Archéologie - Musée

SITE ARCHÉOLOGIQUE

L’oppidum d’Ensérune dépoussière le musée de site

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 17 juin 2022 - 1025 mots

NISSAN-LEZ-ENSÉRUNE

Le musée du parc archéologique géré par le Centre des monuments nationaux proposera dès juillet un parcours qui établit de nouveaux standards pour les musées de site.

Vue aérienne du site archéologique d'Ensérune : le musée, la maison des fouilles et l'étang asséché de Montady. © Rémy Marion - Pôles d'images - Centre des monuments nationaux
Vue aérienne du site archéologique d'Ensérune : le musée, la maison des fouilles et l'étang asséché de Montady.
© Rémy Marion / Pôles d'images / Centre des monuments nationaux

Nissan-lez-Ensérune (Hérault). L’emplacement est idéal, entre les vignes du Languedoc et l’étang de Montady, curieusement asséché sous une forme d’étoile au XIIe siècle. Pour ne rien gâcher, le canal du Midi passe à ses pieds : de quoi faire de l’oppidum d’Ensérune un passage obligé pour les touristes naviguant entre Béziers et Narbonne. Le Centre des monuments nationaux, gestionnaire du lieu, a flairé le potentiel du parc archéologique à la fréquentation avoisinant 20 000 visiteurs annuels, et investi 7,5 millions d’euros dans la réfection de son petit musée.

Un site ibéro-celte

Au cœur du Grand Site canal du Midi (très valorisé par la région Occitanie), l’oppidum possède un autre atout dans le secteur très concurrentiel des sites archéologiques languedociens : au milieu des nombreux musées et sites traitant de l’Antiquité romaine, il se démarque par son identité ibéro-celte. Car si les Pyrénées nous apparaissent aujourd’hui comme une frontière naturelle entre la péninsule Ibérique et la France, longtemps l’Orb et l’Aude jouèrent ce rôle entre les mondes celte et ibérique. Au point de jonction, le site et ses fouilles ont offert une collection qui représente les cultures en friction sur cet espace, mais aussi celles plus lointaines avec lesquelles elles étaient en contact commercial.

Malgré tous ces atouts, ce musée de site était poussiéreux, vieillot et même décrit comme « plein comme un œuf » par Lionel Izac, l’administrateur du site. Sur les deux étages de la demeure de villégiature transformée en musée dès 1933 – devenant le premier musée de site français –, ce sont 10 000 objets archéologiques qui s’entassaient littéralement sur les étagères. À l’évident problème de muséographie se greffaient des conditions de conservation inquiétantes : avec un écart de 30 degrés entre l’hiver et l’été, le musée ne possédait pas de système de régulation thermique satisfaisant. S’ajoutaient une médiation quasi inexistante (« pas une seule carte ! », souligne Lionel Izac), et un agencement étrange où la boutique-souvenir occupait un quart des espaces, à l’entrée du musée.

En lieu et place de cette boutique démesurée, l’espace introductif cherche désormais à déclencher « l’effet waouh », selon les termes de l’administrateur. Le plaisir des yeux, n’est-ce pas aussi ce que recherchait Félix Mouret (1862-1939), le riche amateur de belles pièces archéologiques qui avait acheté le terrain puis organisé les premières fouilles en 1915 ? Cette mise en appétit rend également hommage à la diversité des objets archéologiques qui ont été retrouvées sur le site. En pénétrant dans l’ancienne villa, on tombe nez à nez avec un très beau vase typiquement celte et ses anneaux réguliers. Le nouveau musée ne joue pas sur le folklore du « village gaulois », puisque, juste en face, ce sont les artefacts grecs et phéniciens retrouvés sur site qui permettent d’introduire l’est de la Méditerranée. Romains, Étrusques, et évidemment Ibères, les groupes qui forment la spécificité du site, sont ainsi présentés en quelques objets et une carte qui apporte des éléments de contextualisation. Il y a désormais six cartes, en comptant celle, au fond d’une niche, sur les contacts entre ces divers groupes.

Un quasi-centre d’interprétation

La seconde partie du nouveau musée s’inscrit plutôt dans les pas de l’abbé Louis Sigal (1877-1945), un enseignant féru d’histoire ancienne, qui ne cherche pas le bel objet mais fouille et relève minutieusement le site ibéro-celte pour en comprendre l’occupation à partir de 1928. Les quatre strates d’évolution de cette agglomération, de 550 à 100 avant notre ère, sont matérialisées à travers une grande maquette en bois, évolutive selon les avancées de la recherche, et dont les couleurs différencient les époques d’occupation. L’objet archéologique, ici plus modeste, est présenté avec parcimonie. Le côté « centre d’interprétation » de cette salle donne un éclairage précieux et concis sur le site avant de partir à sa découverte, notamment pour comprendre les nombreux silos de stockage creusés dans la roche, originalité du parc archéologique d’Ensérune.

Le second étage joue davantage la carte muséale : on y accède grâce à une extension latérale réalisée pendant les travaux qui permet de libérer l’ensemble de la demeure des circulations verticales et de gagner quelques mètres carrés. « Le morceau de bravoure d’Ensérune, c’est sa nécropole », explique Lionel Izac.

Pour le musée, le morceau de bravoure sera sûrement aussi la partie consacrée à cette découverte archéologique qui a fait la réputation du site. Afin de mettre en scène ces tombes peu lisibles aux yeux du non-spécialiste, l’architecte-scénographe Marion Lyonnais a reconstitué une dizaine de spécimens : un exercice muséographique particulièrement réussi. S’ouvrant sur la plus modeste d’entre elles, composée du vase réceptacle des ossements caractéristique de ces inhumations et de quelques objets quotidiens, ce parcours dans le parcours explore dans chacune de ces reconstitutions une problématique précise. L’une recrée par exemple le moment de l’inhumation et celui du dépôt, l’autre détaille l’étagement des objets dans la fosse funéraire, lequel ne doit rien au hasard. Le dispositif permet une compréhension du rituel d’inhumation pratiqué sur l’oppidum, et une appréhension de ses invariants comme l’usage du vase funéraire, et la diversité, le plus frappant étant la qualité de ces vases, variant selon le statut du défunt. Le dispositif en lamelles horizontales découpées qui recrée les fosses évoque la stratigraphie et le travail archéologique, et donne à l’ensemble de la salle une belle lisibilité.

Le parcours permanent du nouveau musée s’achève sur un moment de nostalgie, où l’ancien bric-à-brac archéologique qui l’encombrait reste préservé dans sa forme la plus élégante. Les vases font l’objet d’une présentation typologique et exhaustive, un incontournable du musée de site archéologique, lequel ici ne fera pas fuir les visiteurs. Présentée dans ses vitrines d’origine restaurées, la collection de vases, un ensemble de référence dans le milieu des archéologues, est plongée dans un clair-obscur qui joue délibérément sur l’impact visuel de la sérialité. Avec très peu de cartels et une médiation discrète privilégiant quelques pièces majeures, le lieu recrée certes une sorte de cabinet d’étude, mais veut aussi faire rêver les visiteurs : « On peut tout à fait avoir une approche poétique, esthétique des choses dans cette salle », invite l’administrateur des lieux.

Site archéologique et musée d’Ensérune,
à partir du 6 juillet, 34440 Nissan-lez-Ensérune, www.enserune.fr

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°591 du 10 juin 2022, avec le titre suivant : L’oppidum d’Ensérune dépoussière le musée de site

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