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L’expertise des musées selon TripAdvisor

TripAdvisor, une opportunité risquée pour les musées

Le site de tourisme se pose aussi en expert des musées du monde avec une méthodologie opaque. En raison de sa fréquentation, il a un impact auquel certains établissements culturels sont attentifs

Le site pour voyageurs qui recense et classe les hôtels et restaurants du monde entier référence aussi les musées dans une catégorie « À voir, à faire ». Utilisant un algorithme aussi secret que curieux, il s’appuie sur les commentaires des visiteurs et touristes. Les institutions commencent à peine à s’intéresser à cet outil, alors qu’il attire des millions d’internautes dont le pouvoir de recommandation n’est pas neutre pour leur fréquentation.

La mode est au classement. Le Journal des Arts y succombe parfois, d’autres en sont devenus les spécialistes incontestés. Le site internet TripAdvisor en a fait un modèle et classe tout, presque partout. Les top 25 (monde), top 15 (Europe) ou top 10 (pays) comparent les hôtels, restaurants, monuments, plages et même les musées n’échappent pas à la grande notation mutualisée par « le plus grand site de voyage au monde », qui rassemble 250 millions d’avis.

Dans la catégorie « Musées » du TripAdvisor’s 2015 Traveller’s choice, le Metropolitan Museum of Art de New York arrive en tête. Suivent le Musée d’Orsay (premier musée européen), puis le Chicago Institute of Art, le Prado et le Musée du Louvre. Visibles dans les top mondiaux et nationaux, les musées sont d’abord, à l’échelle des villes et régions, une sous-catégorie de la rubrique « à voir ou à faire à… », aux côtés des boutiques, des jardins, des parcs d’attractions… Ainsi, la tour Eiffel s’intercale entre le Musée d’Orsay et Le Louvre, et le jardin du Luxembourg précède l’Opéra. À Lyon, le parc de la Tête d’Or devance la basilique de Fourvière ; le Musée des miniatures et du cinéma, premier musée de la ville, arrive en quatrième place ;  le Musée des beaux-arts est neuvième, tandis que celui des Confluences n’occupe que la 41e place « sur 136 choses à voir » (et septième musée sur vingt-deux). On observe la même hiérarchie difficilement caractérisable à Bordeaux, où le Musée d’Aquitaine (« 21e sur 151 choses à voir »), le Musée des beaux-arts (82e), sont loin derrière la Place royale et l’œnotourisme qui occupent les deux premières places.

La face cachée du référencement
Comment fonctionne cette machine à classements ? Les auteurs d’avis commentent et notent leurs visites de 1 à 5. Ensuite, l’algorithme fait officiellement intervenir quatre critères : le nombre d’avis, la valeur des notes associées, l’actualité d’un avis (un commentaire ancien et lui-même commenté a plus de poids) et enfin le « niveau de qualification » du commentateur (plus on rédige de critiques validées par ses pairs, plus l’importance de sa notation augmente dans le calcul global). Comment sont faites ces pondérations ? C’est la recette secrète de TripAdvisor, qui refuse d’en dire plus et présente simplement le classement comme « issu des préférences des voyageurs ». Seule certitude : le nombre d’avis, au-delà de quelques centaines, a peu d’importance. Dans les activités conseillées à Marseille, le MuCEM (1 500 avis) est loin derrière (15e) les randonnées théâtrales de Marcel Pagnol, pourtant commentées à peine 125 fois.

Les biais sont innombrables, en commençant par la fiabilité des avis. Un groupe de chercheurs italiens a tourné le site en ridicule le mois dernier en créant un faux restaurant rapidement parvenu en haut de la liste des appréciations. Les musées ne sont pas épargnés : un simple coup d’œil sur la page du Musée des beaux-arts de Lyon fait apparaître que sur les trois seuls avis négatifs (sur 822), deux sont écrits par la même personne… Il y a ensuite, comme les classements ci-dessus l’ont montré, une indexation défaillante. Les tours de la Cathédrale de Reims sont notées indépendamment de la Cathédrale. Dans la même ville, l’Abbaye de Saint-Remy comporte une page en français et une en anglais, quand elles devraient être fusionnées et automatiquement traduites. L’indexation problématique touche aussi les thèmes : le top mondial des musées fait se côtoyer Yad Vashem, Inhotim et le Musée de l’air et de l’espace de Washington. Sans parler du nombre d’offices du tourisme parmi les visites les plus conseillées, partout en France…

Enfin, même à supposer des références correctement indexées et des notations selon des critères communs, l’interrogation demeure quant au profil des auteurs d’avis. La notation serait inconsciemment jugée plus valide si elle émane d’un collectif. C’est évidemment faux. Dans un article intitulé « Étudier TripAdvisor. Ou comment Trip-patouiller les cartes de nos vacances », quatre chercheurs (1) des universités Paris V et Paris I ont cartographié la  localisation des commentateurs d’avis (les profils sont publics, via Facebook). Sans surprise, les auteurs de commentaires français sont surtout parisiens. Les musées africains, en dehors des circuits touristiques mondiaux, sont peu notés et leur classement n’a donc aucune valeur intrinsèque.

On compare donc l’incomparable, on hiérarchise par l’absurde : une note grevée par la tiédeur de la bière dans un bistro de musée vaut autant qu’une autre portant sur une exposition temporaire déjà terminée depuis des années. Mais comment critiquer une mission aussi complexe que celle d’un musée comme on critique le menu d’un restaurant ? Impossible. In fine, ce n’est qu’une vague tendance de la qualité d’accueil dans les lieux de prédilection qui est esquissée. Mais d’un point de vue méthodologique, ce type de classement est inutilisable.

Une visibilité attrayante
Faut-il alors ignorer l’intérêt supposé d’un site qui donne des millions d’avis sur les institutions culturelles ? Les musées français divergent quant à l’attitude à adopter. Au Louvre, le community manager lit régulièrement les nouveaux avis (400 par semaine !), met à jour les informations d’une page qu’il administre directement (horaires, tarifs, expositions temporaires, accès, etc.). Au Musée d’Orsay, si on se félicite d’être premier du classement parisien, il aura fallu attendre cette semaine pour que le service des publics du musée rencontre les équipes du site américain.

Sur TripAdvisor, on croise dans les pages lyonnaises des bandeaux publicitaires pour le Musée des Confluences. Il est logique que certains musées achètent des espaces sur le site pour capter un public touristique planifiant leur voyage dans leur ville. Combien de musées achètent de la pub sur TripAdvisor ? Le site n’a pas souhaité s’exprimer sur ces chiffres, ni sur le soupçon légitime de voir un achat publicitaire influer sur un algorithme gardé secret. Le Musée des miniatures et du cinéma, si bien classé à Lyon, affiche dans son entrée l’autocollant de son rang 2014. Le directeur répond parfois aux commentaires, sur la page dont il assure la gestion quotidienne. À l’inverse, au Musée des beaux-arts de Lyon, le community manager ignore TripAdvisor, se concentrant sur des outils propriétaires (sa page Facebook compte 200 000 fans) et sur des outils de contenu comme les audioguides gratuits disponibles sur internet. Sur ces cinq exemples, les comportements sont en phase avec la nature des publics et les objectifs avoués : plus la cible est internationale, plus l’attention portée à TripAdvisor semble haute. Sur les 9 millions de visiteurs du Louvre, 71 % sont étrangers ; ils sont 65 % au Musée d’Orsay. TripAdvisor est une cible captive autant qu’un baromètre incontournable. À Lyon, les touristes étrangers ne sont qu’un tiers au Musée des miniatures et du cinéma (dont la fréquentation a augmenté pour atteindre 175 000 visiteurs par an) et à peine 10 % au Musée des beaux-arts, dont 55 % des 350 000 visiteurs sont lyonnais.

Plus qu’un outil de classement des musées, TripAdvisor apparaît surtout comme un miroir de leurs objectifs. Des petits lieux privés profitent d’un bouche-à-oreille nouvellement centralisé, tandis que pour les grands musées, les commentaires sont une étude de satisfaction gratuite sur un échantillon mondial. Certes, le Louvre n’a pas dû attendre TripAdvisor pour savoir que les files d’attente étaient trop longues et les toilettes trop rares. Mais on n’ignore pas facilement 46 000 commentaires.

Note

(1) Saskia Cousin, Gaël Chareyron, Jérôme Da-Rugna et Sébastien Jacquot, « Étudier TripAdvisor. Ou comment Trip-patouiller les cartes de nos vacances. » EspacesTemps.net, Dans l’air, 29 août 2014, www.espacestemps.net.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°444 du 30 octobre 2015, avec le titre suivant : TripAdvisor, une opportunité risquée pour les musées

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