Zagreb - La conscience aiguë de l’histoire

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 10 octobre 2012 - 1211 mots

La capitale de la Croatie, ancienne étape sur la route de l’Orient-Express, a su conserver les traces de son passé multiséculaire. Y compris celles de la guerre des Balkans, qui resurgit aujourd’hui au travers de la création.

Personne à Zagreb ne l’ignore : les attraits du littoral croate, de ses îles et de ses villes phares (Dubrovnik, Split et Zadar) attirent et fixent au gré du temps les villégiatures. Les Zagrébois eux-mêmes aiment à converser sur leur destination du week-end passé ou à venir au bord de la mer, à une heure trente en voiture. Non que leur ville n’ait à leurs yeux aucun charme. Au contraire, cafés, marché de Dolac – gorgé de fruits, de légumes et de produits du terroir –, ambiance urbaine et vie culturelle invitent à flâner et à goûter à ses multiples propositions. Mais l’Adriatique, la forêt, plus généralement la nature, sont des tentations auxquelles on ne se dérobe jamais. À commencer par celles du mont Medvednica, juste en arrière-plan de la capitale, au nord ; écrin forestier où, entre sentiers de randonnée et, en hiver, pistes de ski, on apprécie paysages et panorama vertigineux sur la ville.

Ville haute
Du mont Medvednica ou, plus près encore, de l’esplanade située à l’arrière de la somptueuse église baroque Sainte-Catherine, dans le quartier de Gradec, centre des institutions gouvernementales, Zagreb expose sans ambages l’évolution urbanistique et architecturale de son territoire qui, du nord au sud, décline d’une manière franche les différentes phases, parfaitement identifiables, de sa construction. Contemplez donc, avant d’entamer une lecture plus précise, ces strates à ciel ouvert renvoyant chacune à l’histoire complexe et mouvementée d’une cité aux dimensions de ville provinciale, devenue en 1991 capitale d’un tout jeune pays des Balkans, la Croatie libérée de plus de huit cents ans de tutelle.

Ville haute – resserrée dans ses demeures anciennes, palais et églises – ou ville basse, la distinction est rapide, l’appréhension à pied aisée. Au premier plan d’abord, la ville haute aux deux quartiers de Gradec et de Kaptol établis chacun sur une colline et autrefois bourgs fortifiés, l’un fondé par les laïcs et un temps ville royale libre, l’autre édifié par des religieux au début du deuxième millénaire avant de devenir siège épiscopal et, aujourd’hui, quartier de la cathédrale.

C’est de l’union de ces deux bourgs, aux identités encore bien marquées et autrefois hautement revendiquées, que naquit au milieu du XVIe siècle Zagreb, dont l’extension ensuite vers le sud déplie en plaine jusqu’à la gare ferroviaire la ville basse au quadrillage parfait issu du plan d’urbanisme élaboré après le tremblement de terre de 1860 qui ravagea la cité.

Ville basse
Artères, espaces verts et blocs imposants d’immeubles néoclassiques ou Art déco tranchent ici avec le dessin sinueux des rues pavées de Gradec, montantes et bordées d’élégantes maisons Renaissance, gothiques ou baroques imprégnées d’architecture austro-hongroise. De même, passé la gare et la voie de chemin de fer – véritable ligne de démarcation entre la ville historique et Novi Zagreb qui, depuis l’entre-deux-guerres, ne cesse de se développer et s’étire désormais bien au-delà de la rivière Save –, c’est une autre cité, héritage de l’époque de l’ex-Yougoslavie, qui se déploie, concentrant la plus grande partie des 780 000 habitants de Zagreb.

Remonter cependant le temps depuis la gare ferroviaire jusqu’à la place du ban Jocip Jelacic, cœur de la ville situé au pied de Kaptol et de Gradec, entraîne davantage dans les charmes insoupçonnés, cachés ou oubliés de cette métropole des Balkans, autrefois étape de l’Orient-Express, comme le rappelle l’élégant hôtel Esplanade, bâti en 1925 pour ses voyageurs. Place du roi Tomislav ou place Nikola Subic Zrinski attenante, la ville basse – tout aussi parée dans ses allées centrales d’espaces verts, de fontaines, de musées, de statues de héros croates et d’anciens palais rafraîchis de couleur pastel – distille ses alignements de constructions néoclassiques.

Les stigmates de la guerre
À quatre blocs d’immeubles à l’ouest, place du maréchal Tito et place Marulic – à rejoindre par la rue Masarykova, du nom du premier président de la Tchécoslovaquie –, université, théâtre national, musées, puis archives nationales et jardin botanique renvoient à d’autres édifices de prestige élevés au XIXe siècle et restaurés récemment. À quelques pas, la place Petar Preradovic propose fleuristes, cafés, restaurants bon enfant tandis qu’en bordure, la rue Ilica, aux nombreuses boutiques, s’ébroue de passants. Longtemps, cette dernière fut la voie la plus longue de la ville (6 km). Son nom inchangé depuis le XVe siècle, comme la lecture topographique de la ville, ramène à cette phrase de Seadeta Midzic, co-commissaire générale du Festival de la Croatie en France, prononcée au cours du voyage : « Chez nous, la conscience de devoir conserver les traces de l’histoire est forte. »

Derrière la douceur de vivre et la tranquillité de Zagreb se pressentent en effet les héritages de l’histoire et le sentiment aigu de devoir en préserver toutes les marques, les faits et les figures emblématiques. Les vieilles rues de Gradec, au calme contrastant avec l’agitation des artères de Kaptol et de la ville basse, ont retrouvé leur appellation autrichienne avec les travaux de restauration entamés depuis les années 1970 dans ce quartier.

La guerre des Balkans, elle aussi, a laissé ses empreintes. Pas tant dans la physionomie de la cité, peu touchée comparativement à d’autres villes de Croatie, que dans les mémoires et la création actuelle, à découvrir en visitant le Musée d’art contemporain et le Lauba, centre d’art contemporain créé par un collectionneur privé.

L’atelier d’Ivan Mestrovic
Figure historique de la scène artistique croate, Ivan Mestrovic (1883-1962) créa et vécut avec sa famille, de 1921 à 1942, dans cet ensemble de maisons du XVIIe qu’il fit aménager en studio et en lieu de vie. Situés à proximité du Musée de la ville de Zagreb, l’atelier et la maison livrent une superbe collection de sculptures réalisées entre le début du XXe siècle et 1942. À cette collection présentée par thèmes et matériaux s’ajoutent dessins et meubles provenant des quarante premières années de la vie de l’artiste. www.mestrovic.hr

Musée des arts appliqués
Logé dans la ville basse, dans un imposant bâtiment néoclassique élevé entre 1882 et 1892, ce musée recèle des pièces d’exception couvrant le deuxième millénaire, notamment la période médiévale. Sculpture, peinture, orfèvrerie, mobilier, art textile et manuscrits enluminés introduisent aux échanges actifs que connut cette région du monde entre l’Orient et l’Occident. Voir aussi la collection de photographies croates, notamment celles de Milan Pavic et de sa femme, Slavka Pavic. www.muo.hr

Musée de la ville de Zagreb
Installé sur les hauteurs de Gradec, dans le couvent Sainte-Claire, du XVIIe, le musée retrace l’histoire de Zagreb, depuis la préhistoire jusqu’à nos jours, tant sur le plan urbanistique, architectural qu’économique, sociologique et culturel. Maquettes, period rooms, tableaux, manuscrits, costumes, objets, affiches… et agencement des salles sur trois niveaux entraînent dans un voyage à travers le temps qui n’oublie pas d’évoquer en fin de parcours le bombardement en 1991 du palais présidentiel. www.mgz.hr

Musée d’art contemporain
Établi à Novi Zagreb depuis son emménagement en 2009 dans l’étonnant bâtiment d’Igor Franic, ce musée aux vastes espaces partagés entre expositions temporaires et collection permanente présente, sur une période allant de 1950 à nos jours, non seulement la scène artistique croate et internationale, mais aussi celle des Balkans et des pays d’Europe centrale. Voir notamment les salles réservées aux groupes Gorgona, Exat 51 et OHO, et celle dédiée à Boris Bucan. www.msu.hr

L’histoire fabuleuse de l’Apoxyomène

Rares sont les grands bronzes antiques qui ont survécu à l’Antiquité. Aussi la découverte en 1996 par un plongeur amateur, au large de l’île croate de Vele Orjule, d’un athlète en bronze de 1,92 m, avec des incrustations de cuivre rouge pour les lèvres et les mamelons, en train de se nettoyer le corps, fit-elle événement. Remonté à la surface en avril 1999 et restauré à Florence (où il fut pour la première fois montré au public) par une équipe italo-croate, l’Apoxyomène, daté pour l’instant du IIe siècle avant J.-C., garde toutefois encore nombre de secrets. D’où venait-il, où allait-il ? Vers Aquilée, Ravenne ou Pula, voire l’île Veli Brijun, où une luxueuse villa romaine avait été élevée ? Mystère.
Exposée jusqu’à présent au Musée Mimara de Zagreb avant sa présentation au Louvre du 21 novembre au 25 février, cette statue à la présence et à la beauté plastique fascinantes devrait rejoindre non le Musée archéologique de Zagreb, comme ce dernier l’espérait, mais celui qui a été spécialement conçu pour son exposition dans l’île de Losinj.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°651 du 1 novembre 2012, avec le titre suivant : Zagreb - La conscience aiguë de l’histoire

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque