Musée

La Monnaie de Paris tourne la page du centre d’art

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 15 novembre 2019 - 882 mots

PARIS

Le fabricant de pièces de monnaie et de médailles met fin à sa programmation en art contemporain sur une note haute.

Camille Morineau
Camille Morineau
© Christophe Beauregard / Monnaie de Paris

Le réalisme a eu raison du programme d’expositions d’art contemporain de la Monnaie de Paris. Un an après son arrivée à la direction générale de l’établissement public, Marc Schwartz a annoncé à son conseil d’administration le 16 octobre dernier la fin des expositions d’art contemporain présentées dans le magnifique bâtiment XVIIIe du quai Conti, en plein cœur de Paris.

Officiellement, « il n’est pas question d’arrêter la programmation culturelle », le Musée du 11 Conti (bien mal nommé), l’autre pilier de cette programmation, est maintenu.  De même, « la relation séculaire à la création artistique, un des éléments de l’identité de la Monnaie, se poursuivra d’une manière ou d’une autre », argumente Marc Schwartz qui évoque vaguement des résidences d’artistes.  

Des expositions davantage fréquentées
Première victime de ce changement de politique, Camille Morineau, la directrice des programmes culturels (musée et expositions) ; elle n’a pas souhaité rester malgré les sollicitations du président « qui tient à saluer la qualité de son travail ». Il peut. Le bilan de Chiara Parisi, la précédente directrice, est plus mitigé. Si  la « Chocolate Factory » de Paul McCarthy (89 000 visiteurs) en 2014 et « Maurizio Cattelan » (74 000) en 2016 ont été de véritables succès, les autres expositions n’ont pas rencontré leur public, notamment, en 2016, « Jannis Kounellis » (7 000 visiteurs) et « Bertrand Lavier »  (4 500). 

Arrivée en 2016, la cofondatrice d’Aware a su donner un nouveau souffle à la programmation. Les expositions (« Women House », « Subodh Gupta », « Grayson Perry »…) ont reçu chacune en moyenne 46 000 visiteurs, à l’exception de celle consacrée à Thomas Schütte (20 000 visiteurs). La monographie sur Kiki Smith pourrait bien dépasser la barre des 50 000 visiteurs au vu des premiers chiffres. À cette fréquentation s’ajoute une couverture presse importante, évaluée à 14 millions d’euros s’il s’était agi de publicité prise dans les médias.

Puisque l’on parle d’argent, combien coûte la programmation une fois déduites les recettes de la billetterie ? Entre 500 000 euros et 1 million d’euros annuels selon que l’on prend ou non en compte le mécénat (181 000 € sur les deux dernières années), les recettes de privatisation, la revente de l’exposition, à l’exemple de « Women House » au National Museum of Women in the Arts de Washington (70 000 €). Rapportée au chiffre d’affaires de l’établissement public (autour de 130 M€), cette somme n’est pas démesurée. Le problème est que la Monnaie de Paris n’est pas un centre d’art mais une entreprise (« la plus vieille entreprise d’Europe »), qui fabrique et vend des pièces de monnaies courantes en France et dans le monde, et des pièces de collections. Ses clients sont les banques centrales des pays étrangers et des particuliers qui investissent dans des pièces en or. Ce sont eux qui paient les salaires des ouvriers de Pessac (Gironde). La synergie avec l’art contemporain est faible. Les clients de la Monnaie achètent de la confiance, du patrimoine, du luxe, pas une image de créativité parfois débridée.  

D’autant que Paris ne manque pas de lieux dévolus à l’art contemporain. Et l’ouverture prochaine de la Pinault Collection à la Bourse de commerce risque, avec ses moyens considérables, de détourner les visiteurs. Signalons au passage que l’exposition « Tinguely », sur laquelle travaillait Camille Morineau pour la Monnaie lorsque la décision est tombée, a été annulée et est disponible.

La restauration des bâtiments, la rénovation du musée et la relance des expositions, impulsées par Christophe Beaux, ont réinstallé la Monnaie dans le paysage culturel parisien ; ce n’est pas rien, mais cela sert à convaincre les grandes marques de privatiser les lieux, plus que cela n’incite les particuliers à acheter les monnaies de collection.

Sans l’avouer, c’est sans doute ce que Marc Schwartz a dans la tête : louer les 1 000 mètres carrés des espaces d’exposition et la cour pour transformer les coûts en recettes. La Monnaie de Paris dépend de Bercy, et le président vient de la Cour des comptes, sa mission est claire : redresser la situation économique de l’entreprise et assurer sa pérennité. Il évoque une exposition de bande dessinée courant 2020. Ce sera parfait pour la promotion de sa collection de médailles sur les 60 ans d’Astérix.

La Monnaie ne renonce pas à « faire rêver »

Modèle d’affaires. Si l’art contemporain est aujourd’hui démonétisé aux yeux de l’établissement public, la Monnaie ne veut pas abandonner la carte de la culture et du luxe pour vendre ses produits. L’image de Paris, avec ses monuments et ses marques de mode et de maroquinerie, est un argument de vente pour convaincre les pays étrangers de lui confier la frappe de leurs pièces de monnaie courantes. Une activité qui est repartie à la hausse en 2018 et 2019. Tout comme la vente des monnaies de collections, qui elles aussi puisent dans la culture pour attirer les collectionneurs. La médaille Léonard de Vinci, proposée à 89 000 euros pièce (!), a fait un carton avec onze ventes. La réédition des médailles sur Notre-Dame de Paris, dont le produit de la vente a été versé en partie à la restauration de la cathédrale, a de même bien marché. Les ventes sur Internet de médailles ont encore mieux progressé (+ 12 %). Dès lors, Marc Schwartz envisage un résultat d’exploitation 2019 de 1,6 million d’euros. Une situation qui reste cependant fragile. « Il faudrait 4 millions d’euros », précise le président. 

Cet article a été publié le 14 novembre 2019.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°533 du 15 novembre 2019, avec le titre suivant : La Monnaie de Paris tourne la page du centre d’art

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