Une fois par mois, nous invitons un conservateur à choisir une œuvre de son musée qu’il souhaite mettre en avant et faire mieux connaître du public

Jean-Marc Olivesi

Conservateur du Musée Fesch, Ajaccio

Le Journal des Arts

Le 19 avril 2002 - 723 mots

Jean-Marc Olivesi, conservateur du Musée Fesch, à Ajaccio, présente L’Apothéose de saint Pierre de Giovanni Battista Gaulli.

Les quarante-deux primitifs italiens du Musée Fesch constituent un fonds exceptionnel de la collection d’Ajaccio : un Boticelli, deux Lorenzo di Credi, un Cosimo Rosselli, deux Jacopo del Sellajo, un Cosmè Tura, un Giovanni Bellini, un Bernardo Daddi, un Liberale da Verona... Mais dans le même temps, cette liste impressionnante a occulté un aspect peu connu des collections léguées par le cardinal Fesch à sa ville natale : les collections baroques romaines et napolitaines. Les artistes sont, là encore, de premier plan : pour Rome, citons un autoportrait de Pierre de Cortone, offert par le maître à son ami Cassiano dal Pozzo, un Ciro Ferri, quatre Baciccio, un Pozzo, un Bernin, deux Gimignani ! Pour Naples : deux Luca Giordano, un Solimena, une salle entière consacrée à Corrado Giaquinto, des Recco, Ruoppolo, Belvedere, Spadaro ainsi que trois Sebastiano Conca et deux Sellito. Évidemment, nous ne citons là que les noms les plus illustres et les tableaux (presque) définitivement attribués. Mais, sur cette prestigieuse collection, plane toujours la mémoire des tableaux perdus, ceux vendus dans les années qui suivirent la mort (1839) du cardinal Fesch et à sa demande, et ceux qui le furent par son héritier Joseph Bonaparte. Un Léonard de Vinci : le Saint Jérôme du Vatican, un Raphaël et un Mantegna (Londres), un Giotto et un Rembrandt (Berlin). En tout près de 15 000 tableaux furent dispersés, que l’on retrouve aujourd’hui sur les cimaises des plus grands musées du monde.

L’une des quatre œuvres de Giovanni Battista Gaulli conservées au Musée Fesch, L’Apothéose de saint Pierre, est présentée par les spécialistes de cette période, Graf, Ferrari ou Fagiolo, comme l’un des plus beaux témoignages de l’art du décorateur de la voûte du Gesù de Rome. Car c’est dans cette église que Gaulli, dit Il Baciccio (Gênes, 1639 – Rome, 1709), entreprit l’un des plus célèbres trompe-l’œil du Baroque romain : le Triomphe du nom de Jésus. L’Apothéose de saint Pierre est un bozzetto, c’est-à-dire une esquisse peinte sur toile pour un décor de plus grand format qui peut être une fresque. Plus abouti, le modello est une maquette avant exécution, mais ne fait pas montre de la même fraîcheur, de la même immédiateté apparente que le bozzetto. En plus d’une Apothéose de saint François-Xavier (collection particulière, Karlsruhe), on connaît deux autres bozzetti très proches de celui d’Ajaccio. Le premier est une Apothéose de saint Ignace, préparatoire au décor du transept gauche du Gesù (Rome, Galerie nationale du palais Barberini). Le second, L’Apothéose de saint Joseph (Ariccia, palais Chigi, collection Fagiolo), était destiné à un décor qui ne fut jamais réalisé : celui de la chapelle Capocaccia à Santa Maria della Vittoria, à Rome, en face de l’Extase de sainte Thérèse du Bernin. L’œuvre du Baciccio aurait d’autant mieux supporté la comparaison avec l’œuvre du Bernin que le maître du Baroque avait pris Baciccio sous son égide et l’avait recommandé à divers commanditaires. Les analogies entre leurs productions respectives sont évidentes, et notre Apothéose de saint Pierre évoque très précisément celle de saint André, sculptée par le Bernin, qui surmonte le maître-autel de l’église Saint-André-au-Quirinal à Rome. Tout comme les anges qui portent le saint dans les cieux évoquent ceux du Bernin pour le pont Saint-Ange. L’œuvre est un exemple de l’utilisation des cangianti par Baciccio : le cangiantismo consiste en des glissements chromatiques d’une couleur vers une autre sur un même support, par exemple les draperies où les pourpres tournent au vert. La figure de saint Pierre est destinée à être vue sotto in sù, elle devait surmonter une fenêtre que l’artiste a représentée sur sa toile. En dépit de cet indice, on ne sait pas précisément à quel édifice ce décor était destiné. Après avoir évoqué le Gesù, les chercheurs s’orientent maintenant vers la basilique Saint-Pierre-de-Rome et pensent plus précisément à un projet du Baciccio pour le baptistère, conçu peu de temps avant sa mort (1709). Quoi qu’il en soit, cette Apothéose de saint Pierre nous apparaît à la fois comme un sommet de l’art de Baciccio coloriste, et comme un manifeste de la culture baroque romaine.

Cette œuvre sera présentée dans l’exposition "Les cieux en gloire, paradis en trompe-l’œil pour la Rome baroque", au Musée Fesch, du 17 mai au 30 septembre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°147 du 19 avril 2002, avec le titre suivant : Jean-Marc Olivesi

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