Livre - Musée

Le Musée des beaux-arts de Caen

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 26 mars 2018 - 1353 mots

Le Musée des beaux-arts de Caen édite un livre de référence sur son histoire. L’occasion de redécouvrir l’institution et sa collection lovée dans une forteresse.

Fièrement campé derrière les murailles quasi millénaires de la forteresse de Guillaume le Conquérant, le Musée des beaux-arts de Caen respire la quiétude. Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi. Depuis sa création, l’établissement a connu un destin mouvementé, émaillé d’épisodes rocambolesques, voire dramatiques. Toutefois, cette histoire passionnante demeure largement méconnue. Jadis… Le Musée des beaux-arts de Caen, l’ouvrage remarquable de Christophe Marcheteau de Quinçay, révèle enfin la trajectoire du musée, depuis sa préfiguration en pleine tourmente révolutionnaire jusqu’à sa destruction à l’été 1944. Comme de nombreuses villes au riche patrimoine, la cité ducale n’a en effet pas été épargnée par l’iconoclasme révolutionnaire. C’est la destruction de la grosse tour du château qui sensibilise les érudits locaux à la protection des principaux « monuments des sciences et des arts ». Dès 1791, une commission statue ainsi sur le sort des œuvres saisies chez les aristocrates émigrés et dans les églises. Ces survivantes constituent le noyau du futur musée.

Un Musée Chaptal

Mais c’est le fameux arrêté Chaptal, instituant les musées de province en 1801, qui pose vraiment les jalons de l’établissement qui s’installe dans l’ancien séminaire des Eudistes, devenu le nouveau siège de l’hôtel de ville. En 1804, date du premier envoi de l’État, la ville voit affluer des chefs-d’œuvre insignes, provenant notamment des collections royales, à l’instar de la superbe Descente de croix du Tintoret et du beau Vénus pleurant Adonis de Poussin, acquis tous deux par Louis XIV en personne. Caen se voit par ailleurs attribuer des œuvres majeures saisies par les troupes de Bonaparte lors de la campagne d’Italie, comme Le Mariage de la Vierge du Pérugin.

En 1809, le musée est inauguré par Napoléon Ier. Le conservateur de l’époque Henri Elouis met à profit ces festivités pour solliciter l’envoi de nouvelles œuvres. Deux ans plus tard, sa requête est exaucée, notamment à la faveur des nombreuses saisies opérées en Allemagne. Après la chute de l’Empire, les Alliés s’empressent donc de réclamer leur dû. Personnage atypique, qui a notamment enseigné le dessin à la belle-fille de Washington aux États-Unis, Elouis se révèle un conservateur téméraire usant de subterfuges pour éviter les restitutions. Sa ruse la plus osée est d’avoir dissimulé un grand tableau de Rubens en le recouvrant d’une nappe et en l’utilisant comme table de négociation autour de laquelle il reçut les émissaires.

Grâce à Elouis, le musée limite le nombre de restitutions. Dans les années qui suivent, il continue par ailleurs de s’enrichir grâce aux envois du Salon ainsi qu’à la générosité de personnalités locales dont l’éditeur Bernard Mancel. En 1872, il lègue en effet à la Ville un fonds exceptionnel composé, entre autres, de 50 000 gravures, d’objets d’art, de manuscrits mais aussi d’importants tableaux. Ces trésors proviennent pour l’essentiel des ventes mythiques de la collection du cardinal Fesch où le Caennais avait raflé la mise en ayant le nez creux et en tablant sur des pièces pas encore consacrées par le marché, comme les primitifs.

Dans la tourmente de la guerre

Grâce aux envois réguliers et à de nombreux bienfaiteurs, le musée abrite au début du XXe siècle l’une des plus belles collections de France. Il bénéficie même de travaux dans les années 1930 ; nul n’imagine alors qu’il va subir une terrible tragédie. Alors que la guerre gronde, on décide d’évacuer les œuvres au prieuré Saint-Gabriel et à l’abbaye de Mondaye. En 1942, elles sont envoyées au château du Baillou dans le Loir-et-Cher, dans des conditions dantesques. Une partie des œuvres, stockée dans un wagon-tombereau, est littéralement livrée aux intempéries. Ainsi, quand le train arrive en gare et que l’on ouvre les portes du wagon, l’eau sort à flots et certaines œuvres sont endommagées.

Leur sort est cependant plus enviable que celui des œuvres restées à Caen car, dans la nuit du 7 au 8 juillet 1944, l’hôtel de ville est bombardé. Plus de la moitié des œuvres n’ont pas été évacuées et périssent dans les flammes et l’effondrement du bâtiment. Parmi les victimes figurent les tableaux relégués en réserve, notamment la peinture académique du XIXe siècle, mais aussi la majorité des sculptures et des grands formats comme Lavement de pieds de Restout.

Le goût du conservateur a aussi joué dans cette sélection. Son peu d’intérêt pour les écoles régionales et les œuvres liées à l’histoire locale a été fatal à bien des pièces, y compris au Baptême du Christ de Le Brun. En revanche, sa passion pour les vaches a sauvé tous les tableaux représentant son animal totem. Dans une ville détruite aux trois quarts, le rapatriement des œuvres rescapées n’est pas la priorité. En 1946, elles rentrent à Caen mais restent en caisse jusqu’en 1970, date de l’ouverture du nouveau musée. Grâce aux dommages de guerre, et à l’œil avisé de la conservatrice Françoise Debaisieux, le musée s’enrichit d’œuvres majeures de Pourbus, Courbet, Giordano, La Hyre… Son action décisive, poursuivie par ses successeurs, a permis d’atténuer le drame et de reconstituer une collection de premier plan.

Le livre de référence sur le musée
Fruit de dix ans de recherche, ce copieux ouvrage se dévore comme une enquête. Car cette fresque, couvrant un siècle et demi, narre à la fois le destin du musée, la trajectoire de ses conservateurs, y compris la personnalité haute en couleur de certains, tout en analysant les jeux de pouvoir à l’œuvre dans la constitution d’une collection. Érudit et extrêmement documenté, ce récit est aussi très incarné grâce au goût de son auteur pour les anecdotes. Sa description du banquet donné en l’honneur de Marie-Thérèse de France en 1827, dans un musée transfiguré pour l’occasion, n’est ainsi pas sans rappeler la mode actuelle de privatisation des hauts lieux culturels. L’autre atout est le recours aux illustrations contemporaines, signées Sarah Fouquet, qui renforcent le caractère vivant du livre.
Isabelle Manca
C. Marcheteau de Quinçay et S. Fouquet,
Jadis… Le Musée des beaux-arts de Caen, 1791-1944. Des œuvres et des hommes,
Musée des beaux-arts de Caen/Illustria, 256 p., 26 €.
Rogier Van der Weyden
Emblématique de l’évolution de la peinture de dévotion à la fin du Moyen Âge, ce magnifique panneau du talentueux primitif flamand a appartenu à plusieurs prestigieuses collections. Propriété du cardinal Fesch, La Vierge à l’Enfant a ensuite été acquise par Bernard Mancel, éditeur et libraire caennais qui concéda un legs exceptionnel à la Ville en 1872. Outre la pépite de Van der Weyden, cette libéralité comprenait 50 000 estampes, des manuscrits, ainsi qu’un tableau exécuté par l’inclassable Ferrarais Cosmè Tura.
Pierre-Paul Rubens
Abraham et Melchisédech de Rubens possède un pédigree prestigieux et une légende dorée. Trésor de la galerie de Cassel, cette superbe toile fut confisquée par Vivant Denon pour le Musée Napoléon, puis attribuée à Caen. Après la chute de l’Empire, l’œuvre fut ardemment réclamée par les Allemands. On raconte que lors de la venue des émissaires pour la récupérer, le conservateur aurait juré ignorer où elle se trouvait, alors qu’il l’avait tout simplement dissimulée sous une nappe afin de servir de table de négociation.
Le Pérugin
Joconde caennaise, Le Mariage de la Vierge ouvre magistralement le parcours de visite. Ce chef-d’œuvre de la Renaissance italienne fait partie de l’envoi fondateur de l’État en 1804. Comme de nombreux phares de l’établissement, l’œuvre provient du butin des troupes révolutionnaires. Lors de la campagne d’Italie, le tableau d’autel a en effet été retiré de la cathédrale San Lorenzo de Pérouse où il était exposé depuis sa commande au XVe siècle, à côté de la relique du saint anneau de la Vierge.
Camille Corot
Il ne subsiste hélas pratiquement rien de la collection initiale de peintures et de sculptures du XIXe siècle, massivement détruite lors du bombardement de 1944. Les œuvres majeures du XIXe que le musée conserve aujourd’hui ont essentiellement intégré l’établissement en 1975. Dans l’optique d’un redéploiement des collections nationales, le musée a alors échangé son fonds de primitifs italiens, issus de la collection Campana, contre des œuvres du XIXe siècle, signées entre autres Géricault et Corot (Les Chevriers de Castel Gandolfo).

 

« Hélène Delprat », jusqu’au 26 août. « Murs », du 5 mai au 18 septembre (Commissaire : Emmanuelle Delapierre). « Vera Molnar. Une ligne… »,
du 26 mai au 2 septembre. Musée des beaux-arts, le Château, Caen (14). De 9 h 30 à 12 h 30 et de 14 h à 18 h en semaine, de 11 h à 18 h le week-end. Tarifs :2,50, 3,50 et 5,50 €. mba.caen.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°711 du 1 avril 2018, avec le titre suivant : Le Musée des beaux-arts de Caen

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