La possibilité d’une île de l’art contemporain

Par Christian Simenc · L'ŒIL

Le 21 décembre 2011 - 647 mots

Dans une chapelle ou dans une citerne désaffectées, perdu dans la montagne ou dans les salles d’un musée d’art ancien, l’art contemporain s’approprie l’île de Beauté.

L'art contemporain en Corse est un peu à l’image de son maquis qui, calciné par les feux estivaux, renaît de ses cendres. Lors de l’incendie du bâtiment qui logeait les réserves du Frac Corse, à Corte, dans la nuit du 5 au 6 novembre 2001, deux tiers des cent cinquante-trois œuvres que comportait alors la collection ont été détruites. Certains artistes ont « reconstitué » une pièce disparue, d’autres ont pensé une nouvelle œuvre et les acquisitions se sont poursuivies. Si bien que la collection affiche aujourd’hui quatre cent cinq pièces à son compteur.

Des musées tentent, eux aussi, quelques incursions vers l’art contemporain. L’an passé, le Palais Fesch a ainsi serti dans sa grande exposition « Florence au Grand Siècle » une installation des artistes transalpins Giampaolo Bertozzi et Stefano Casoni faisant écho aux thèmes de la mort et des vanités dans la peinture italienne. Réflexion sur la mort est une œuvre ludique représentant un squelette avec sa faux, attablé à une terrasse de café et recherchant dans un annuaire ses prochaines victimes. Ledit musée réitère d’ailleurs, cette année, l’expérience avec une présentation intitulée « Un monde sans mesures » (jusqu’au 31 mars 2012), dans laquelle on retrouve des artistes comme Bruno Peinado, Philippe Ramette, Françoise Pétrovitch et Samuel Rousseau.

Si d’étonnants espaces telles les citernes d’édifices historiques peuvent à l’occasion devenir des lieux d’expérimentation – celle de la caserne Padoue, à Corte, dont le Frac use comme salle d’exposition, celle du musée de Bastia… –, l’art contemporain peut aussi se mettre au vert. Ainsi, au nord de l’île, en plein Cap Corse, l’église du couvent de Morsiglia est devenue, à la fin des années 1990, un passage obligé. « La nef de cette église désacralisée avait déjà servi de lieu d’exposition, mais j’ai été séduit par l’idée d’y accueillir l’art contemporain, raconte Yves Stella, maire DVG et figure historique du nationalisme corse. J’aime apprécier l’intelligence qui sourd d’une œuvre d’art contemporain. Cela peut aller du sublime au dérisoire… »

En 2009, l’Italien Claudio Parmiggiani y a installé une pièce spectaculaire, Naufrage avec spectateur, une ancienne barque de pêche sarde – 14,80 m de long sur 3,80 m de large – découpée en trois morceaux dans le sens de la longueur. Déambuler à l’intérieur des « entrailles » du navire procurait alors une sensation étrange. La Biennale, qui dure normalement le temps d’un été, s’est, pour Parmiggiani, prolongée deux ans durant, car s’est posée la question du devenir de l’œuvre : la garder en Corse ou la montrer ailleurs ? À l’heure où nous mettions sous presse, seul le Frac Paca avait lancé une idée : l’exposer dans la chapelle Sainte-Anne, à Arles, en 2013, en regard de la manifestation « Marseille, Capitale européenne de la culture ». La prochaine Biennale de Morsiglia, elle, devrait avoir lieu justement en 2013, avec cette fois comme artiste invité un Corse : Ange Leccia.

Dix ans avant Naufrage avec spectateur, Claudio Parmiggiani était déjà intervenu sur l’île de Beauté, en réalisant une œuvre quasi secrète et perdue dans la montagne. Fer, Mercure, Or consiste en deux blocs de bronze portant les empreintes en or de l’artiste, enchâssés à même la roche quelque part sur le Monte d’Oro, au cœur du parc naturel régional de Corse. Aucun sentier, aucune indication. Tout juste sait-on qu’elle se trouve à 1 h 45 de marche de la gare de Vizzavona, non loin de la bergerie de Pozzatelli. Altitude : 1 706 mètres. L’œuvre est d’une extrême poésie. Parmiggiani : « Il faut y aller, s’asseoir sur ce rocher face à la vallée, aux autres montagnes et infiniment se demander…, retrouver dans cette question la mélancolie, la peur, l’émotion de l’être désespéré aux limites de l’enchantement […]. »

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°642 du 1 janvier 2012, avec le titre suivant : La possibilité d’une île de l’art contemporain

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