Quand la Chine s’éveille

Les Chinois renforcent la protection de leurs biens culturels

Le Journal des Arts

Le 18 décembre 1998 - 1128 mots

Si, sur son territoire, la Chine n’hésite pas à condamner à mort les trafiquants de biens archéologiques et artistiques, elle s’efforce également de favoriser de façon plus diplomatique le retour des objets illégalement exportés. Deux affaires récentes sont venues démontrer sa détermination nouvelle et son désir de coopérer avec la communauté internationale.

PÉKIN - En Chine, de nombreuses statues sont aujourd’hui réduites à de simples torses : en effet, depuis des dizaines d’années, leurs têtes font l’objet d’un commerce clandestin à destination de l’étranger, et la Chine continentale ne s’était, jusqu’à maintenant, guère inquiétée d’y remédier. Toutefois, le climat a changé, et le gouvernement a finalement décidé de mettre un frein à la décapitation de son patrimoine culturel.

En novembre 1997, une tête volée de l’époque Song, dont la disparition avait été signalée un an auparavant dans la province du Henan, a fait surface chez un antiquaire de San Francisco spécialisé en art asiatique. En février, les Douanes américaines lui ont adressé un mandat de saisie. Affirmant ignorer son origine frauduleuse, le marchand l’a restituée sur le champ. Les événements qui ont entouré la disparition, l’identification et, finalement, le retour de la tête Song ont mis en lumière la nouvelle politique de coopération de la Chine avec des organisations internationales, en vue de contrôler le commerce illicite d’antiquités. Contrairement à d’autres biens sortis clandestinement du pays, la provenance de la tête était facilement identifiable, puisqu’elle était classée en objet exceptionnel de niveau I par les autorités culturelles responsables des vestiges. Elle appartenait à une statue en pierre représentant un messager et provenait du tombeau de Yongtai, à Gongyi (Henan).

Dans cette affaire, le ministère de la Sécurité publique a pour la première fois demandé l’aide des Douanes américaines pour le retour en Chine de vestiges culturels. La requête a été adressée peu de temps après une réunion informelle visant à échanger des informations et à mettre en place une coopération plus étroite entre les autorités américaines et chinoises. D’autres événements récents sont à noter, comme la tenue à Pékin du premier séminaire de l’Unesco pour la formation des officiels chinois à la protection des vestiges culturels, ou le retour depuis le Royaume-Uni de nombreux objets sortis illicitement du territoire.

Une saisie inattendue
Si, dans le cas de la tête Song, de longues procédures ont pu être évitées, l’affaire du trésor de Grande-Bretagne – 98 caisses renfermant un ensemble hétéroclite d’objets allant du néolithique à la dynastie des Qing – a traîné six ans avant le retour des œuvres en Chine, au mois de mai.
Au cours de l’été 1994, la police britannique, informée que des biens culturels sortis clandestinement d’Égypte devaient arriver sur les côtes britanniques, a mis la main – accidentellement – sur une cargaison colossale d’antiquités chinoises. L’ambassade de Chine en Grande-Bretagne a été contactée, et des experts du Bureau des vestiges culturels ont été mandatés pour authentifier et identifier les innombrables pièces dont la provenance restait inconnue. Deux ans plus tard, en 1996, Ma Zishu, directeur adjoint du Bureau, s’est rendu à Londres où il a engagé un avocat britannique, puis entamé une procédure civile et dressé l’inventaire des 3 494 objets. Après le classement de l’affaire au pénal, la procédure civile a avancé doucement durant près d’un an. Finalement, les négociations pour la résolution de l’affaire ont commencé au début de l’année 1998 pour se solder par un règlement à l’amiable. Les expéditeurs ont continué de plaider la bonne foi ; ils ont toutefois accepté de restituer quelque 3 000 objets et en ont conservé environ 400 qui, d’après les Chinois, étaient faux ou de fabrication récente et de faible valeur. Ce trésor est le premier lot de biens culturels à avoir rejoint la Chine conformément à la convention Unidroit de 1995 sur les biens culturels volés ou exportés illégalement, depuis que le pays l’a ratifiée en juin 1997.

Une victoire à la Pyrrhus
Malgré l’interminable procédure, l’arrivée de la cargaison a été qualifiée de “grande victoire” par la presse chinoise, qui a estimé qu’il s’agissait du “lot le plus important de vestiges culturels” jamais retrouvé à l’étranger et restitué à la Chine. En juin, pour fêter ce retour, une “cérémonie d’ouverture des caisses” a été organisée à Pékin à l’intention des chaînes de télévision locales. Par ailleurs, au mois d’août, le Bureau des vestiges culturels a monté une exposition très médiatisée au National Museum of Chinese History, sur la place Tienanmen, dans le but de sensibiliser les visiteurs au renforcement des lois pour la protection des biens culturels de la nation, et de faire valoir sa récente victoire dans la chasse aux pillards. “La campagne pour éradiquer l’exportation illicite de vestiges culturels” présentait les quelque 3 000 objets sortis clandestinement de Chine et revenus grâce au renforcement de la législation internationale. Malheureusement, de nombreuses pièces avaient été endommagées durant leurs pérégrinations, et la presse chinoise a considéré qu’elles n’étaient pas “ce que la Chine pouvait offrir de mieux”. En réalité, rares étaient celles qui méritaient d’être classées au niveau I, et même II ou III, selon le système d’évaluation de qualité instauré par l’administration. Wang Xiaotian, chargé de la conservation au musée, a déploré les dommages subis par les œuvres : “Lorsque nous avons ouvert les containers, nous avons été très déçus de découvrir que les objets avaient été sérieusement abîmés. Les chevaux et les figurines en céramique datant de la dynastie des Han étaient pratiquement tous brisés. Nous avons dû faire d’énormes efforts pour les recoller et les restaurer. Normalement, ces objets auraient été classés au niveau I, mais quand ils sont endommagés, ils n’atteignent même pas le niveau III. Les malfaiteurs ne savaient absolument pas comment protéger les robes à motif de dragon de la dynastie des Qing. Protéger ce type de soie exige des techniques de pointe et, lorsque nous avons récupéré les robes, le tissu était déjà moisi et même pourri. Tout cela par la faute des pillards et des contrebandiers.”

Dans les 98 caisses en provenance du Royaume-Uni, ont été retrouvés le haut d’une plaque de pierre pesant plus d’une tonne, des céramiques peintes datant du néolithique, des miroirs et des épées en bronze de la période des Royaumes combattants, des moutons à glaçure bleue et de grandes figurines en céramique de la dynastie des Han, ainsi que des objets décoratifs d’autres dynasties.
Le gouvernement chinois s’efforce d’améliorer ses relations internationales afin de contrôler la circulation de ses vestiges culturels. Ainsi, en début d’année, à Pékin, 80 hauts fonctionnaires ont participé à un séminaire de l’Unesco portant principalement sur les questions suivantes : comment prouver, hors de Chine, que les objets appartiennent au patrimoine culturel chinois ? Comment dresser des inventaires, et comment coopérer avec des organisations internationales, comme Interpol, l’Unesco, la World Customs Organisation et l’Art Loss Register ?

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°73 du 18 décembre 1998, avec le titre suivant : Quand la Chine s’éveille

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