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ENTRETIEN

Michele Zampilli : « Je ne suis pas favorable à la reconstruction de tout ce qui a été détruit »

Architecte et professeur d’université

ITALIE

Le chercheur italien fait le point sur la reconstruction des villages et édifices endommagés par les séismes qui ont ébranlé la Péninsule en 2016 et 2017. Il déplore un manque de moyens et de cohérence de la part des pouvoirs publics.

Le village d'Arquata del Tronto dans les Marches en Italie, après le tremblement de terre en 2016. © Photo Niccolo Noricini Pala, 2016
Le village d'Arquata del Tronto dans les Marches en Italie, après le tremblement de terre en 2016.

Michele Zampilli enseigne la restauration architecturale et urbaine à l’université Rome-III. Il dirige un groupe de recherche chargé d’élaborer les plans de reconstruction de certaines zones touchées par les tremblements de terre qui ont ravagé l’Italie centrale en 2016 et 2017.

Où en est la reconstruction des zones frappées par les séismes ?

Pratiquement à zéro. Aucune église n’a été reconstruite par exemple. Les autorités n’ont effectué que des opérations de mise en sécurité, avec en plus un retard très important. La lenteur de la réaction du Mibact (ministère des Biens et Activités culturels et du Tourisme) a été dommageable. Beaucoup d’édifices qui avaient subi peu de dégâts ont été fragilisés par les nombreuses répliques sismiques et ont fini par s’écrouler. À cela s’ajoute le scandale de la gestion des décombres. Tout n’a pas été déblayé, et des pierres ou des éléments des bâtiments tels que des portails ou des cheminées ont été dérobés pour être revendus. La bureaucratie est tellement lourde que l’on n’arrive pas à avancer. 30 000 personnes, le plus souvent âgées, vivaient dans les zones touchées. Qu’est-ce que cela représente du point de vue électoral ? Rien. L’inertie fera oublier tout ça. Tellement de temps passera que les personnes âgées seront décédées et que les plus jeunes auront refait leur vie ailleurs. Il y a le risque que l’on reconstruise pour personne, que l’on fasse des villages fantômes.

Comment envisagez-vous la reconstruction ?

Avec inquiétude. Les séismes ont touché 131 communes dans lesquelles plus de 240 000 édifices ont été endommagés de manière plus ou moins grave. Le gros problème de ces petits centres urbains montagneux, c’est qu’ils étaient déjà dépeuplés avant les tremblements de terre. Sauf pour leurs habitants, la reconstruction n’est pas une urgence. L’État ne s’implique pas comme il le devrait. Il a pourtant mis à disposition de l’argent, mais mal. Le choix a été fait de financer d’abord la reconstruction des habitations privées, en donnant de l’argent aux propriétaires. Le risque maintenant, c’est que les maisons soient reconstruites avec un bâti de piètre qualité. Il faudrait faire des « consortiums » de propriétaires et établir un plan d’ensemble pour la reconstruction. Cela a été fait de manière très partielle voire pas du tout.

N’avez-vous pas commencé ce travail avec votre centre de recherche ?

Pour Arquata del Tronto [commune de la province d’Ascoli Piceno dans les Marches], nous avons établi les lignes directrices pour les interventions sur le patrimoine historique. Nous devons nous coordonner évidemment avec la surintendance. Notre rapport est terminé depuis septembre dernier, et nous n’avons toujours pas obtenu de rendez-vous. Des études très approfondies ont été menées en prenant en considération les aspects à la fois urbanistiques, économiques, sociaux et historiques de la reconstruction. La municipalité d’Arquata del Tronto aura une vision claire de ses problèmes et de ses potentialités et saura ce qu’elle peut faire. Mais les propriétaires de certaines zones sont en train de présenter des projets et personne ne les examine. Les maisons seront reconstruites en bois pour qu’elles soient plus résistantes aux séismes. On risque d’avoir des villages des Dolomites transposés dans les Apennins. Il faudrait reconstruire avec les mêmes matériaux et en utilisant les mêmes techniques de ces régions d’Italie centrale, naturellement en les améliorant du point de vue antisismique. Le problème est toujours le même après ces catastrophes : conserver l’identité des lieux et la sécurité des habitants.

Mais si ces zones étaient déjà dépeuplées, pour qui et pourquoi reconstruire ces villages ?

C’est le cœur du problème. Est-ce que cela vaut la peine d’investir trois à quatre fois le prix du bâtiment pour le reconstruire alors qu’il servira comme résidence secondaire et sera vide une grande partie de l’année ? C’est un coût important pour avoir simplement de beaux villages de vacances. Mais au-delà de la valeur de ces zones montagneuses du point de vue de l’identité culturelle, historique et patrimoniale, il s’agit de lutter contre le péril hydrogéologique qui menace 75 % du territoire de la Péninsule. On le voit avec les éboulements de terrain, les inondations à répétition, des phénomènes qui sont aggravés par l’abandon des campagnes, le manque d’entretien des forêts et des fleuves. On ne pourra évidemment pas faire revenir des millions d’habitants, mais il faut inciter les jeunes à y retourner en leur permettant de développer de nouvelles activités économiques liées à l’agriculture et au tourisme par exemple.

Comment faire concrètement ?
Le village d'Arquata del Tronto dans les Marches en Italie, après le tremblement de terre en 2016. © Photo Niccolo Noricini Pala, 2016, CC0 1.0.
Le village d'Arquata del Tronto dans les Marches en Italie, après le tremblement de terre en 2016.

Je ne suis pas favorable à la reconstruction de tout ce qui a été détruit. Il faudrait avoir le courage de rassembler la population dans un centre urbain que l’on reconstruirait de manière adéquate, au lieu d’éparpiller les gens entre différents petits villages. Amatrice, Accumoli ou Arquata del Tronto, qui sont des symboles, doivent bien sûr être reconstruits. Les communes doivent impérativement bénéficier du soutien de l’État pour lancer des plans sérieux pour la reconstruction ; or les études préliminaires coûtent de l’argent et le gouvernement les finance mal. Pour faire un plan de reconstruction de six centres historiques de la commune d’Arquata del Tronto, il a mis à disposition 400 000 euros. Avec cette somme on n’en fait même pas un ! Les architectes concevront des projets simples sans vraiment les approfondir et préféreront se consacrer à des chantiers plus rémunérateurs.

Les tremblements de terre ne sont pas des phénomènes nouveaux en Italie. Le passé n’enseigne donc rien ?

Non malheureusement. Ces cinquante dernières années, nous avons subi des séismes dévastateurs : en 1968, 1976, 1980, 1997, 2009, 2014, 2016, 2017. Les reconstructions des années 1960-1970 ont été mieux faites car il y avait un autre type de gouvernement, sur le plan aussi bien national que régional. À l’époque, par exemple, on a misé immédiatement sur le sauvetage des biens culturels, ce qui a permis de sauver les églises, les palais historiques… puis peu à peu les habitations. Mais maintenant on travaille dans l’urgence sans savoir ce que l’on doit faire. Avant il y a une « culture sismique locale » avec des critères de prévention traditionnels appliqués à la construction des bâtiments. Malheureusement ça s’est perdu. La spéculation immobilière des années 1970 s’est accompagnée de l’usage de techniques modernes qui aggravent les dégâts en cas de tremblement de terre. C’est évident qu’ouvrir des grandes fenêtres ou ajouter du béton armé sur le toit fragilisent les structures. On a commencé à le comprendre avec le séisme de L’Aquila en 2009. Souvent les techniciens au niveau local n’ont pas les compétences adéquates ni la sensibilité nécessaire pour s’occuper des bâtiments historiques.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°541 du 13 mars 2020, avec le titre suivant : Michele Zampilli, architecte et professeur d’université : « Je ne suis pas favorable à la reconstruction de tout ce qui a été détruit »

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