Luc Georget

Conservateur du Musée des beaux-arts de Marseille

Le Journal des Arts

Le 14 juin 2002 - 406 mots

Une fois par mois, nous invitons un conservateur à choisir une œuvre de son musée qu’il souhaite mettre en avant et faire mieux connaître au public.
Luc Georget, conservateur du Musée des beaux-arts de Marseille, présente le Faune de Pierre Puget.

Il est peut-être paradoxal dans ce type d’exercice, où l’on s’attendrait plutôt à découvrir une œuvre ou un artiste méconnus, de choisir de parler du Faune de Pierre Puget (Marseille 1620-1693), l’une des pièces les plus fameuses du Musée des beaux-arts de Marseille. Mais là réside justement la force du chef-d’œuvre, c’est que la fascination qu’il exerce n’est pas de celles qui s’épuisent facilement.

La sculpture est singulière à plus d’un titre. Son histoire présente de grandes zones d’ombres. On ignore tout des circonstances de sa création. L’œuvre est inachevée, la main et la jambe gauche attendent leur polissage final : s’agit-il d’une commande inaboutie ou d’un ouvrage que Puget avait commencé de son propre chef puis abandonné ? Nous savons seulement que l’artiste la conservait chez lui à la fin de sa vie, dans le pavillon de Fongate, cette villa à l’italienne qu’il s’était fait construire dans les faubourgs de Marseille et qu’au siècle suivant elle ornait les terrasses du jardin, avant d’être reléguée dans une arrière-cour. Acquis par les Borély au XVIIIe siècle, le Faune de marbre et son esquisse en terre cuite entraient au musée en 1871 avec toute leur collection.

Sculpteur, peintre et architecte, Puget a toujours défendu une haute conception du métier d’artiste, aussi ne doit-on pas s’étonner de discerner dans sa sculpture plusieurs références savantes : le Bacchus ivre, ou L’Esclave rebelle de Michel-Ange, peut-être aussi le Faune dansant, un antique des collections de Mazarin, fort estimé en son temps. Mais Puget ne se contente pas de puiser au vivier sensuel de l’antique, comme à son habitude, il réinterprète ses sources d’une manière profondément originale et personnelle. Le contrapposto est presque trop brutal, la chute de la draperie, surprenante, inattendue, mais tout s’accorde parfaitement pour traduire dans le poids du marbre la danse de la créature dionysiaque. Car le faune danse, tourné sur lui-même, au son de sa flûte de pan et des crotales, ces petites cymbales qu’il tient dans la main gauche. Cette chorégraphie âpre, qui nous évoque L’Après-midi d’un faune de Mallarmé, inspirait à Baudelaire les “impudences de faune” qu’il associait au sculpteur. L’image était forte et convaincante : elle a la toute-puissance des créations de Puget.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°151 du 14 juin 2002, avec le titre suivant : Luc Georget

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