Quito (Équateur) - Conservatoire d’histoire coloniale en plein air

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 19 mai 2010 - 1167 mots

Capitale de l’Équateur, en Amérique du Sud, Quito garde les traces de la domination espagnole aux xviie et xviiie siècles. Soigneusement restaurée, sa vieille ville marie édifices historiques et bâtiments contemporains.

« Quito, luz de America », disait le libérateur Simón Bolívar. De fait, située sur un plateau à 2 850 mètres d’altitude, la métropole-phare de l’Équateur, deuxième plus haute capitale du monde, est baignée de lumière. L’arrivée en avion sur la cité sud-américaine, cernée de collines verdoyantes et de volcans, est spectaculaire. Mais si Quito scintille, c’est surtout en raison de son centre baroque inscrit au Patrimoine de l’humanité. Malgré une économie « dollarisée » fragile, un pouvoir d’achat parmi les plus bas d’Amérique latine, le vieux Quito a été remarquablement restauré grâce à l’aide internationale, ce qui fait de la capitale l’une des villes coloniales les plus riches et les mieux conservées. De son passé de cité précolombienne, en revanche, peu de traces, si ce n’est quelques antiques bâtiments incas et d’exceptionnels objets d’art visibles au Museo del Banco Central.

Une ancienne colonie, carrefour du brassage culturel
C’est sous domination espagnole, aux xviie et xviiie siècles, que Quito a le plus prospéré. Et cette opulence se ressent dans le raffinement de son architecture, la profusion des ors et décors caractéristique de ses édifices religieux. Les conquistadors ont en effet emmené avec eux des missionnaires franciscains, dominicains, augustins, jésuites. La Couronne espagnole octroyant alors un terrain à chaque ordre, tous ont rivalisé d’ardeur pour construire monastères, couvents, places. En 1534, seulement cinquante jours après la fondation de Quito, les pères franciscains mettaient déjà leur église en chantier. Le franciscain d’origine hollandaise Jodocko Ricke a créé une école chargée d’enseigner l’art et la religion aux enfants indigènes. Si les premiers autels coloniaux sont décorés de peintures et de statues polychromes venues d’Andalousie, rapidement une école authentiquement quiteña émerge.

Baroque, rococo et néoclassique européen sont réinterprétés en fonction des matériaux locaux : pierre, ivoire, noix de tagua, terre cuite, porcelaine, métal, et surtout bois, comme pour cette magnifique Vierge à l’Enfant dans l’église San Francisco.

Ce brassage culturel, qui mêle iconographie chrétienne, croyances incas, talents indigènes et touches andalouses, fait la spécificité de l’école de Quito. Représentations du Soleil en hommage à la divinité inca cohabitent avec Madones à l’Enfant et plafonds d’inspiration mudéjare. Personnages profanes et nus s’intègrent aux scènes religieuses. Certains autels croulent sous les dorures à la feuille, les angelots, les tableaux. Les sculpteurs parent les statues d’accessoires improbables : faux cils, faux ongles, yeux en verre, vêtements brodés de motifs floraux… Les vitraux traduisent le goût des artistes pour les couleurs vives. Au xviiie, une trentaine de guildes contrôlent cette prolifique production.

De la ville patrimoniale classée au nouveau quartier fortuné
Avant de flâner dans ses ruelles pavées, au pied des pentes abruptes volcaniques du Rucu Pichincha (4 790 mètres tout de même !), il faut appréhender la métropole d’en haut, en grimpant au sommet du Montmartre équatorien, le Panecillo. C’est sur ce « Petit Pain », couronné par la kitschissime Virgen de Quito haute de 45 mètres, que les Incas pratiquaient le culte du Soleil. Puis en redescendant, cap sur l’emblématique Plaza de la Independencia. Ce joyau colonial est bordé par le Palacio de Gobierno, aux balcons de fer forgé et à la célèbre mosaïque de Guayasamín consacrée à l’épopée amazonienne de Orellana, le Municipio Metropolitano, avec ses fresques naïves sur la vie quiteña, et la Catedral Metropolitana, où l’on peut admirer la Descente de Croix de l’artiste indigène Caspicara.

Quelques rues plus loin, de la petite Plaza Santo Domingo avec son église éponyme aux dômes illuminés le soir et au plafond mudéjar, on atteint rapidement La Ronda : la rue doit son nom aux sérénades à la guitare qui y étaient données ; elle incarne totalement le charme colonial avec le blanc virginal de ses maisons, le bleu des embrasures, le rouge des brassées fleuries. Derrière chaque porche, un dédale d’escaliers, de passages, de restaurants typiques. Pour une pause déjeuner-shopping, mieux vaut toutefois se rendre au Café Cultural Tianguez, qui squatte la Plaza San Francisco : la cuisine équatorienne y est délicieuse, les prix légers et l’artisanat de qualité. Les vendredis et samedis soir, on peut aussi y écouter des musiciens locaux.

Depuis sa réhabilitation, le Casco Viejo (« vieille ville ») accueille hôtels de luxe et galeries, mais aussi édifices historiques agrémentés d’extensions modernes. C’est le cas de l’ancien sanatorium Rocafuerte de 1903, devenu hôpital militaire en 1922 et transformé à présent en centre de production artistique contemporaine doté notamment des dernières technologies pour les arts visuels. Ou encore du Centro Cultural Itchimbía, dans les hauteurs, qui, outre ses expositions temporaires, offre une vision féerique de jour comme de nuit de la ville.

À partir du Teatro nacional Sucre, la plus belle salle de spectacle de Quito, rénovée en 2003, la Calle Guayaquil mène vers le Centro Nuevo. Le contraste est saisissant entre les édifices baroques parfaitement préservés et ces volumes contemporains de verre et d’acier de la ville nouvelle. El Ejido, le plus grand parc, qui abrite un marché d’art le week-end (très touristique malheureusement), marque l’entrée de cette dernière. Le quartier « Mariscal », le plus branché avec ses boutiques-hôtels, comme le Nü House place Foch, ou ses bars-galeries, tel le Art Forum Café, est à deux pas. À moins d’un kilomètre des petits marchands en grande précarité de la vieille ville vendant pour quelques dollars leurs étoles colorées, on entre ici dans la zone bourgeoise.

Museo nacional del Banco Central del Ecuador

Implanté dans le Centro Nuevo, ce bâtiment moderne, assez laid extérieurement, abrite des collections très intéressantes, de l’archéologie à l’or inca, de l’art colonial à l’art républicain puis moderne. Tout cela est fort bien présenté. La salle archéologique du rez-de-chaussée, consacrée aux cultures précolombiennes, expose poteries, bijoux, outils, masques rituels… On peut voir notamment des canasteros en terre cuite, crânes déformés incas, des géants de Bahia en position rituelle, de superbes figures de Jama Coaque, ces femmes aux bras tendus et paumes ouvertes. On peut admirer aussi des statuettes érotiques de la culture tolita, des vases anthropomorphes et zoomorphes, des figurines funéraires… La salle d’or, comme son nom l’indique, est consacrée au culte du précieux métal, de la préhistoire aux Incas.

Une magnifique parure en or de la culture tolita est aujourd’hui devenue le logo de la banque. Sur la mezzanine, on trouve l’art religieux : des peintures, des sculptures en bois sculpté polychromes, des œuvres insolites, des crèches, calvaires, tabernacles, croix en argent… et même un des rares exemplaires au monde de la Sainte Vierge enceinte.

À l’étage : la période républicaine, avec de magnifiques paysages de jungle et de montagne, mais aussi des portraits d’hommes politiques, des fresques sociales. Les amateurs d’Eduardo Kingman, qui illustre le mouvement indigéniste avec force, ne manqueront pas La Minga, et les fans de Piedad Paredès, La Huida. Enfin, dans la section art moderne, un concentré de tous les grands peintres nationaux : GuayasamÁ­n, Camilo Egas, Araceli Gilbert, Manuel Rendón…

www.museos-ecuador.com

Le Monasterio de San Francisco
C’est le plus vieil édifice religieux du Nouveau Monde. Avec 104 colonnes doriques, un décor baroque fastueux, des peintures de l’école de Quito dont une Vierge ailée de Bernardo de Legarda et un plafond figurant des représentations du Soleil, il associe foi chrétienne et croyances indigènes. Son musée rassemble des sculptures et du mobilier des xvie et xviie siècles, avec de belles pièces d’ébénisterie incrustées de nacre. Une collection d’objets religieux évoque la vie de saint François d’Assise et l’histoire des franciscains. À l’étage se trouve le chœur, où les frères se réunissent encore pour chanter et prier. Dans la Capilla de Cantuña, l’autel et la chaire sont des chefs-d’œuvre de la sculpture sur bois.

La Iglesia de la Compañia de Jesús
Elle brille de tous ses ors, ce serait même l’église la plus couverte d’or du pays ! Ce monument de l’art jésuite colonial a été édifié en 163 ans et a été restauré en 2002. Il illustre la profusion baroque dans tous ses excès. Ses autels sont dorés à la feuille et des fresques de l’école de Quito tapissent ses murs. Les peintures qui recouvrent ses voûtes lui ont valu le surnom de « chapelle Sixtine de Quito », les colonnes s’inspirent de celles de la basilique Saint-Pierre du Vatican. Les trésors les plus précieux, telle la Virgen Dolorosa encadrée d’or et d’émeraudes, sont conservés dans les caves du Banco Central del Ecuador et sortis pour les fêtes religieuses. La sainte patronne de la ville, Mariana de Jésus, canonisée en 1950 par Pie XII, repose au pied de l’autel.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°625 du 1 juin 2010, avec le titre suivant : Quito (Équateur) - Conservatoire d’histoire coloniale en plein air

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