que lors de son passage en vente publique à Drouot en juin dernier que le dessin a attiré l’attention de l’historienne de l’art Marie-Anne Dupuy-Vachey. Le dessin présente dix-huit croquis de portraits, dont treize ont pu être rapprochés de tableaux peints par Fragonard. Mais le réel intérêt du document, c’est que sous chacun des personnages représentés figure une légende. Or, il semblerait que celle qui figure sous l’esquisse correspondant au portrait de Diderot on distingue une inscription – certes illisible - mais qui ne peut en aucun cas être interprétée comme étant le nom du philosophe des lumières.

Si la méprise semble désormais rectifiée, elle laisse tout de même une question en suspens. Qui est l’inconnu représenté par Fragonard en 1769 ? Peut-être une connaissance de l’artiste. Après avoir exposé au Salon en 1767, on sait que Fragonard - représentant d’un style rococo sur le déclin – ne chercha plus la reconnaissance académique, réalisant des commandes privées pour ses relations. Le Louvre penche cependant pour une autre explication et pense pouvoir rapprocher l’œuvre d’une série de « figures de fantaisie » réalisée par l’artiste. Mis en rapport avec ces allégories qui dépeignent des thèmes tels que La Musique, L’étude ou L’inspiration, le portrait inconnu pourrait alors n’être qu’une personnification et non un homme ayant existé. Il est cependant trop tôt pour le dire. L’abbé de Saint-Non, réalisé vers 1769 par Fragonard, fait partie de l’ensemble des figures de fantaisie, mais il n’en reste pas moins la représentation d’une vraie personne. À défaut d’autre chose, la nouvelle notice du catalogue du Louvre Lens présente donc l’œuvre en ces termes : Figure de fantaisie autrefois identifiée à tort comme Denis Diderot.

Si son intitulé est désormais changé, le portrait de Fragonard n’a pas à craindre pour ses quartiers de noblesse. L’imaginaire collectif importe parfois davantage que la réalité historique, et il faudra longtemps pour que l’on ne reconnaisse plus les traits de l’auteur de l’Encyclopédie dans ceux de « l’inconnu » du portrait. La toile sera exposée à l’antenne de Lens à partir du 12 décembre, un sort qu’elle partagera avec quelques œuvres prestigieuses telles que La Liberté guidant le peuple de Delacroix ou le Portrait de Castiglione de Raphaël.

Légende photo

Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) - Figure de fantaisie autrefois identifiée à tort comme Denis Diderot (c. 1769) - Huile sur toile - 81,5 x 65 cm - Musée du Louvre

Louis-Michel Van Loo (1707-1771) - Denis Diderot (1767) - Huile sur toile - 81 x 65 cm - Musée du Louvre

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