Art moderne

Sentiment et culte du fragment antique au Musée Rodin

Par Julien Rocha · lejournaldesarts.fr

Le 20 novembre 2013 - 638 mots

PARIS [20.11.13] – L’exposition mettant en scène la production de Rodin dans son rapport à l’Antique, présentée au Musée départemental de l’Arles antique plus tôt dans l’année, vient occuper les cimaises de la chapelle du Musée Rodin de Paris dans une version plus condensée mais non moins foisonnante, et passionnante.

Se voulant un dialogue entre les antiques de la propre collection de Rodin, sortis pour la première fois des réserves et restaurés pour l’occasion, ceux qu’il a pu admirer au Musée du Louvre et en Italie, et l’œuvre du sculpteur, l’exposition met en scène dans un habile jeu de volumes et de formats les liens unissant la création du maître moderne à celles des maîtres antiques, des années 1870 à sa mort en 1917.

Le voyage en Italie que fait Rodin en 1875 lui fait connaître à la fois l’art de Michel-Ange, dont il apprécie les poses sinueuses et torturées, et l’art de l’antiquité gréco-romaine, dont il retient un profond sentiment de joie, de quiétude et de raison qui marquera dès lors sa vision du corps humain. « L’Antique a su rendre la Vie, parce que les anciens ont été les plus grands, les plus sérieux, les plus admirables observateurs de la Nature qu’il y ait jamais eu. (…) jamais leurs figures ainsi construites n’ont pu s’amollir » écrit Rodin en 1904.

L’exposition montre clairement que son œuvre n’a jamais eu pour vocation de copier servilement l’antique, mais plutôt de s’en inspirer à des degrés divers. En ce sens, elle n’est guère accessible à tous les publics et pénètre davantage l’esprit des connaisseurs de l’Antiquité, plus à même de déceler le « sentiment » de l’Antique perceptible dans chaque œuvre du sculpteur. Mais pour les réticents à ces rapprochements de l’esprit plutôt que de la forme, des citations de Rodin parsèment les socles des chefs-d’œuvre les plus emblématiques, rappelant le lien existant entre le monde ancien et moderne selon la perception de l’artiste.

En parallèle aux œuvres « originales » et plâtres de Rodin, l’exposition présente donc quelques prêts exceptionnels d’antiques du Musée du Louvre (Vénus accroupie, Vénus de l’Esquilin, vase composite à appliques de Canosa), des Musées d’art et d’histoire de la Ville de Genève (Achille combattant), de la BnF (figurine de satyre) et du Museum of Fine Arts de Boston (Tête Warren) qui ont inspiré l’artiste à partir des années 1880. Son impressionnante collection de vases grecs et étrusques, de figurines, statuettes et fragments de statues, présentée à la manière des cabinets de curiosités, témoignent également de son goût immodéré pour les Vénus, les figures mythologiques hybrides mais aussi et surtout des fragments.

En effet, ce que le visiteur retiendra de cette exposition est le « culte du fragment » de Rodin. Le sculpteur se passionne pour l’étrangeté du fragment antique qui se suffit à lui-même : les cassures permettent l’élaboration spirituelle des manques tout autant qu’elles transforment l’objet mutilé en « monstre » mystérieux. Il n’est alors plus étonnant de constater à quel point l’artiste aimait ne jamais finir ses œuvres, leur enlevant un ou plusieurs membres ou laissant à la matière son expression la plus brute. Sa fascination pour la tête hellénistique féminine fragmentaire dite Tête Warren, qu’il avait voulu acheter à son propriétaire, s’est transcrite dans la réalisation d’une Minerve sans casque (prêtée pour la première fois par la National Gallery of Victoria de Melbourne), en réalité portrait d’une aristocrate anglaise privé de partie sommitale, qu’il accommoda en Pallas Athéna ou en Bacchus grâce à des couvre-chefs différents. Toutefois, ses créations les plus émouvantes sont ses assemblages de vases antiques et de plâtres modernes, qui créent des figures hybrides et font de la matière antique une matière constitutive de l’œuvre.

Rodin, la lumière de l’Antique

Commissaire d’exposition : Bénédicte Garnier
Jusqu'au 6 février 2014 - Musée Rodin, 79 rue de Varenne 75017 Paris

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Vue de l'exposition « Rodin, la lumière de l’Antique » au Musée Rodin - Photo Julien Rocha pour LeJournaldesArts.fr

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