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Toussaint

Le casse-tête du patrimoine funéraire

Parmi les nombreuses tombes d’intérêt patrimonial, beaucoup sont en mauvais état. Certaines relèvent de la protection des services du patrimoine, mais le statut privé de la plupart d’entre elles complique leur entretien

Par Margot Boutges · Le Journal des Arts

Le 15 octobre 2013 - 1355 mots

PARIS

Après avoir été longtemps délaissé, le patrimoine funéraire bénéficie depuis une vingtaine d’années d’un regain d’attention de la part des pouvoirs publics. Alors que les cimetières historiques jouissent de protections juridiques, l’entretien des tombes et éléments funéraires, parfois classés monuments historiques, relève dans la majorité des cas des héritiers.

PARIS, AMIENS - Bustes de grands hommes, gisants de bronze, pleureuses de pierre…, les allées du Père-Lachaise, à Paris, ou du cimetière de la Madeleine, à Amiens, dessinent les couloirs d’un musée à ciel ouvert en proie aux attaques du temps. Ici une stèle s’est écroulée, là la mousse est venue recouvrir une épitaphe.
Tourmentée par deux guerres mondiales, la France du XXe siècle s’est peu souciée de l’entretien de ses cimetières. Marquée par une volonté patrimoniale, la fin du XXe siècle voit un regain d’intérêt pour la sauvegarde de ces lieux de mémoire qui accueillent toujours inhumations et crémations.
Les cimetières historiques, créés pour la plupart d’entre eux au début du XIXe siècle, après que les sites d’inhumations eurent été rejetés en périphérie des villes à la fin du XVIIIe siècle, ont progressivement bénéficié de diverses protections juridiques pour préserver leur caractère patrimonial et paysager. Les travaux, de toute nature qu’ils soient, sont ainsi soumis à la validation de l’architecte des Bâtiments de France (ABF).
Plusieurs cimetières ont été classés au titre des sites protégés ou intégrés dans des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), tandis que de nombreux éléments funéraires et tombes – et par extension leurs abords dans un périmètre de 500 mètres – ont été protégés au titre des monuments historiques. Douze classements au Père-Lachaise, cinq à la Madeleine – dont la tombe de Jules Verne – et une pléthore d’inscriptions, notamment tous les monuments du Père-Lachaise antérieurs à 1900, ont été effectués.

Une législation complexe
« Entretenir ce patrimoine funéraire est difficile », soupire Guénola Groud, qui dirige la cellule de conservation patrimoniale créée en 2007 par le service des cimetières de la Ville de Paris.
« Après inventaire des 634 000 tombes des vingt cimetières (quatorze cimetières intra muros et six extra muros) appartenant à la Ville, on estime que près de 80 000 monuments funéraires sont d’intérêt patrimonial, par leur architecture, leur décor, leurs inscriptions ou la qualité de la personne inhumée, explique-t-elle. Mais la plupart des tombes n’appartiennent pas à la Ville, qui n’a pas le droit d’intervenir dessus. » Bien qu’occupant un espace public, les tombes appartiennent en effet majoritairement à des particuliers. Cédées par la Mairie à des concessionnaires pour une durée de quinze, trente, cinquante ans ou à perpétuité en tant qu’immeubles par destination, elles sont transmises en indivision aux descendants du défunt.

Alors que le soin d’entretenir arbres et allées revient à la Ville, l’entretien d’un monument funéraire relève des seuls ayants droit. La loi funéraire n’autorisant pas le maire à réglementer l’esthétique des cimetières, il est ainsi courant que, au fil des décennies ou des siècles, les concessions perpétuelles (qui composent à 90 % les tombes du Père-Lachaise ou de la Madeleine) s’effondrent.
Depuis 1924, les communes ont la possibilité d’effectuer des reprises de concessions vieilles de plus de trente ans et abandonnées. Une manière de préserver le site de la ruine et de libérer des places dans des cimetières saturés et très prisés. La procédure est longue : après avoir constaté des signes d’abandon (délabrement, absence de fleurs…), les ayants droit sont invités – par le biais d’affichages ou de courriers expédiés à des adresses parfois vieilles de plus d’un siècle et demi – à se faire connaître pour remettre la tombe en état.
Si ces derniers ne se manifestent pas sous trois ans, les restes du corps peuvent être placés à l’ossuaire et la tombe devient possession de la Ville par arrêté du Maire. Le monument peut alors être démoli et remplacé. Si le monument est d’intérêt patrimonial (c’est le cas de 60 % de ceux du Père-Lachaise), il peut être revendu pour le prix d’un terrain nu à de nouveaux concessionnaires après que ces derniers se sont engagés à restaurer la tombe à leurs frais.

Le 28 septembre, au Père-Lachaise, le photographe d’art funéraire André Chabot présentait ainsi au public son futur lieu d’inhumation : une chapelle de 1850 abandonnée et restaurée à l’identique avec adjonction – en dépit des réticences de l’ABF – d’une sculpture d’appareil photo monumentale. De plus en plus de chapelles en ruine bénéficient d’une restauration après reprise et sont transformées en columbarium destiné à accueillir plusieurs urnes de nouveaux défunts. « Une manière de mutualiser les coûts, la restauration d’une chapelle pouvant aller jusqu’à 40 000 euros », selon Pascal-Hervé Daniel, directeur du service des cimetières de la Ville de Paris.
Nombreuses sont ces chapelles néogothiques ou néoclassiques, pièces les plus courantes de l’art funéraire du XIXe siècle, à tomber en ruine. La faute à des carreaux de pierre grossièrement assemblés par agrafes dont le métal oxydé fait éclater la pierre.

Un environnement à risque
À la fragilité de certains matériaux s’ajoutent plusieurs facteurs d’altération. Souvent situées dans un cadre boisé, les tombes se mêlent à une végétation qui, bien que conférant au lieu tout son charme, fragilise considérablement les monuments : racines déstabilisant les fondations, humidité engendrant la prolifération de micro-organismes destructeurs (lichen, bactéries, algues)… Le minéral et le végétal sont cependant appelés à cohabiter, et l’ABF doit veiller à la préservation de ces deux paramètres en cas de protection au titre des sites.
Les cimetières ont aussi à souffrir de l’action humaine. « Un des premiers fléaux est le mauvais entretien des tombes par les particuliers ou par les sociétés peu compétentes qu’ils ont mandatées », explique Guénola Groud. En effet, l’utilisation d’eau à forte pression et de détergent non neutre (comme la Javel) détruit le calcin, protecteur de la pierre, et entraînent la formation de chlorure de sodium, lequel, se cristallisant, cause une dégradation irrémédiable du matériau. « Nous avons édité des brochures pour expliquer aux gens les bonnes pratiques », ajoute-t-elle, préconisant l’usage d’eau pure et d’une brosse douce. Si vandalisme et vols de métaux sont monnaie courante, ils sont, tempère la directrice de la cellule patrimoine qui a réalisé nombre de missions d’inventaire de la statuaire publique au sein de la conservation des œuvres d’art religieuses et civiles, moins fréquents que dans le reste des espaces publics. Raymonde Gillmann, présidente de l’association des Amis de la Madeleine, déplore quant à elle les dommages provoqués par les véhicules d’entretien «surdimensionnés » qui éraflent les tombes.

Les Amis au chevet des défunts
Pour sauver les sépultures les plus endommagées de la destruction et protéger les passants, la cellule patrimoine de la Ville de Paris coordonne des interventions à caractère préventif et structurel sur les tombes qui lui appartiennent. Remontage de tombe, consolidation, dépose d’éléments dangereux et réfections de couvertures constituent leurs actions prioritaires. La cellule puise dans son budget de fonctionnement (49 000 euros en 2013) pour effectuer tous les travaux sur les tombes inscrites qui nécessitent l’intervention de restaurateurs confirmés. Pour les restaurations à effectuer sur des tombes non protégées au titre des monuments historiques, la Ville de Paris bénéficie de l’action des Appels d’Orphée, association de bénévoles rassemblant des restaurateurs en formation, et de la Fondation du patrimoine, avec laquelle elle a signé une convention et qui est habilitée à ouvrir des souscriptions.

Depuis 1989, à Amiens, l’association des Amis de la Madeleine – qui organise des visites guidées et propose à la vente ses publications – a financé le sauvetage d’une cinquantaine de sépultures. La restauration de la tombe de Jules Verne, qui a débuté le 27 septembre, constitue le premier gros chantier financé par la Ville d’Amiens, à hauteur de 12 000 euros, auxquels s’ajoute une subvention de la direction régionale des Affaires culturelles de Picardie pour un montant de 6 000 euros. Ces travaux ont nécessité la signature d’une convention exceptionnelle de la municipalité avec le descendant de l’écrivain. À la Ville désormais d’assurer l’entretien de ce monument très prisé des visiteurs. Il s’agit là d’un remarquable partage d’autorité entre Ville et ayant droit pour assurer la protection d’un patrimoine funéraire très fragile.

Légende photo

Le cimetière du Père-Lachaise, Paris. © Photo : M. Boutges.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°399 du 18 octobre 2013, avec le titre suivant : Le casse-tête du patrimoine funéraire

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