Procès des « cols rouges » : objets récupérés ou volés ?

Par Marie Potard · lejournaldesarts.fr

Le 21 mars 2016 - 833 mots

PARIS [21.03.16] - Lors de la première semaine de procès des « cols rouges », les juges ont permis d’établir un schéma type d’escamotage des objets, avec une question centrale : s’agit-il de récupération ou de vol ?

La première semaine du procès des « cols rouges » devant la XVIe chambre correctionnelle de Paris s’est achevée dans une atmosphère pesante. Les débats ont été retardés pendant deux jours par des questions de procédures liées à la nullité de certains PV mentionnés dans l’ordonnance de renvoi. Le tribunal ayant également refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée à cette occasion, plusieurs avocats ont interjeté appel, tandis que l’avocate de M. Lartigue, gérant de l’OVV Massol a annoncé que son client garderait le silence pendant tout le procès, une stratégie à double tranchant.

Les trois jours suivants, près d’un tiers des 45 commissionnaires ont été entendus pour quatre affaires avec un schéma peu ou prou similaire : des successions, des héritiers parfois peu présents, un grand nombre de lots vendus, et ce au sein de ventes courantes, auprès de commissaires-priseurs parfois négligents. C’est dans ce cadre que des lots étaient « récupérés » par les commissionnaires lors des enlèvements, conservés dans des containers à Bagnolet et revendus quelques mois plus tard à Drouot. Toute la question est bien entendu de savoir ce que recouvre ce vocable utilisé par l’ensemble des prévenus. Qu’ils soient jeune, bafouillant et l’air piteux, ou en fin de carrière et doté d’un aplomb caractérisé, chaque commissionnaire parle de lots « récupérés », mais comment le qualifier juridiquement ?

Si le terme de vol a été abondamment utilisé en garde à vue et alors reconnu comme une pratique récurrente, beaucoup reviennent aujourd’hui sur leurs déclarations. « Les enquêteurs voulaient que j’ai volé » indique ainsi un commissionnaire lié à l’affaire du château de Saint Estèphe, âgé de 20 ans à l’époque des faits. Un autre, auditionné à propos de la succession Higgins, assure que les enquêteurs l’ont poussé à employer le mot « vol ». « Si c’est du vol, je le regrette mais à aucun moment, dans ma vie de commissionnaire, j’ai considéré cela comme du vol » a-t-il ajouté. Le deuxième commissionnaire entendu dans cette affaire va dans le même sens : « On m’a fait dire que c’était du vol. Les gendarmes nous ont dit vous avez volé, vous avez volé ! Au bout d’un moment, on est comme une souris au fond d’un trou, on est acculé et on fini par dire n’importe quoi » explique-t-il. Seul l’un des commissionnaires emploie le terme redouté. La pendule escamotée discrètement dans l’appartement de Rueil Malmaison avant l’arrivée du clerc, « Oui, c’est du vol » répond un « col rouge » à la calvitie naissante, peu à l’aise et manifestement rongé par le remords. Quant aux autres, ils assurent qu’ils prenaient les objets non répertoriés dans les inventaires, ceux qui attendaient le passage des chiffonniers. « C’est comme ça que ca marchait (…) on pouvait prendre ce qui coûtait trop cher à transporter » se défend l’un des commissionnaires à l’aplomb incroyable, « tombé » sur deux meubles revendus 1 million d’euros à Drouot, à la galerie Vallois qui avait reconnu la patte d’Eileen Gray. Les bouteilles de Saint-Emilion de la succession Higgins retrouvées dans le box d’un commissionnaire ? « Je ne suis pas compétent pour déterminer si oui ou non ce sont de bonnes bouteilles. Ce n’est pas tant la valeur qui entrait en compte à l’époque, c’était le fait que les objets n’étaient rattachés à personne » explique un col rouge qui apprécie les grands crus.

Les commissionnaires avaient-ils alors l’autorisation expresse des propriétaires ? C’est parfois le cas. L’un des Savoyards précise ainsi : « l’un des héritiers nous a autorisé à prendre des choses dans le grenier ». L’équipe qui a « récupéré » les lots d’Eileen Gray explique de concert : « On n’avait pas d’autorisation pour le faire », mais « c’est comme ca que ca marchait » poursuit l’un deux. Si elle n’est pas expresse, l’autorisation est parfois fondée sur une logique implacable. « Si le commissaire-priseur me dit : prenez ce qui est listé et le reste va au débarras, c’est que je peux le prendre », déduit un commissionnaire. Et lorsque le procureur s’étonne de voir des objets retrouvés dans les containers des cols rouges alors que les héritiers de l’antiquaire décédée étaient sur place lors de l’enlèvement dans l’appartement du boulevard Saint-Germain, le col rouge auditionné use du même esprit de déduction : « Aucun héritier ne m’a dit : non, ça je veux garder. Ils me voyaient faire mais ne m’ont pas arrêté » explique-t-il.

Sur les 250 tonnes d’objets, tableaux ou sculptures retrouvés dans les box de Bagnolet, le tribunal devra déterminer ce qui a été acheté en bonne et due forme, ce qui a été réellement « récupéré » en lieu et place des chiffonniers et ce qui a été tout bonnement volé, un travail gigantesque.

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Des personnes arrivent pour assister au procès de l'"Union des commissionnaires de l'Hôtel des ventes" (UCHV) au Tribunal correctionnel de Paris, le 14 Mars 2016 © Photo THOMAS SAMSON / AFP

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