Mécénat

France

Les bons comptes font les bons Amis

Des "bonnes œuvres" aux sociétés para-commerciales

Par Isabelle Spaak · Le Journal des Arts

Le 1 janvier 1995 - 1060 mots

Toujours utiles, quelquefois indispensables, parfois considérés comme un peu gênants, les Amis des musées n’ont pas un statut clairement défini. Bon nombre d’entre eux cherchent aujourd’hui à s’organiser plus efficacement car ils ne veulent plus être considérés comme de simples \"bonnes œuvres\" au service des musées.

PARIS - Il y aurait actuellement en France environ deux mille associations d’Amis de musée, soit une par musée, mais aucun recensement précis ne livre de chiffre exact. Les plus structurées sont réunies au niveau national au sein de la Fédération française des sociétés d’Amis de musée basée à Paris (260 associations, fortes de 120 000 adhérents) ou dans différents groupements régionaux (Groupement Rhône-Alpes, Nord, Midi-Pyrénées et Pays de Loire).

Avec des moyens très inégaux, leur but va de la fidélisation du public – à travers conférences, colloques, et voyages –, à son élargissement – prospection dans les lycées, chez les personnes âgées, dans les entreprises –, tout en mettant un point d’honneur à l’enrichissement des collections.

Certaines sociétés – souvent parisiennes – sont puissantes et organisées. Elles trouvent plus facilement des moyens financiers supplémentaires grâce à leurs relations et à leur carnet d’adresses que par l’augmentation de leurs adhérents. "Il est bien évident que ce ne sont pas les petites cotisations qui font les grosses sommes, avoue Monique Ricour Kenedy, vice-présidente déléguée de l’association des Amis des Arts décoratifs.

Mais nous avons des adhérents qui nous soutiennent fidèlement pour des montants conséquents depuis des années, et nous nous employons à rechercher, en plus, des mécènes qui pourraient être intéressés par des projets particuliers de restauration ou d’acquisition".

En région, d’autres misent davantage, pour fidéliser le public, sur leur efficacité pour organiser des concerts, des colloques, des visites commentées. "C’est en faisant vivre les musées, en les animant, en les rendant indispensables au cœur d’une ville ou d’une région que l’on peut obtenir certaines subventions qui pourraient très bien être attribuées à d’autres institutions", constate Annick Bourlet, présidente de la Fédération française des sociétés d’Amis de musée.

Chacun à sa place
Ces associations sont souvent indispensables pour pallier certaines carences administratives et budgétaires. Elle sont sollicitées par de nombreux conservateurs, comme Bruno Gaudichon, conservateur du Musée d’art et d’industrie de Roubaix, qui reconnaît avoir besoin quotidiennement des compétences des professionnels du textile faisant partie de l’association des Amis pour l’aider à inventorier les collections.

Gilles Grandjean, conservateur au Musée des beaux-arts de Rouen, compte sur un appui financier important (4,5 millions de francs depuis 1989), récolté pour la restauration des œuvres d’art grâce au mécénat d’entreprise institué par son association d’Amis.

Le foisonnement de ces bonnes volontés, structurées en associations loi 1901 (permettant à des personnes ayant des intérêts communs de s’associer à titre bénévole et sans but lucratif), soulève parfois certaines difficultés de trésorerie ou de responsabilité. Il est souvent difficile d’établir des règles générales de fonctionnement, et même de bonne conduite.

Quelques notions essentielles ont dû être précisées dans le Code d’action et d’éthique de la Fédération nationale (avril 1993), comme "le respect mutuel du rôle de chacun" et l’indépendance des structures (secrétariat, trésorerie, organisation des activités et manifestations) "pour ne pas peser sur le musée". Un tel rappel à l’ordre en dit long sur les difficultés pouvant apparaître lors de conflits d’autorité surgissant entre certains conservateurs et des Amis jugés trop envahissants.

"Si les associations s’occupent d’événements ou de projets exceptionnels, nécessaires au rayonnement général du musée et à la recherche de nouveaux financements, c’est très bien", estime Laurent Setton, responsable des Publics et de la Diffusion culturelle à la direction des Musées de France. Ce service avait commandé, en mai 1993, une étude pour encourager la création ou redynamiser plusieurs associations de musées parisiens et de la région parisienne (Musée du Moyen Âge de Cluny, Musées Picasso et Guimet, Musées de Saint-Germain-en-Laye et de Fontainebleau). "Mais je ne suis pas sûr que ce soit à elles de prendre en charge certaines activités commerciales et culturelles qui devraient rester entre les mains du personnel des musées", poursuit-il, au risque de mettre à mal une de leurs raisons de vivre.

Force financière parallèle
Conférences, voyages ou boutiques amènent en effet certaines associations à se constituer en force financière parallèle, gérant des sommes considérables échappant parfois au contrôle des institutions qui les hébergent.

Bien loin de la simple édition de cartes postales chère à de nombreuses petites associations, d’autres, plus structurées, sont à la tête de véritables "entreprises commerciales". La Société des Amis du Musée d’art moderne-Centre Georges Pompidou, présidée par Hélène David-Weill, a créé une collection d’objets d’artistes, proposés en tirages limités – et en priorité – aux membres fortunés de son association (entre 4 000 et 120 000 francs pièce).

La Société des Amis du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, présidée par Henriette Joël, vend, elle aussi, des objets d’artistes contemporains (du coquetier à la sérigraphie signée), mais à des prix plus abordables (de 100 à 4 000 francs). Elle gère également, en tout ou en partie, plusieurs boutiques constituées en Sarl (Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Musée Carnavalet, Petit Palais et boutique Paris-Musées des Halles) ainsi que la librairie du Musée d’art moderne, qui dégage à elle seule plus d’un million de francs de bénéfices par an (seul chiffre communiqué).

Les profits des deux associations se sont accrus rapidement. Ils permettent à la première de participer aux acquisitions du musée – une contribution à l’achat de Bleu I de Miró l’an dernier – et de réunir plus de 350 000 francs chaque année pour constituer une collection parallèle, tenue à la disposition du musée. Les contributions de la seconde ont permis, au cours de l’année écoulée, de participer à l’installation de la Danse de Matisse – à hauteur de 1,5 million sur 3 millions de francs – et à l’équipement informatique du personnel du musée. Ces sommes conséquentes sont utilisées "au coup par coup et sans véritable politique d’ensemble", constate néanmoins Suzanne Pagé, conservateur du Musée de la Ville de Paris.

Dans un pays où les musées sont gérés par les collectivités publiques et où le bénévolat n’est pas considéré comme une nécessité, les associations d’Amis de musée ont du mal à trouver leur juste place. Structures d’appoint, partenaires, ou concurrents profitant des largesses liées aux musées pour créer leur propre société, elles veulent être dans tous les cas considérées comme de véritables interlocuteurs.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°10 du 1 janvier 1995, avec le titre suivant : Les bons comptes font les bons Amis

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