Russie - Archives

Versailles - Saint-Pétersbourg

Les archives des tsars, enjeu d’un chantage politique

Un appel à la solidarité internationale est lancé

Par Elisabeth du Closel · Le Journal des Arts

Le 1 février 1995 - 665 mots

Rassemblées puis entreposées depuis 1918 par les Soviétiques dans des palais désaffectés, les archives historiques d’État de la Russie, ou archives de Saint-Pétersbourg, sont menacées à tout moment de disparaître. Un appel à la solidarité internationale est aujourd’hui lancé pour tenter de réunir les 300 millions de francs nécessaires à la réhabilitation des bâtiments. Un sauvetage qui s’avère indispensable malgré certains obstacles politiques.

VERSAILLES - Sur les bords de la Néva, trois palais se dressent à la gloire de Pierre le Grand. Derrière les façades, un monde en ruine, des murs fissurés, des escaliers délabrés, un risque d’incendie permanent, des infiltrations d’eau, des planchers qui menacent de s’écrouler. Dans ces palais, pourtant, repose la mémoire de la Russie et, au-delà, celle de la construction de l’Europe depuis Catherine II jusqu’à la révolution de 1917. 86 kilomètres linéaires d’étagères croulent sous le poids de 7 millions d’archives.

"Ces bâtiments n’ont jamais été prévus pour contenir tant de documents", affirme Rudolf Pikhoïa, le directeur des Archives d’État de la Fédération de Russie. "Une allumette, et tout brûle. Une intempérie imprévue, et tout sera détruit. Prendre le risque de voir disparaître cette partie de notre patrimoine serait une grande perte pour l’humanité".

À la fin du règne de Gorbatchev, déjà, des personnalités avaient lancé un signal d’alarme. À leur tête, l’antiquaire Yves Mikaëloff. En juin 1993, il créé l’association Barocco, jumelage culturel entre Versailles, cité royale, et Saint-Pétersbourg, capitale impériale, afin de mobiliser des mécènes.

Depuis cette date, et avec le soutien du Conseil international des archives et l’aide de l’Unesco et du Conseil général de l’Europe, différentes missions dirigées par l’équipe de Wolf Buchmann, chef de division aux Archives fédérales d’Allemagne, ont été effectuées pour évaluer les besoins techniques et les coûts. Plutôt que de construire un bâtiment spécialement conçu, il a finalement été décidé de restaurer les monuments et de les aménager en "dépôt d’archives organisé". Habile choix, qui permet ainsi un double sauvetage.

Dix années et un budget de 300 millions de francs sont prévus. La Russie s’est engagée à assumer 50 % des travaux. Pour l’autre moitié, un appel à la solidarité internationale est lancé. Le Lichtenstein a déjà donné une enveloppe de 130 000 francs. La Confédération helvétique a, de son côté, apporté une contribution de 150 000 francs suisses (environ 600 000 francs).

L’attitude de la France
La France ? "Le problème de ces archives est inséparable de la notion de liberté et de nation", précise Alain Erlande-Brandebourg, directeur des Archives nationales. "Il est normal que nous apportions notre contribution. Nous le ferons par des conseils aux architectes et une exposition à l’Hôtel de Soubise, d’avril à juin prochain".

Aucun investissement financier ne semble prévu. Est-ce par manque de moyens ? Ou, comme il est dit au ministère des Affaires étrangères et dans certains milieux intéressés, parce qu’aucun crédit gouvernemental ne sera accordé à cette entreprise tant que les documents volés par les Nazis en 1940 et récupérés par les Soviétiques n’auront pas été restitués dans leur intégralité 1.

Après de nombreuses tractations, une partie des dossiers litigieux a réintégré le territoire français contre la somme de 4 millions de francs, "pour frais de garde". Quant au reste, considéré comme "trophées de guerre", il est toujours bloqué à Moscou. "Cette non-restitution est une affaire russo-russe", estime Charles Kecskemeti, secrétaire général du Conseil international des archives. "Je ne veux pas lier les deux opérations. Il est malheureux que l’on ne soit pas encore parvenu à une solution équitable. Mais il faut voir plus loin".

D’un côté, on répond à des mobiles purement diplomatiques. De l’autre, l’état d’urgence est déclaré. L’amorce d’une solution pourrait-elle être trouvée par l’intermédiaire de la Direction du Patrimoine, comme le laisse entendre Arnaud Ramière de Fortanier, directeur des Archives des Yvelines et conservateur général du patrimoine ? En s’intéressant aux bâtiments, on éviterait ainsi d’évoquer les archives.

1. Les archives volées en France par les troupes hitlériennes concernaient la police, le renseignement, les organisations juives, les communistes, les francs-maçons.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°11 du 1 février 1995, avec le titre suivant : Les archives des tsars, enjeu d’un chantage politique

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