Archéologie

Pharaon roi divin et homme

Par Stéphanie Pioda · L'ŒIL

Le 1 septembre 2002 - 1529 mots

PARIS

Le Palazzo Grassi consacre son exposition de la rentrée à Pharaon. C’est l’occasion de réunir 300 chefs-d’œuvre des musées les plus prestigieux, et de faire le point sur la place de cette entité divine dans la société égyptienne : il est l’intermédiaire des dieux sur terre, mais son aspect humain est de plus en plus mis en valeur. Axée sur le Nouvel Empire (1500-1075 av. J.-C.), elle apparaît comme complémentaire de la présentation sur des artistes de Deir el-Médineh que le Musée du Louvre vient de proposer.

Qui est Pharaon ? Cette question, à laquelle de nombreux écrits ont répondu, n’a jamais suscité d’exposition. Le Palazzo Grassi comble cette absence en une présentation thématique englobant les facettes de la personnalité officielle et intime de cette figure légendaire. Respectant sa tradition, le Palazzo Grassi a fait appel à un commissaire étranger, Christiane Ziegler, conservateur général chargée du département des antiquités égyptiennes du Musée du Louvre. Celle-ci a réuni un comité scientifique international et propose quelque 300 pièces, dont un tiers provient du Musée du Caire. Sur trois millénaires d’histoire, le Nouvel Empire (1550- 1075 av. J.-C.) a été retenu car il constitue la période la plus riche en mobilier archéologique. Cependant, une galerie de portrait en première partie propose une introduction historique de l’Ancien Empire (2575-2135 av. J.-C.) à l’époque gréco-romaine (332 av. J.-C. - 313 ap. J.-C.), de Khephren à Toutankhamon, des Sésostris à Cléopâtre VII. Le regroupement en trente-et-une dynasties que nous utilisons aujourd’hui est une réalité tardive, définie par Manéthon, prêtre hellénisé du clergé de Ptah au IIIe siècle avant J.-C. Il écrit pour Ptolémée Ier une histoire de l’Egypte compilée dans les Aegyptiaca. Il existe des sources antiques, malheureusement incomplètes –  Pierre de Palerme, Canon royal de Turin, listes royales d’Abydos... –  qui confirment l’ordre de certains rois, mais donnent aussi des noms qui n’ont pu être identifiés par l’archéologie. Le mot « pharaon » nous est transmis par la Bible, et vient de l’égyptien « per-aâ », « la grande maison », qui après avoir désigné le palais, définit son propriétaire. La cour n’usait pas de ce titre honorifique. La titulature égyptienne est déclinée en 5 noms : les noms d’Horus, des Deux Maîtresses, d’Horus d’Or, le Roi de la Haute et de la Basse Egypte et Maître du Double Pays, Fils de Rê et Maître des couronnes. Les noms tels que nous les connaissons sont des adaptations grecques du protocole égyptien, avec des variations : l’Ecole française d’égyptologie préfère désormais Amenhetep à Aménophis, plus proche de la translittération. Ramsès II est l’adaptation du nom de Fils de Rê, « Rê-est-celui-qui-l’a-engendré (Ramsès)-aimé-d’Amon » . Son nom d’Horus « Taureau-victorieux-aimé-de-Maât », ou celui des Deux Maîtresses « Celui-qui-protège-l’Egypte-et-soumet-les-pays-étrangers » expriment un programme politique et des références religieuses.Ces dernières renvoient aux mythes cosmogoniques structurant la société égyptienne et permettent de mieux la comprendre.

La création à l’égyptienne
Au commencement était le Noun. Dans cet océan primordial régnait l’indifférencié, le chaos, l’incréé. Tel était le monde avant la Création. La cosmogonie dite « héliopolitaine », la plus répandue, nous apprend que de cet océan primordial surgit le démiurge – la divinité créatrice – sur un tertre. Cet être parvenu à la conscience, en crachant ou en se masturbant (selon les traditions), donne naissance au premier couple Chou, le Sec et Tefnout, l’Humide. Leur union engendre Geb, la Terre, et Nout, le Ciel. Ces derniers auront quatre enfants : Isis et Osiris, Seth et Nephtys. Toutes les cosmogonies mettent en avant la création du monde par le dieu soleil Rê. Le partage premier active les notions de bon/mauvais, de bien/mal et d’instabilité.
La création est en permanence assiégée par le désordre et la ruine (iséfet) et le monde est menacé de retourner à son état originel, le Noun. Cette bataille pour garantir l’équilibre est au cœur du système pharaonique. La clé de voûte en est le concept de Maât, la Vérité mais aussi l’ordre cosmique, la stabilité. Pharaon est garant de son maintien, et il l’offre aux divinités, signifiant ainsi qu’il remplit son rôle. Maât est représentée par une figure féminine assise portant sur la tête une plume d’autruche, attribut symbolisant la fragilité. Intermédiaire entre les hommes et les dieux, pharaon est roi et prêtre. « Rê a placé le roi N. sur la terre des vivants, pour toujours et à jamais, pour juger les hommes et satisfaire les dieux, pour faire advenir Maât et anéantir iséfet, en donnant des offrandes aux dieux et des offrandes funéraires aux défunts. » Serviteur de dieu, il officie dans les temples, cependant il délègue aux prêtres des différents clergés car il ne peut assurer tous les cultes en Egypte.
Toutefois c’est lui qui est représenté sur les reliefs des temples, effectuant les rituels. La divinité en retour protège le roi, comme ce bélier protégeant l’effigie d’Amenhetep III du Musée de Vienne. Parmi les rituels importants pour Pharaon, notons le culte journalier. Il pénètre dans le saint des saints, où se trouve la statue divine qu’il lave, habille, encense et qu’il alimente par des offrandes. La statue est un point de hiérophanie, que la divinité vient habiter régulièrement, et qu’il faut protéger et soigner. Après 30 ans de règne, Pharaon doit renouveler ses forces vitales : c’est la Fête du Jubilé (Heb-Sed). Il n’est plus prêtre puisque c’est lui qui reçoit le culte, il renoue directement avec le divin. Plus le règne avance, plus les cérémonies se multiplient. Les sculptures le montrent engoncé dans un manteau court, les bras croisés sur la poitrine, il porte une barbe postiche, la couronne blanche (de Haute-Egypte) ou la couronne rouge (de Basse-Egypte).

Pharaon tout puissant
L’image du pharaon a un rôle important dans la propagande politique. Le visage fermé et sévère de Sésostris III annonce un règne strict, contrairement à la délicatesse et la douceur de celui d’Amenhetep III. En ronde-bosse ou en relief, il est présent partout en Egypte essentiellement dans les temples qu’il construit. Cette activité de bâtisseur et le fonctionnement du temple assurent le maintien de la création, l’équilibre universel. Les conquêtes guerrières participent également de la pérennité de la Maât, par cette lutte contre le mal provenant de l’extérieur des frontières. Pharaon porte alors la Khepresh, la couronne bleue. Il est toujours victorieux sur les reliefs, que ce soit réel (bataille de Kadesh par Ramsès II, pylônes du Ramesséum) ou non (représentation rituelle). Tous ces événements importants du règne sont notés scrupuleusement, d’où la grande importance des scribes, hauts fonctionnaires. Le relief du Musée de Florence les montre avec leur palette inclinés devant le roi. La société égyptienne était la plus administrée dans toute l’antiquité. Tout y est
enregistré : les crues du Nil, les récoltes, les livraisons à un temple, et les motifs de retard...

Il est homme avant tout
A partir de traductions nouvelles des textes de littérature profane (Papyrus du complot sous le règne de Ramsès III ou les contes du papyrus Westcare à la cour de Khéops), l’idée monolithique d’un roi intouchable est relativisée car les témoignages contemporains le considéraient comme un être humain à part entière. Les scènes de la vie familiale les plus significatives sont réalisées sous le règne d’Akhénaton-Amenhetep IV. Le roi et Néfertiti semblent très proches, la reine porte une fille sur ses genoux... Toute la famille est présente sur les reliefs de la vie officielle ou privée. Le roi vit avec le harem dans son palais, et le décor de ce lieu est évoqué par celui venant du palais de Mérenptah (Musée de Philadelphie), présenté pour la première fois en Europe.
La dernière demeure de Pharaon est la pyramide à l’Ancien Empire. Au Nouvel Empire les dynasties d’origine thébaine construisent leur tombes dans la Vallée des Rois et des Reines, sur la rive Ouest de Thèbes (face à l’actuelle Louxor). Pour évoquer la richesse du mobilier funéraire, le Musée du Caire a prêté les trésors des rois de Tanis, héritiers du Nouvel Empire. Masques funéraires en or, sarcophages, pectoraux, bijoux, amulettes, oushebtis (serviteurs funéraires) en argent, mobilier, papyrii... assurent une vie dans l’au-delà pour des millions d’années. La présentation exceptionnelle du trésor des trois épouses de Touthmôsis III (Metropolitan Museum of Art, New York) illustre le raffinement des artisans égyptiens. Le défunt jugé, le cœur pesé face à Osiris, roi des défunts, il pourra rejoindre la barque solaire, et continuer sa vie dans l’au-delà.

L’exposition

Cette présentation s’intègre à la politique événementielle du Palazzo Grassi, ayant déjà consacré sa programmation aux Etrusques, aux Phéniciens ou aux Mayas. Pour la première fois tous les aspects de la monarchie pharaonique sont abordés, posant le personnage du Pharaon tel un prisme pour comprendre comment la société égyptienne fonctionne. Des rosettes en faïence mesurant entre 3 et 4 millimètres à la statue colossale de Toutankhamon usurpée par Horemheb, l’accent est mis sur le Nouvel Empire (vers 1550 - 1075 avant J.-C.). Certains ensembles comme le trésor des 3 épouses de Touthmosis III (Metropolitan Museum of Art de New York) ou le décor du palais de Mérenptah (Philadelphie) n’ont jamais été présentés en Europe. Le comité scientifique internationnal de l’exposition propose un catalogue où l’accent est mis sur l’aspect humain du pharaon et sa vie à la Cour.

" Les Pharaons "

Palazzo Grassi, San Samuele 3231, Venise, tél. 041 523 16 80, www.palazzograssi.it, du 9 septembre au 25 mai. Ouvert tous les jours, 10h-19h sauf les 24, 25, 31 décembre 2002 et 1er janvier 2003, 9 euros, tarif réduit 6.50 euros.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°539 du 1 septembre 2002, avec le titre suivant : Pharaon roi divin et homme

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