Espagne

L’autre Catalogne, en dehors des sentiers battus de Barcelone

Par Pierre Morio · L'ŒIL

Le 23 février 2012 - 1279 mots

Loin des plages surpeuplées de la Costa Brava, le sud de la Catalogne offre un autre visage, tourné vers la tradition et le patrimoine. Voyage dans le temps à moins d’une heure de route de Barcelone...

A l’évocation du nom « Catalogne », les images de plages, de farniente et de fêtes s’animent, tant il est vrai que cette région si proche de la France semble se résumer à Barcelone et à la Costa Brava, cette longue bande côtière bétonnée sous Franco pour absorber un tourisme de masse tourné vers les loisirs balnéaires. C’est cependant faire abstraction de tout ce que cette région recèle de joyaux artistiques. Pour découvrir un autre visage, plus patrimonial, de la Catalogne, il faut mettre le cap au sud, ne pas hésiter à quitter la grande ville et ses tentations nocturnes, ne pas céder aux sirènes des eaux bleues de la Méditerranée. Et se laisser ainsi embarquer pour un voyage spatio-temporel, en se perdant dans les rues médiévales de Tarragone pour tomber sur les vestiges de l’amphithéâtre romain, avec la mer comme décor.

Visite de la Catalogne antique et médiévale
Ancien royaume médiéval puissant dont les héritiers ont su conserver les traditions et la langue, marquant ainsi une volonté d’indépendance farouche vis-à-vis des pouvoirs centraux, la communauté autonome de Catalogne est riche d’un passé qui remonte à l’Antiquité. Les Romains y créèrent des cités et des ports puissants, à l’instar de Tàrraco, l’actuelle Tarragone. Les vestiges bien conservés de l’époque donnent à voir encore aujourd’hui un bel amphithéâtre, dont la vue sur la baie est imprenable. La cité était aussi équipée d’un cirque, signe de son importance au sein de l’Empire : Rome accordait comme une faveur le droit de construire cet édifice, et peu de villes pouvaient se targuer d’être en mesure d’organiser leurs propres courses de chars.

Le forum, où se déployaient les temples et les institutions impériales, a été recouvert par la cité médiévale réemployant, tout en les consolidant, les fortifications existantes. Le Castell del Rei (château du roi), habité par les rois normands lors de leur brève domination de la ville durant le XIIe siècle, est une construction basée sur l’une des tours romaines.

Le trésor de cette époque est sans conteste la cathédrale. Édifiée sur un promontoire auquel on accède par un escalier monumental, elle fut construite entre la seconde moitié du XIIe siècle et 1331, appréhendant ainsi la transition du roman au gothique. Le portail principal du XIVe siècle et sa rosace gothique viennent adoucir l’austérité des façades contiguës qui ont conservé les traces d’un art roman rustique. À proximité du monument se déploie tout un quartier de riches demeures gothiques. Le Pla de la Seu en est l’un des exemples les mieux préservés, avec la distribution des celliers, étables et pièces à vivre et de réception autour d’un grand patio central. Non loin de là se trouve l’ancien hôpital de Sainte-Thècle, fondé en 1171, dont seule la façade à arcades subsiste.

De la domination arabe, rien ne reste, à la différence de l’Andalousie. Pour effacer toute trace de cette période, la Catalogne s’est couverte d’églises et de monastères dès le IXe siècle, offrant un des corpus d’œuvres romanes les plus complets.

Un patrimoine traditionnel encore bien vivant
En quittant le littoral, pour partir dans les montagnes toutes proches, les ensembles médiévaux se succèdent. La cité de Montblanc fut fondée en 1163 par Alphonse Ier d’Aragon, premier roi de la Couronne catalane et aragonaise, autour d’un noyau urbain composé de l’église, du château et de la place du marché. Pendant le XIIIe siècle, la ville s’agrandit. Au XIVe siècle, elle prit une grande importance et devint la septième ville de Catalogne. Ses ruelles pavées, fort bien conservées, mènent aux différents monuments : l’église de San Miquel, le Palais royal et les couvents de San Francesc, de la Serra et de la Mercè.

Un peu plus loin, perdu dans les vignes de la Conca de Barberà, le monastère royal de Santa María de Poblet est l’un des plus beaux édifices cisterciens encore en activité. C’est aussi le lieu de sépulture des rois catalans. Fondé en 1150, il fait partie, avec les monastères de Santes Creus et de Vallbona, du triangle cistercien, instrument de politique de reconquête des terres maures et de consolidation du pouvoir royal. Majoritairement construit entre le XIIe et le XIVe siècle, il est entouré de fortifications lui conférant une allure de place forte.

Abandonné en 1835, lors de la confiscation des biens de l’Église espagnole, puis dévasté par le temps, le monastère a commencé à être restauré dans les années 1940, puis a retrouvé ses fonctions et abrite aujourd’hui une communauté monastique importante.

Le patrimoine catalan est aussi fort de traditions vivaces. Au printemps refleurit un spectacle époustouflant : les tours humaines, ou castells. L’origine de ces castells remonte à la fin du XVIIIe siècle, dans la ville de Valls, près de Tarragone. Les raisons de ces réalisations se sont perdues avec le temps. Mais le résultat reste spectaculaire. Il s’agit de véritables affrontements entre différents quartiers d’une même ville, qui se distinguent par la couleur de leurs costumes. Ces tours s’érigent entre mai et octobre et sont de réelles prouesses sportives. Elles sont aussi le symbole d’une appartenance forte à une communauté dont les Catalans sont très fiers. Pour cette raison, l’Unesco les a inscrites au patrimoine mondial immatériel en 2010.

Pour achever le tableau, il aurait fallu parler de la gastronomie locale, riche de mille saveurs. Mais là, c’est encore une autre histoire à conter…

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Le Macba
Construit en 1995 par l’architecte Richard Meier, au cœur du Raval, l’un des quartiers historiques de Barcelone, le Museu d’art contemporani de Barcelona (Macba) abrite une belle collection couvrant les grands mouvements européens et américains depuis l’après-guerre. Sa programmation d’expositions permet de mettre en contexte les artistes catalans et espagnols avec leurs homologues internationaux. À voir actuellement, une exposition sur les œuvres en 3D de la collection de la fondation « La Caixa », et une célébration des 200 ans de la Constitution espagnole par une jeune génération d’artistes.
www.macba.cat

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Le CaixaForum
C’est l’un des huit espaces d’exposition de La Caixa – banque catalane très présente dans le domaine de la philanthropie et de l’environnement – en Espagne. Le centre barcelonais, abrité dans un bâtiment construit par Puig i Cadafalch, l’un des trois architectes modernistes catalans, programme d’ambitieuses expositions, comme celle consacrée à Eugène Delacroix, qui a pris place dans les espaces depuis le 15 février et qui sera visible jusqu’au 20 mai 2012. Le forum possède aussi des salles de présentation permanente consacrées à l’architecture moderniste.
Paseo del Prado

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Le Musée national d’art de Catalogne
La colline de Montjuïc, poumon vert de Barcelone situé au sud de la ville, recèle tout un complexe muséal. Outre la Fondation Miró, le Musée national d’art de Catalogne est incontournable. Il abrite une magnifique collection de fresques romanes provenant des églises catalanes, dont la fraîcheur fait oublier qu’elles ont été peintes aux XIe et XIIe siècle. La section baroque est aussi immanquable, notamment pour le saint François d’Assise en méditation de Zurbarán.
www.mnac.cat

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Le CCCB
Lieu hybride situé dans la Casa de la Caritat (d’anciens ateliers du XIXe siècle réhabilités dans les années 1990 jouxtant le Macba), le Centre de cultura contemporània de Barcelona (CCCB) organise et produit des expositions sur les nouvelles technologies et développe un programme riche de débats, de lectures et de cours sur les médias et langages émergents. Le grand auditorium en sous-sol abrite régulièrement des festivals, comme le Sónar, monument incontournable de la culture électro et multimédia dont la 19e édition se déroulera du 14 au 16 juin 2012.
www.cccb.org

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Le Barcelone de Joan Miró

Né à Barcelone, Joan Miró (1893-1983) est resté très attaché à sa ville natale. Heureux de la grande rétrospective qui lui est consacrée en 1968, il décide de créer une fondation et fait appel à son ami l’architecte Josep LluÁ­s Sert. Ouverte au public en 1975, la Fondation Joan Miró possède un riche fonds de peintures, de sculptures et de tapisseries, enrichi par un considérable matériel documentaire (dessins, croquis, esquisses et notes laissés par l’artiste). Des œuvres de contemporains proches de Miró complètent la collection.

La Fondation Joan Miró organise aussi d’importantes expositions temporaires [lire L’œil n° 641]. Au-delà de cette institution très active, tout Barcelone vibre de la présence de l’enfant du pays. Un plan, disponible à la fondation, propose un Miró Tour permettant la découverte de vingt-trois lieux emblématiques, situés pour beaucoup dans l’historique quartier gothique, parmi lesquels la maison natale de l’artiste, l’atelier qu’il conserva jusqu’en 1955, l’Académie Gali et l’École des beaux-arts qu’il fréquenta dans sa jeunesse.

Un cocktail détonnant
Les piétons arpentant les Ramblas ne peuvent éviter de fouler aux pieds une mosaïque toute simple aux trois couleurs primaires. Non loin de là, on peut déguster au Boadas Cocktail Bar le cocktail Joan Miró (whisky, Dubonnet, Grand Marnier !) créé en présence de l’artiste pour ses 85 ans. Un quartier plus populaire accueille une sculpture tout en rondeurs, Femme et oiseau, s’élevant à 22 m au- dessus du parc Joan-Miró. Enfin, également imposante, une mosaïque murale de l’artiste attend le voyageur au terminal 2 de l’aéroport de Barcelone.
 

Colin Cyvoct

 

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°644 du 1 mars 2012, avec le titre suivant : L’autre Catalogne, en dehors des sentiers battus de Barcelone

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