Chine - Musée

À HongKong, le M+ ouvre dans un contexte tendu

Par Michel Temman, correspondant au Japon · Le Journal des Arts

Le 26 novembre 2021 - 685 mots

HONG KONG

Le plus grand musée hongkongais qui vient d’ouvrir est en liberté surveillée depuis la reprise en main du territoire par la Chine.

Le musée M+ à Hong Kong. © Herzog & de Meuron
Le musée M+ à Hong Kong.
© Herzog & de Meuron

Hongkong. Les habitants de Hongkong et les professionnels du secteur en Chine ne l’attendaient plus. Son chantier avait été interrompu, laissant place à un trou béant de 25 mètres. Mais la volonté d’aboutir aura été plus forte. Le musée M+, dont l’ouverture avait été annoncée pour 2017, puis 2019, a été enfin inauguré, le 11 novembre, après de multiples crises au sein de l’équipe de direction. En outre, la facture est très salée. Des députés hongkongais questionnent son coût – faramineux –, estimé à près de 675 millions d’euros.

En forme de T inversé, le musée, dont l’énorme structure surgit au milieu de Victoria Harbor, a été dessiné par les architectes suisses Herzog et de Meuron – auteurs du « nid d’oiseau » de Pékin – et cumule les excès : 65 000 mètres carrés (deux fois la taille de la Tate de Londres), 18 étages, 33 salles exposition et 50 000 œuvres d’art de 777 artistes issus de 35 pays.

D’après ses directeurs, le M+, fort d’une collection complète de 8 000 pièces d’art contemporain chinois, est maintenant la « première institution d’art visuel d’Asie » et un musée « de rang mondial »– l’objectif étant aussi de faire de Hongkong, un « hub culturel ». Mais à peine ouvert, le musée fait face à une énième controverse portant cette fois sur son autonomie. Pour certains observateurs, artistes et commissaires, évoquant un « risque de censure », les ambitions du M+ se retrouvent « en contradiction » avec la nouvelle loi sur la sécurité nationale votée l’été dernier par le gouvernement chinois pour mettre fin aux protestations à Hongkong.

Ainsi, des pièces de la collection étaient jugées subversives avant même l’inauguration du M+ – comme New Beijing de Wang Xingwei (2001) inspirée d’une photo prise durant la répression du mouvement étudiant de la place Tiananmen en 1989. En mars dernier, la députée Eunice Yung, membre du conseil législatif de Hongkong, a reproché à ces œuvres d’attiser « la haine contre la Chine » et a visé la photo Study in Perspective: Tiananmen Square de l’artiste Ai Weiwei montrant un doigt d’honneur fait à la place Tiananmen. La photo a été supprimée des archives en ligne du M+ – mais pas deux autres œuvres d’Ai Weiwei.

Une certaine histoire de la Chine

« L’ouverture du M+ ne signifie pas que l’expression artistique soit au-dessus des lois », a martelé, le 11 novembre, Henry Tang, président du complexe West Kowloon Cultural District – où a été élevé le musée –, supervisant le M+. En réponse, le collectionneur suisse Uli Sigg, qui a cédé 47 œuvres au M+ pour 22,7 millions de dollars, a répondu, entre les lignes, que « l’art contemporain ne projette pas forcément l’image de la Chine que la Chine officielle veut voir projetée ». Le sujet n’a toutefois pas troublé les 76 000 visiteurs qui avaient réservé leur ticket et ont couru découvrir les 1 500 pièces de l’exposition d’ouverture, parmi lesquelles l’immaculé White Chess Set (1966) conçu par Yoko Ono ou un drolatique bar à sushi importé de Tokyo. Des œuvres interrogent aussi l’extrême densité de l’habitat hongkongais,

« Il est clair que le M+ et Hongkong devront apprendre à gérer ensemble l’évolution de la situation localement et j’espère qu’il y aura toujours pour cela un espace de dialogue », confie Aric Chen, directeur général de l’Institut Het Nieuwe de Rotterdam, qui fut, dès 2012, membre de l’équipe fondatrice du M+ et l’un de ses premiers conservateurs, en charge du design et de l’architecture. « La controverse actuelle est en même temps quelque peu exagérée. Le M+ a été conçu avec une vision narrative très précise – et non pour mettre en lumière tel ou tel artiste : raconter les histoires d’une culture visuelle perçue d’après une perspective asiatique qui ne soit plus seulement celle de la culture occidentale qui a dominé au XXe siècle. Aucune institution culturelle en Asie n’a été à ce jour capable de raconter ce qui se passait sur ce continent. Le M+ peut mener à un dialogue plus riche, plus intéressant à l’échelle globale. » Quitte à susciter le débat !

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°578 du 26 novembre 2021, avec le titre suivant : À HongKong, le M+ ouvre dans un contexte tendu

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