Royaume-Uni - Musée

Le directeur du Victoria & Albert Museum ne cache pas ses ambitions 

Tristram Hunt, directeur du V&A : « Se transformer en une institution multisites sans être uniforme »

Par Tristan de Bourbon, correspondant à Londres · Le Journal des Arts

Le 11 décembre 2018 - 1186 mots

LONDRES / ROYAUME-UNI

Le musée de design londonien est engagé dans un vaste programme de développement : une antenne en Écosse, un musée de l’enfance dans l’Est de Londres et un nouveau musée dans l’ancien site des Jeux olympiques.

Tristram Hunt
Tristram Hunt
© Photo Victoria and Albert Museum

Le Victoria and Albert Museum (V&A) est une institution dans le monde de l’art britannique. Fondé en 1852 et baptisé ainsi en hommage à la reine Victoria et son mari le prince Albert, c’est aujourd’hui l’un des musées d’art et de design les plus actifs et les plus réputés au monde. Nommé l’an dernier à sa tête, Tristram Hunt, un historien qui fut député du parti travailliste (gauche) à la Chambre des communes ne manque pas d’ambitions pour le musée.

Pourquoi un historien devenu homme politique a-t-il été choisi pour diriger un musée comme le V&A ?

Il vaut mieux poser cette question aux trustees [administrateurs] (rires). En fait, ma passion pour cette institution et mon travail sur l’histoire culturelle et urbaine ont joué un rôle certain. J’étais un historien de l’époque victorienne intéressé par le visage public de l’histoire, par la question de l’interaction de l’histoire avec la culture publique, l’identité et la nation. Si je connaissais le V&A pour y être beaucoup venu enfant, puis en tant qu’historien, je suis réellement entré en relation avec le musée lorsque je suis devenu le représentant au Parlement de la circonscription de Stoke-On-Trent. La ville est réputée pour avoir été l’un des principaux foyers de fabrication de poterie du pays et ce contact avec le V&A, qui possède l’une des plus belles collections de poteries au monde, a été assez naturel. Comme vous le voyez, j’ai d’ailleurs accroché au mur des poteries, majoritairement de Stoke-On-Trent.

Quelle stratégie avez-vous présenté au comité de sélection ?

Mon message visait la nécessité de revenir à nos principes fondateurs. Au cours de ces dix dernières années, nous sommes parvenus à augmenter fortement l’accès populaire et démocratique à cette grande institution culturelle. Grâce aux expositions telles que David Bowie, Alexander McQueen « Savage Beauty », Pink Floyd et maintenant Frida Kahlo, le V&A est plus reconnu et son image mieux comprise. De mon côté, j’étais surtout passionné par le fait que le musée a été créé pour promouvoir les principes du design de qualité et pour enseigner le design. Aujourd’hui, l’enseignement du design et de la créativité connaît une crise. Le V&A a donc ce rôle à assumer : travailler de nouveau avec les écoles, avec les institutions éducatives à l’ère de la quatrième révolution industrielle et des changements numériques, à un moment où cela devient plus nécessaire que jamais. Si un professeur de design en Angleterre réfléchit à son programme et à un endroit où emmener ses élèves, le V&A doit naturellement être sa référence.

Vous avez annoncé au cours de ces trois derniers mois l’expansion du V&A et la rénovation de certains de ses espaces. Quels sont vos objectifs ?

Le défi du moment est de nous transformer en une institution répartie sur de multiples sites sans que l’ensemble ne devienne uniforme. Contrairement au Guggenheim, nous n’avons en effet pas de modèle de franchise. Nous avons une relation singulière avec le nouveau musée V&A Dundee : malgré son nom, nous ne possédons que 20 % du Dundee Design Limited, la société propriétaire. Nous avons donc un rôle de soutien, mais son directeur répond au conseil d’administration, pas à moi. C’est donc plus un partenariat ; ce qui est important pour que le musée soit géré depuis Dundee par des gens de Dundee. La ville a en effet connu de véritables difficultés économiques, avec notamment la perte il y a quelques semaines de 800 emplois à l’usine Michelin. Elle a du coup besoin de la régénération qu’une institution culturelle comme le V&A peut apporter, notamment à travers le soutien aux écoles. Ensuite, nous voulons que le musée de l’enfance, situé dans l’est de Londres dans le quartier de Bethnal Green, demeure concentré sur l’enfance tout en le rapprochant de notre ligne pour permettre l’enseignement du design et de l’ingéniosité. Enfin, Stratford, notre nouveau musée londonien, fait partie du développement du quartier culturel du Stratford Waterfront, dans l’ancien site olympique. Nous y collaborerons avec les Américains du Smithsonian. À quelques minutes à pied se trouvera le nouvel espace d’accueil de notre collection. Il cassera la séparation traditionnelle entre le musée et l’espace de stockage, puisque une partie des objets y seront visibles.

Comment le V&A est-il financé ?

Nous avons dû augmenter les revenus des ventes de nos magasins, des licences, des revenus de nos expositions et des adhésions de nos membres. Depuis 2010, les subventions directes du ministère, que nous recevons en partie en échange de l’entrée gratuite dans nos musées, ont en effet fortement diminué (de 15 %, de £44,7 millions à £37,8 millions, soit de €50 millions à €42 millions, ndlr). Elles représentent aujourd’hui 41 % du budget du musée contre 65 % en 2010.

Que pensez-vous justement de la gratuité des musées, mise en place en 2001 ?

Économiquement, elle a du sens au V&A : la hausse des visiteurs, de 1 million à la fin des années 1990 à 4 millions aujourd’hui a favorisé celle de nos ventes dans nos magasins et nos restaurants, ainsi que les entrées à nos expositions temporaires. Mais nous serons sûrement sous pression après le Brexit [en raison d’une probable baisse à venir du budget de l’état, ndlr]. Nous avons néanmoins besoin de plus d’argent. Lorsque l’on compare les montants qui nous sont attribués par rapport à ceux des institutions culturelles françaises et allemandes, le risque d’être à la traîne est réel. Je suis donc très favorable à la mise en place d’une taxe hôtelière, puisque quatre touristes sur cinq se rendent gratuitement dans les musées londoniens.

La question du retour des œuvres d’art d’anciennes colonies exposées dans les musées français et britanniques notamment est d’actualité. Vous-même êtes particulièrement concerné. Comment la gérez-vous ?

Nous sommes un musée né pendant l’époque coloniale et le nier serait un non sens. Une de mes premières actions ici a donc été d’organiser une petite mais importante exposition appelée « Maqdala 1868 » sur les 150 ans d’une expédition coloniale qui a abouti à l’arrivée d’un nombre important d’objets éthiopiens dans les musées britanniques. Je voulais être très ouvert et transparent sur l’origine de ces pièces, sur la manière dont elles sont arrivées dans le musée afin de raconter l’histoire coloniale. Je suis donc très favorable aux échanges, aux prêts de longue durée et aux partenariats et nous sommes en contacts les autorités éthiopiennes à ce propos. En même temps, je crois fortement dans la fonction des musées à être cosmopolites et à raconter l’histoire des échanges, des interactions et des adaptations. Il faut donc faire attention au discours sur la pureté nationale des collections et ne pas oublier la valeur de l’histoire culturelle mondiale, surtout à cette époque de montée du nationalisme et du populisme. Nous attendons d’ailleurs de savoir comment nos collègues français répondront à cette question des restitutions, qui peuvent être possibles dans certains cas. Même si la possibilité de céder un objet de la collection des musées britanniques est désormais bloquée par nos règlements.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°512 du 30 novembre 2018, avec le titre suivant : Tristram Hunt, directeur du V&A : « Se transformer en une institution multisites sans être uniforme »

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