À la pointe sèche

Bordeaux donne une vision stricte des années 1970

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 8 novembre 2002 - 766 mots

Plus large exposition jamais organisée par le capcMusée d’art contemporain de Bordeaux, « Les années 70 : l’art en cause » revient avec ambition sur une décennie fertile. À travers trois cents œuvres, regroupées sous les catégories « Corps », « Espace », « Surface », « Textuel » et « Matière », la manifestation en dresse un panorama muséal. Attentive aux œuvres et scientifiquement exigeante, l’exposition n’en livre pas moins une vision sèche de ces années.

BORDEAUX - Il y a des énergies qui perdurent dans la grande nef du capc : là, Relatum (1971), une série de trois toiles vierges qui subissent la pression de pierres posées par Lee U-Fan ; ici un Bac en attente (le révélateur) (1969-2001), de Sarkis, marqué de couleurs aux points cardinaux et, plus loin, Fonds VII/2 (1967-1984), les piles de cuivre et de feutre de Joseph Beuys. Autour, dans des alcôves qui suggèrent autant de petites chapelles, se trouvent d’autres œuvres, avant tout symboliques de leurs auteurs. Che fare ? (1969-1990) [Que faire ?] de Mario Merz, avec sa Simca 1000 traversée d’un néon et son igloo de verre, la Salle blanche (1975) de Marcel Broodthaers, The Back of Hollywood (1977) d’Ed Rusha, Ma vie pratique (1974) d’Annette Messager, la Vénus des chiffons (1967) de Michelangelo Pistoletto... Le point commun ? Une époque, les années 1970, décennie à laquelle se consacre la plus grande exposition jamais accueillie par le capcMusée d’art contemporain. En fait, ce sont les années entre 1968 et 1977 que Maurice Fréchuret, directeur du lieu et commissaire de l’exposition, a décidé de revisiter. S’il y a eu, à la base, un travail historique, nécessaire à pareille construction, c’est avant tout à partir des œuvres que s’est développé l’accrochage. “Il s’agit là d’une version formaliste, si l’on accepte que cette idée ne soit pas fermée, mais conduise à de nombreuses autres problématiques”, explique Maurice Fréchuret.

Au-delà des mouvements
Méfiant envers des groupes ou mouvements aux contours instables, le conservateur a donc délimité une série de catégories, suffisamment précises pour orienter une lecture, mais assez souples pour en ménager d’autres : “La matière”, “L’espace”, “Le corps”, “La surface”, et “Le textuel”. Dès lors, les rapprochements se construisent au-delà des limites habituelles. Dans la partie “Surface”, Daniel Dezeuze côtoie Imi Knoebel, Cildo Meireles, Jean-Pierre Pincemin, et tous s’accordent dans une remise en cause du statut de la peinture et du châssis. La radicalité physique et médiatique de Chris Burden voisine, elle, avec les séances thérapeutiques de Lygia Clark dans la section “Corps”. Enfin, Carl Andre côtoie les “troubles formes” de Gordon Matta-Clark et de Robert Smithson. D’ailleurs, c’est dans la catégorie “Espace” que se glissent quelques-unes des œuvres résurgentes aujourd’hui, à l’image de On the road to a New Neoplasticism (1971), chorégraphie photographique de Bas Jan Ader.

Dans cette grille, le choix des quelque trois cents œuvres ne saurait évidemment rester sans questions sur le pourquoi des absents (Judd), et surtout des trop présents (Supports/Surfaces). Il n’en répond pas moins à une vision stricte et argumentée, mais aussi française, qui rend du même coup hommage aux collections hexagonales en puisant quasi exclusivement dans des fonds publics.
Cela acquis, reste pourtant un curieux sentiment de manque. “Des années 1970, je n’ai retenu que les artistes émergents à cette époque”, justifie Maurice Fréchuret, interrogé à propos des coupes faites sur toute la mouvance pop encore présente alors. “Les années 1970 furent celles des remises en cause fondamentales, des doutes profonds mais aussi celles des affirmations péremptoires et des mots d’ordre définitifs, elles conservent les marques puissantes de l’insoumission et du refus. La contestation aimable et fleurie dans laquelle la génération précédente trouva en partie son identité se transforma à ce moment en critiques plus radicales”, écrit-il en préambule dans le catalogue. À ce titre, “Les années 70 : l’art en cause” est aisément qualifiable d’anti-Années pop. Privilégiant une vision muséale stricte à tout essai de mise en relation dans un contexte plus vaste, l’exposition rompt avec l’imaginaire rouge, psychédélique et disco qui colle à l’époque pour en livrer une vision scientifiquement juste mais indéniablement sèche et cérébrale.

Non sans humour, c’est justement ce refoulé qui suinte dans la salle offerte au jeune artiste Stéphane Magnin. En réponse aux “années 1970”, ce dernier y a déployé un “lounge” futuriste où se télescopent culture populaire, architecture, design et musique. Mais ça, c’est une autre histoire.

LES ANNÉES 70 : L’ART EN CAUSE

CapcMusée d’art contemporain, Entrepôt, 7 rue Ferrère, Bordeaux, tous les jours sauf lundi 11h-18h, le mercredi 11h-20h, tél. 05 56 00 81 50, www.mairie-bordeaux.fr. Catalogue, éd. RMN, 416 p., 40 euros.

Des années théoriques en débat

On l’aura compris, les années 1970 ont indéniablement été une décennie théorique et une époque qui a vu naître de nombreuses revues. Une vitrine vient le rappeler dans le cadre de l’exposition, mais c’est bien plus par le biais du colloque organisé par le capc que cet environnement intellectuel devrait être mis à l’honneur. Exceptionnelles par ses participants et ses enjeux, ces rencontres se dérouleront les 5, 6 et 7 décembre autour de trois chapitres : “Les années 1970 vues des années 1960�?, “Les années 1970 vues des années 1980�? et une journée attendue sur “Les années 1970 vues hors du monde occidental�?. Parmi les intervenants sont annoncés Achille Bonito Oliva, Catherine David, Hal Foster, Salah Hassan ou encore Jean-Marc Poinsot.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°158 du 8 novembre 2002, avec le titre suivant : À la pointe sèche

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