Art contemporain

Martin Barré

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 24 novembre 2020 - 706 mots

PARIS

« Mon ami Serge a acheté un tableau. C’est une toile d’environ un mètre soixante sur un mètre vingt, peinte en blanc. Le fond est blanc et si on cligne des yeux, on peut apercevoir de fins liserés blancs transversaux. »

Tout le monde se souvient de Pierre Vaneck, seul en scène, introduisant en 1994 la pièce Art de Yasmina Reza. La pièce aux deux Molières raconte le conflit entre trois amis né de l’achat, pour 200 000 francs, d’« une merde blanche », selon le jugement de Marc (joué par Vaneck), violemment hostile à l’art contemporain. Mais se souvient-on que la pièce eut pour point de départ un véritable tableau, vu un jour chez un ami collectionneur par la dramaturge ? L’œuvre – en réalité de 147,5 x 140 cm – est une acrylique sur contreplaqué intitulée 76-77-B-147,5x140. Elle fut peinte en 1976-1977 par Martin Barré (1924-1993) et se trouve aujourd’hui dans la rétrospective que consacre le Centre Pompidou au peintre, l’un des plus intéressants de sa génération.

Ailleurs

Né six ans après le Carré blanc de Malevitch, en 1924, Lucien Michel, dit Martin Barré, étudie d’abord l’architecture à Nantes – son père était architecte et ses grands-pères charpentiers –, avant de tourner casaque : il deviendra peintre. En 1943, Lucien arrive à Paris et s’inscrit à l’Académie de la Grande Chaumière. Deux ans plus tard, il rencontre Michel Ragon qui l’introduit dans le Tout-Paris de l’art. Le critique lui organisera sa première exposition personnelle en 1955 : « Qui est Martin Barré ? ». Jusqu’à 1954 et sa participation au Salon des réalités nouvelles, Barré se cherche ; il passe d’une figuration à la Miró à une abstraction lyrique à la mode, sans oublier de s’essayer à l’art informel naissant.

« C’est dans le milieu des années 1950 que j’ai commencé réellement de me manifester. Les premières toiles de ces années-là ne ressemblaient ni à l’abstraction géométrique ni à l’abstraction lyrique, dira plus tard Martin Barré. Je cherchais à me situer, disons, ailleurs. » Cet « ailleurs », ce sera la radicalité des pionniers. À tout seigneur, tout honneur : en 1952, le peintre voit enfin des œuvres de Kasimir Malevitch dans l’exposition « L’œuvre du XXe siècle », au Musée national d’art moderne, dont son Carré blanc sur fond blanc, qui le hantera toute sa vie. C’est là que Lucien Michel devient pleinement Martin Barré. L’« ailleurs » est trouvé. Dans ses compositions abstraites au couteau, le blanc prend d’abord de plus en plus d’importance, jusqu’à dévorer ce qu’il reste de couleur. Dans 57-100x100-A,composition quadrangulaire de 1957, le blanc recouvre ainsi les motifs peints jusqu’à devenir forme : un carré blanc – le souvenir de Malevitch, déjà – au centre du tableau. Le tableau devient ainsi un fragment d’espace – Barré n’a jamais caché sa dette envers Mondrian et Yves Klein – quand la forme prend de plus en plus l’apparence de la ligne. L’espace et la ligne composeront donc le vocabulaire de Barré. La ligne, d’abord, appliquée directement au tube de peinture à partir de 1960 puis, dès 1963, à la bombe aérosol, lorsque le peintre découvre les graffitis dans le métro. La ligne, ensuite, quand elle se mue en grille structurante. La ligne, même, lorsque le tableau devient entièrement blanc et restant, pourtant, « riche en événements picturaux ». La ligne, toujours, lorsque la couleur revient au mitan des années 1970. La ligne, enfin, lorsque l’on considère la remarquable constance, la linéarité exemplaire, du travail du peintre.

Longtemps boudée par les institutions, écartée des grandes manifestations « officielles » – Barré était absent de l’exposition « Douze ans d’art contemporain en France » en 1972 –, ignorée par l’histoire de l’art, l’œuvre de Martin Barré n’est aujourd’hui pas à la place qu’elle mérite : la plus radicale de la deuxième moitié du XXe siècle. Elle est à redécouvrir d’urgence au Centre Pompidou.

 

1924
Naissance à Nantes de Lucien Michel, dit Martin Barré
1955
Première exposition personnelle à Paris
1968-1971
Délaisse la peinture pour une période photo-conceptuelle
1969
Première exposition personnelle à la Galerie Templon
1972
Retour à la peinture, à la brosse et à la couleur
1978
Réalisation de L’Indissociable,
14 toiles présentées selon un dispositif (actuellement exposées dans les collections permanentes du Mnam)
1979
Première rétrospective dans un musée, à l’Arc à Paris
1993
Décès de l’artiste le 8 juillet
« Martin Barré »,
Musée national d’art moderne, place Georges-Pompidou, Paris-4e. Tous les jours de 11 h à 20 h, sauf le mardi. Tarifs : 14 et 11 €. Commissaires : Michel Gauthier et Clément Dirié. centrepompidou.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°739 du 1 décembre 2020, avec le titre suivant : Martin Barré

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