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Qu’est devenu l’ancien label « Patrimoine du XXe siècle » ?

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 18 décembre 2019 - 888 mots

PARIS

Un récent colloque du ministère de la Culture a permis de dresser un premier bilan de ce label devenu depuis 2016 « Architecture contemporaine remarquable ». Il vise à la conclusion d’un accord entre les propriétaires et l’État pour « faire autre chose que détruire ».

La Place d'Armes de Vitry-le-François labellisée "Architecture contemporaine remarquable". © photo G.Garitan, 2013, CC BY-SA 3.0
La Place d'Armes de Vitry-le-François labellisée "Architecture contemporaine remarquable".
Photo artcurial

« On aime l’architecture de ses grands-parents, mais pas celle de ses parents », c’est ainsi que Vincent Lacaille, chef du bureau de la qualité de l’architecture et du paysage au ministère de la Culture, résume le défi auquel répond le label « Architecture contemporaine remarquable » (ACR) : protéger un patrimoine sous-estimé, qui suscite difficilement l’intérêt du grand public, souvent dénaturé voire menacé de destruction. Mais les voies qu’emprunte ce label pour protéger l’architecture des XXe et XXIe siècles ne ressemblent pas à celles qu’utilisent les autres inscriptions du ministère de la Culture. « Monument historique », « Jardin remarquable » ou « Ville ou pays d’art et d’histoire » mettent tous en jeu des dispositifs légaux qui préviennent la destruction ou l’altération du patrimoine protégé. Il n’en est rien avec le label de protection de l’architecture contemporaine, qui dispose seulement d’outils incitatifs et scientifiques.

Impliquer les propriétaires

Connu sous l’appellation « Patrimoine du XXe siècle » jusqu’en 2016, le label devient « Architecture contemporaine remarquable » (ACR) avec la loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine. Le label est attribué par le préfet de Région sur avis de la commission régionale du patrimoine, sur demande d’un propriétaire ou d’un professionnel du milieu. Un changement de nom qui n’est pas que terminologique : la labellisation de l’architecture moderne doit s’étendre aux créations du troisième millénaire, et la référence au XXe siècle est abandonnée, tout comme la notion de patrimoine. Le label ne protégera plus que les bâtiments vieux de 100 ans maximum, et non classés au titre des monuments historiques (auparavant, 1 800 bâtiments cumulaient les deux qualités). La question de l’après-label est donc posée, sans qu’une réponse soit réellement apportée. Pas de parcours fléchés pour les bâtiments qui sortent chaque année de cette tranche temporaire arbitraire, le label ACR n’est pas une « antichambre des monuments historiques ».

Autre nouveauté, toute modification sur le bâtiment doit être signalée au préfet de Région. Là encore, la mesure n’a rien de coercitif, car l’autorité pourra seulement émettre des recommandations, ou bien brandir la menace d’un classement « monument historique », qui encadre strictement les modifications et interdit la destruction. Mais elle a le mérite d’impliquer les propriétaires de ce patrimoine moderne, là où le label « Patrimoine du XXe siècle » était décrit par le conservateur en chef du patrimoine Christian Hottin comme un dispositif « avant tout signalétique » et demandant une « faible mobilisation aux détenteurs du patrimoine ». La simple pose d’une plaque indicative sur le bâtiment résumait les effets de la labellisation jusqu’en 2016.

Créer « de l’architecture à partir de l’architecture »

Avec le label ACR, on promeut donc la discussion visant à un accord entre propriétaires et directions régionales des Affaires culturelles sur des éléments du bâti à préserver. Une démarche qui n’engage à aucune obligation. À Nancy, la destruction imminente d’un bâtiment labellisé appartenant à la banque CIC témoigne de la fragilité de ces accords. Ici, un simple changement de personne à la tête de l’établissement bancaire a fait renoncer celui-ci à la labellisation qu’il sollicitait encore la veille. Jean-Luc André, l’architecte de ce bâtiment au plan hexagonal et aux baies signées Jean Prouvé, s’investit personnellement dans son sauvetage, et s’étonne de la faiblesse du dispositif ACR. « Quelle est la valeur d’un label, questionne-t-il, quand on peut le renier au bout de deux ans ? »

Pour comprendre le label ACR, peut-être faut-il alors cesser de le voir comme un outil de patrimonialisation. « Le but des discussions avec les propriétaires, précise Vincent Lacaille, c’est de susciter chez eux l’envie de faire autre chose que détruire » : apprendre à construire et reconstruire autour d’un bâtiment, plutôt que préserver un supposé état zéro. C’est en ce sens que le label ACR appartient davantage au champ de la création qu’à celui du patrimoine. Ces bâtiments souffrent pour la plupart de leur obsolescence, due à l’évolution des normes, des besoins, aux nouvelles politiques en matière d’isolation, mais surtout aux métamorphoses de leur usage social. En lieu et place de la réponse réflexe de la destruction (faisable et peu coûteuse), le label ACR souhaite inciter les propriétaires à créer « de l’architecture à partir de l’architecture ». Une gageure, car la restauration des édifices récents reste pour l’instant expérimentale, et les entreprises capables d’intervenir sur de tels bâtiments, ou de reproduire leurs composants, sont encore trop rares. C’est là l’un des chantiers auquel les ateliers réunis autour de ce label travaillent.

Le label avance aussi grâce à l’implication des écoles d’architecture dans le processus de labellisation. Dans la sphère universitaire, le label ACR fonctionne comme un outil de capitalisation des connaissances et d’identification des œuvres d’importance. Jean-Paul Midant, enseignant à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville, travaille ainsi à l’attribution du label à des villes nouvelles franciliennes. Un vaste sujet d’étude qui demande de renouveler les méthodes des campagnes de labellisation classiquement patrimoniales : constructions vivantes, les villes nouvelles ne sont pas que de béton et d’acier, elles sont aussi un matériau politique. La préservation de l’architecture contemporaine passe alors par le recueillement d’archives et de témoignages… Même si l’urgence se trouve souvent du côté du bâti : « Plus on attend pour intervenir sur le patrimoine récent, plus il disparaît », alerte Jean-Paul Midant.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°535 du 13 décembre 2019, avec le titre suivant : Qu’est devenu l’ancien label « Patrimoine du xxe siècle » ?

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