Musée

Le National Museum de Stockholm entre dans le XXIe siècle

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 20 décembre 2018 - 1273 mots

Mettre l’expérience du visiteur au cœur de l’institution, telle est l’ambition du nouveau Nationalmuseum qui, tout en regardant dans le rétroviseur, propose des innovations muséographiques intéressantes.

Le 13 octobre 2018, la paisible Stockholm était en effervescence. Après cinq ans de travaux, le Nationalmuseum rouvrait enfin ses portes et le public était au rendez-vous. Les Suédois étaient venus en nombre assister à l’inauguration du musée par le roi Carl XVI Gustave, en présence de la famille royale. L’ambiance était enjouée, et l’édifice lui-même avait revêtu ses habits de fête. Ce beau bâtiment éclectique avait ainsi été entouré d’un très long ruban rouge terminé par un énorme nœud, offrant une image un peu incongrue mais sympathique. Le message se voulait explicite : ce musée, complètement repensé, est un cadeau pour les visiteurs. L’établissement se présente d’ailleurs comme un « visitor-friendly museum » : un trait d’humour nordique qui en dit long sur la nouvelle identité qu’ont voulu impulser les concepteurs du chantier. Leur défi était en effet de rendre accueillant et chaleureux un bâtiment un brin austère, qui peut facilement impressionner les néophytes avec son allure de temple des arts et du savoir. Bref, de le transformer en un véritable musée du XXIe siècle qui met l’expérience de visite au cœur de sa démarche.

Outre un colossal chantier architectural de mise aux normes de sécurité et de conservation, la rénovation a ainsi porté sur la création de services répondant aux standards actuels de confort (ascenseur, restaurant, boutique). Parallèlement, les cours intérieures ont été ouvertes ; l’une d’elles abritant un joli jardin de sculptures du XXIe siècle conçu à la manière d’un espace de détente baigné de lumière. Après un siècle d’obscurité, la lumière naturelle fait en effet son grand retour. Les verrières ont été retravaillées, et surtout les trois cents fenêtres du monument, occultées au moment de l’arrivée de l’électricité dans les salles, ont été rouvertes. Pour le plus grand plaisir des visiteurs qui découvrent, au gré de cette agréable balade à travers cinq siècles d’histoire de l’art, de formidables points de vue sur la ville et ses monuments.

Renouer avec l’histoire tout en étant tendance

Comme plusieurs grands établissements confrontés aux mêmes problématiques avant lui, le Nationalmuseum a tenté de se réinventer en regardant dans le rétroviseur. Le musée a renoué avec son écrin et les modes de présentation du XXIe siècle, sans céder toutefois à la tentation du pastiche. Le bâtiment a ainsi bénéficié d’une importante campagne de restauration de ses décors, notamment de ses peintures murales et de ses plafonds aux motifs dorés. Ces interventions ressuscitent l’esprit du bâtiment à son ouverture en 1866. Tout comme le retour massif de la couleur dans la muséographie. Fini les murs blancs ou aux couleurs neutres. La couleur revient avec des cimaises bleues, rouges ou encore jaunes. Chaque salle possède ainsi une couleur spécifique, pensée pour sublimer les œuvres et dynamiser le parcours. Ces teintes fortes s’inspirent de la présentation originelle du musée, mais aussi des projets internationaux qui ont récemment fait le buzz, notamment du Rijksmuseum d’Amsterdam.

Le Nationalmuseum a également cédé, à bon escient, à un autre effet de mode : la transversalité. Avant le chantier, les collections étaient accrochées par techniques et par écoles, et de manière très aérée. La refonte a rebattu les cartes. Le parcours a été considérablement étoffé, passant de 1 700 pièces à 5 200 ! Une densification permise par la vaste campagne d’acquisitions, mais surtout par le travail de fond mené sur les collections. Tandis que l’accrochage traditionnel a cédé la place à une présentation transversale mêlant peintures, sculptures, dessins et arts appliqués, offrant ainsi un intelligent panorama de la création occidentale de la Renaissance au XXe siècle. Pédagogique et rythmé, ce parti pris met bien en valeur certains domaines comme le siècle des Lumières. Cette séquence dévoile les trésors de la collection Tessin (Le Triomphe de Vénus de Boucher, La Duchesse de Chartres par Nattier) tout en mettant en scène du mobilier et des objets d’art, notamment dans la section évoquant l’enfance au temps de Rousseau.

Mais la vraie surprise du parcours, c’est le XXe siècle, et plus singulièrement la naissance de l’art moderne. Le musée propose en effet une passionnante plongée dans cette période en mixant des écoles et des courants d’ordinaire hermétiquement cloisonnés. À l’opposé de la fétichisation des chefs-d’œuvre, l’accrochage, presque à touche-touche, mêle les pièces phares avec les œuvres des artistes de leur temps. Ces rapprochements permettent de matérialiser subtilement les transferts esthétiques, la circulation des modèles et les sources d’inspiration communes. La mythique Grenouillère de Renoir dialogue ainsi sans hiérarchie avec des paysagistes suédois, tandis que La Parisienne de Manet retrouve ses congénères immortalisées plus tard par Anders Zorn.

 

Des acquisitions majeures pour la réouverture
Parallèlement au chantier monumental et muséographique, le Nationalmuseum de Stockholm a mené une exceptionnelle campagne d’enrichissement. Cette vague d’acquisitions a symboliquement débuté en 2011, à l’occasion du centième anniversaire des Amis du musée, avec l’arrivée d’une pièce maîtresse : le Dormeur réveillé par une jeune femme tenant une mèche de Nicolas Régnier. L’année suivante, c’est un beau Saint Paul de Jan Lievens qui a fait son entrée à l’inventaire. La politique d’acquisitions a également mis l’accent de manière volontariste sur des créateurs oubliés et notamment des artistes femmes, comme Vallayer-Coster et Haudebourt-Lescot. Mais la peinture ancienne n’a pas été le seul terrain de chasse des conservateurs. Le mobilier moderne a aussi été un axe d’enrichissement remarquable. Le musée s’est notamment doté d’un superbe ensemble Art déco composé d’un cabinet et de deux fauteuils réalisés par Carl Hörvik. Un ensemble au pedigree prestigieux, puisqu’il a été présenté à l’Exposition de Paris de 1925.


Adriaen de Vries, "Psyché portée par les Amours"
Ce bronze maniériste ouvre magistralement le parcours. Il trône en effet au centre de la première salle, réunissant des œuvres italiennes et nordiques de la Renaissance. Cette œuvre virtuose qui défie les lois de la gravité est le pendant de la sculpture d’Adriaen de Vries conservée au Louvre. Ces deux pièces exceptionnelles avaient été fondues pour Rodolphe II. Rapidement considérée comme un chef-d’œuvre, la statue de Stockholm faisait d’ailleurs partie d’un butin de guerre ramené de Prague. 


Alexander Roslin, "La Dame au voile"
Véritable « Joconde » stockholmoise, La Dame au voile est l’un des plus beaux tableaux d’Alexander Roslin. L’artiste suédois, qui a fait carrière à Paris où il était un portraitiste recherché, s’affranchit ici des contraintes de la commande et des codes du portrait, car il ne représente pas une cliente, mais son épouse, la pastelliste Marie-Suzanne Giroust. La grande modernité du tableau réside dans le jeu de séduction entre le peintre et son modèle et le rendu quasi photographique de cette élégante. 


Rembrandt, "The Kitchen Maid"
Bien que le Siècle d’or ne soit pas la période la mieux représentée, le musée peut toutefois s’enorgueillir de posséder plusieurs Rembrandt, dont un autoportrait, un tableau d’histoire et cette jeune fille. Ce tableau délicat malgré de forts contrastes touche par son iconographie humaniste, puisqu’il représente une servante se reposant à la fenêtre. Cette peinture, qui compte parmi les préférées des visiteurs du musée, fait depuis longtemps partie du patrimoine suédois, car elle figurait dans les collections royales. 


Le Trésor
Nouvel espace, le Trésor constitue l’un des temps forts de la visite. Cette salle aux airs de boîte à bijoux réunit en effet plus de mille pièces précieuses de petite dimension : des joyaux, des boîtes, des objets de vertu, des montres et six cents portraits miniatures. Plus grande collection au monde de portraits miniatures, ce fonds comprend entre autres des pièces de Goya et de Peter Adolf Hall, sans oublier le portrait de la reine Elisabeth Ire par le célèbre enlumineur Nicholas Hilliard.

Nationalmuseum, Södra Blasienholmhamnen, Stockholm (Suède),www.nationalmuseum.se

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°719 du 1 janvier 2019, avec le titre suivant : Le National Museum de Stockholm entre dans le XXIe siècle

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque