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Kunsthaus de Zürich, Miriam Cahn peut-elle racheter ses œuvres ?

ZÜRICH / SUISSE

La demande de l’artiste, en réaction à la mise en contexte lacunaire de la collection Bührle, rencontre plusieurs obstacles.

Miriam Cahn. © Anne Gabriel-Jürgens
Miriam Cahn.
© Anne Gabriel-Jürgens

Zürich (Suisse). Le 22 décembre 2021, l’artiste suisse Miriam Cahn a fait connaître par une lettre ouverte sa décision de retirer l’intégralité de ses œuvres du Kunsthaus de Zürich : « Moi, artiste, je ne veux plus être représentée au Kunsthaus de Zürich et souhaite par conséquent retirer toutes mes œuvres du musée. Je les rachèterai à leur prix de vente originel. » Soit un ennui imprévu supplémentaire pour le Kunsthaus de Zürich déjà secoué depuis l’ouverture de son extension par de nombreuses critiques sur la présentation incomplète et les recherches de provenance lacunaires de la sulfureuse collection d’art impressionniste d’Emil Bührle. Comme l’artiste âgée de 72 ans l’explicita quelques jours plus tard dans un entretien à Tachles, magazine suisse de la communauté juive : « Les responsables [du musée] ne comprennent toujours pas de quoi il est question. Il s’agit avant tout de leur attitude de base concernant les questions en suspens. […] Je me devais maintenant de faire quelque chose en tant qu’artiste juive. » Cette annonce a été rendue publique quelques jours après une conférence de presse conjointement organisée par le musée zurichois et la Fondation Bührle qui n’a pas réussi à convaincre ni à donner des gages de transparence.

Durant les décennies 1980 et 1990, le Kunsthaus avait acquis un ensemble important d’œuvres de Miriam Cahn alors que sa cote était déjà haute sur le marché. En septembre 2021, la peintre d’origine bâloise a été hissée à la première place du 28e classement des artistes suisses du magazine économique suisse Bilanz. Contacté, Björn Quellenberg, chargé de la communication du musée de Zürich, précise que, « au total, 40 de ses œuvres sont conservées dans la collection du Kunsthaus, 39 œuvres sur papier et une vidéo : 27 œuvres appartiennent à la Zürcher Kunstgesellschaft [l’association de soutien du Kunsthaus]. La Vereinigung Zürcher Kunstfreunde [l’association zurichoise des amis de l’art] possède, elle, 13 œuvres qui sont prêtées au Kunsthaus. »

Un achat semé d’embûches

En l’état, une telle vente, qui représenterait un cas unique dans l’histoire contemporaine des musées, est-elle possible ? La juriste Anne Laure Bandle, directrice de la Fondation pour le droit de l’art à l’Université de Genève, rappelle qu’« une vente résulte d’un accord entre deux parties. L’artiste ne peut donc pas “forcer” le musée à vendre ses œuvres ; le musée doit y consentir. D’une manière générale, un musée doit respecter ses engagements contractuels, son règlement interne ainsi que d’éventuelles règles déontologiques (notamment le Code de déontologie de l’Icom [Conseil international des musées]) s’il souhaite se séparer d’une œuvre. Il n’est donc pas entièrement libre d’en disposer comme il le souhaite. »

Qu’en est-il cependant pour le droit moral, dont l’artiste pourrait se prévaloir relativement à son œuvre« ? « Le droit à l’intégrité de l’œuvre permet à l’auteur de s’opposer à toute altération de son œuvre qui porterait atteinte à sa personnalité, reconnaît Anne Laure Bandle. Une telle violation peut être directe ou indirecte. Une violation indirecte concerne, entre autres, le cas où une œuvre est utilisée dans un contexte inapproprié sans altérer la substance de l’œuvre. »

Acte de portée politique

De juridique, la question de la restitution glisserait en la matière sur le terrain politique : Miriam Cahn confiait d’ailleurs à Tachles que, « au fond, il est question de la performance qui découle de cette demande, en essayant par tous les moyens de racheter mes œuvres ». Par cet acte de portée politique, l’artiste souhaite donner de la voix aux critiques qui s’adressent tant à la direction du musée qu’à la maire de Zürich qui s’est retranchée jusqu’à présent dans le silence ; et infléchir la gouvernance du musée vers une mise en contexte critique de la collection Bührle. Pour Miriam Cahn, « Mme Mauch [la maire de Zürich] doit maintenant exiger une transparence absolue et ce contrat de prêt [NDLR, qui lie le Kunsthaus à la Fondation Bührle] est vraiment terrible. Comment gérer un tel musée ? La future directrice du Kunsthaus, Ann Demeester, va devoir travailler et nettoyer un véritable champ de décombres. » Interrogée par le quotidien Tages-Anzeigerà ce sujet le 13 janvier, l’actuelle directrice du Musée Frans-Hals de Haarlem (Pays-Bas), qui va prendre progressivement les commandes du musée zurichois au cours de 2022, se garde de tout commentaire, mais nul ne doute qu’une tâche ardue l’attend.

(1) lire les JdA no 578, 26 nov. 2021 et no 576, 29 oct. 2021.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°581 du 21 janvier 2022, avec le titre suivant : Kunsthaus de Zürich, Miriam Cahn peut-elle racheter ses œuvres ?

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