Archéologie - Histoire de l'art

Et la France sauva Ramsès II

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 13 avril 2023 - 1965 mots

PARIS

Pour l’exposition « Ramsès et l’or des pharaons », à la Villette, les autorités égyptiennes ont exceptionnellement accordé le prêt du cercueil en cèdre sculpté du pharaon Ramsès II. Ceci en souvenir du sauvetage de la momie par la France, en 1976.

Christian de Tassigny et le doyen Lionel Balout devant la momie de Ramsès II au Musée de l'Homme à Paris en 1977. © DR.
Christian de Tassigny du CEA de Saclay et le préhistorien Lionel Balout devant la momie de Ramsès II au Musée de l'Homme à Paris en 1977.
© D.R.

Pour les Égyptiens, il représente ce que fut pour nous Louis XIV : un Roi-Soleil. Ramsès II, étroitement associé au dieu soleil Amon-Rê, gouverna l’Égypte durant soixante-sept ans. Son règne fut le plus long et le plus glorieux de l’histoire pharaonique. Ce pharaon conquérant ne se contenta pas d’apporter paix et prospérité à son empire, dont il étendit et sécurisa les frontières, il mena aussi une campagne de construction sans précédent. C’est sous son règne que furent édifiés le pylône du temple de Louxor, une partie des temples de Karnak, un temple à Abydos et celui d’Abou-Simbel, en Nubie. Au fil des siècles, il est devenu l’archétype du pharaon, auquel on donnait le nom générique de « Ramsès ». « Au siècle des Lumières, on a même cru que Ramsès II avait envahi la Chine et qu’il lui avait enseigné l’écriture », rappelle l’égyptologue Dominique Farout, commissaire pour la France de l’exposition « Ramsès et l’or des pharaons », présentée à la Grande Halle de la Villette. Cette exposition, en tournée mondiale de San Francisco à Sidney, présentée par la société américaine World Heritage Exhibitions, spécialisée dans la production, la promotion et la conception d’expositions internationales, devrait attirer les foules. Mais son étape parisienne a un privilège : elle est la seule à accueillir le cercueil de Ramsès, vu la dernière fois en France en 1976, au Grand Palais.

Une momie déplacée au cours des siècles

La raison de ce prêt exceptionnel ? « Si l’Égypte prête aujourd’hui à la France ce précieux cercueil, c’est en souvenir du sauvetage de la momie de Ramsès », indique Dominique Farout. Car la momie est une miraculée, qui a échappé plusieurs fois à la destruction. Si les pharaons du Nouvel Empire espéraient trouver le repos éternel dans les syringes de la Vallée des rois où ils étaient enterrés, des pillards violèrent leurs sépultures dès l’Antiquité. Le tombeau de Ramsès II, mort vers 1213 av. J.-C., n’échappa guère à leur convoitise, comme l’indique le cercueil du pharaon. Réalisé en cèdre peint, il figure le roi comme un Osiris, bras croisés sur la poitrine, momiforme, dans un linceul, tenant les deux sceptres royaux, le crochet héqa et le fouet nekhakha. Il porte la coiffe némès ornée d’un cobra dressé et une barbe postiche tressée sous son menton. « Par son style et sa forme, on constate cependant que ce cercueil remonte à vingt ou trente ans avant Ramsès II. De plus, il est écrit dessus que la momie de Ramsès y a été déposée vers 1090 avant notre ère. En effet, le cercueil porte sur lui des inscriptions retraçant ses déplacements successifs », observe Dominique Farout. En 1090 avant notre ère, donc, la momie de Ramsès II fut déplacée pour être mise à l’abri dans la tombe de son père Séthi Ier, puis elle fut déposée par les prêtres d’Amon dans une nouvelle tombe, celle de la reine Inhapy, sous la XXIe dynastie, et, enfin, vers 970 avant notre ère, dans une cachette au sein de la falaise de Deir el-Bahari. C’est là qu’elle fut découverte en 1881, en compagnie d’autres momies royales, par le Service des antiquités de l’Égypte. Voici alors Ramsès revenu à la lumière et plus menacé que jamais ! Bientôt, sa momie et les autres momies royales découvertes sont convoyées en grande procession jusqu’au Caire par le Nil. « Toute la population égyptienne, qui savait qu’on ramenait ses anciens rois, les acclamait le long du Nil, pendant tout le trajet ! », raconte Dominique Farout. Dans la capitale, en 1886, Ramsès sera démailloté en public par Gaston Maspero, directeur général des Antiquités de l’Égypte, et ses collaborateurs, pour confirmer son identité inscrite dans les bandelettes, avant de rejoindre, en 1902, le nouveau musée de la place Tahrir. Elle y sera exposée avec les autres momies royales dans une vitrine, sous une verrière.

Les honneurs d’un chef d’État

Désormais, la chaleur et l’humidité du Nil menacent la dépouille qui avait été préservée pendant des siècles. Pierre Loti, au début du XXe siècle, s’émeut déjà du triste sort des momies royales du musée : « Les orgueilleux pharaons sont là piteusement rangés […]. Et de vulgaires étiquettes de papier disent seules leurs noms écrasants : Sethos Ier, Ramsès II, Sethos II, Ramsès III, etc. […] Mais c’est ici qu’elles vont achever bientôt leur retour à la poussière, différé comme par miracle pendant tant de siècles ; aujourd’hui, dépouillées de leurs bandelettes, elles ne dureront plus, et il faudrait se hâter de graver ces physionomies de trois ou quatre mille ans qui vont s’évanouir », écrit-il. De fait, quelques décennies plus tard, en 1974, une odeur putride se dégage de la momie de Ramsès et des auréoles colorées apparaissent. Or, cette année-là, un Français, le Dr Maurice Bucaille, entreprend des investigations sur plusieurs momies, dont celle de Ramsès II, dégarnie de ses bandelettes depuis presque un siècle. Son rapport, alarmant, est transmis au président égyptien. Ramsès retournera-t-il bientôt à la poussière comme le redoutait Pierre Loti ?

En France, Christiane Desroches Noblecourt, une égyptologue de renom, qui prépare justement une grande exposition consacrée à Ramsès II après le succès de celle qu’elle avait montée sur Toutankhamon en 1967, s’en émeut. C’est elle qui avait engagé le général de Gaulle dans son combat pour sauver de l’engloutissement les temples d’Abou-Simbel, en Haute-Égypte, au moment de la construction du nouveau barrage d’Assouan par le président Nasser. « À présent, qui pourrait l’intimider ? Tirée à quatre épingles dans un tailleur Chanel, elle entre à l’Élysée d’un pas énergique, bien décidée à persuader le président de l’impérieuse nécessité de sauver l’un des plus illustres pharaons d’Égypte », raconte Claudine Le Tourneur d’Ison dans sa trépidante biographie de l’égyptologue, Christiane Desroches Noblecourt, la reine de l'Égyptologie  (éditions Tallandier). Valéry Giscard d’Estaing se rapproche d’Anouar el- Sadate. Les deux présidents trouvent un accord : Ramsès II se rendra en France pour raisons médicales, à la condition qu’il soit accueilli avec les honneurs d’un chef d’État.

C’est ainsi qu’à son arrivée à l’aéroport du Bourget, le 26 septembre 1976, la Garde républicaine attend Ramsès II, qui repose dans la cuve de son cercueil, lui-même calé dans une boîte en Plexiglas spécial. Le tout a été protégé pour le voyage par une caisse en bois. On déroule le tapis rouge ; l’hymne égyptien accueille le convoi. « C’est une des choses les plus étranges que j’aie jamais eue à faire… », confie le chef de musique dans la biographie de Christiane Desroches Noblecourt. Avant d’arriver au Musée de l’homme, où le défunt pharaon sera hospitalisé, son cortège fait un crochet par la place de la Concorde : Ramsès peut ainsi faire le tour de l’obélisque qu’il avait fait édifier face au temple de Louxor.

Un laboratoire français au chevet de Ramsès II

La momie est installée au Musée de l’homme, au sein d’un laboratoire aménagé pour elle, où elle restera neuf mois, placée sur un plateau en Plexiglas et un brancard, manipulée le moins possible et toujours avec le plus grand soin. « La première étape, avant le traitement, fut une étude des éléments qui étaient en train de dégrader la momie, menée par de nombreux laboratoires, afin de trouver le traitement le plus adéquat. On a ainsi identifié une soixantaine d’espèces de champignons qui attaquaient la momie », explique Amy Benadiba, conservatrice du patrimoine en charge de la direction culturelle et scientifique à l’ARC-Nucleart, le laboratoire qui prendra finalement en charge la dépouille de Ramsès pour éradiquer les moisissures par une exposition aux rayons gamma. En attendant les résultats de la mise en culture des échantillons prélevés, les scientifiques étudient la momie de Ramsès, confirmant que ses bandelettes sont bien de lin, déterminant les essences florales utilisées dans l’embaumement, découvrant grâce à des radiographies que des graines avaient été insérées dans le nez du pharaon défunt, ou encore que ses cheveux, qui avaient certes blanchi puisque Ramsès II est mort à plus de 90 ans, avaient été roux et possiblement teintés avec du henné !

Au terme de ces études et d’une restauration menée pour rendre à la momie son aspect originel, un traitement par exposition aux rayons gamma est choisi pour soigner Ramsès. Celui-ci sera mené par l’atelier de recherche et de conservation Nucléart, implanté à Grenoble depuis 1967. « Il s’agit d’un programme développé par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) qui permet de traiter des éléments du patrimoine en matériaux organiques, que ce soit du bois, du textile, du cuir ou du parchemin, grâce à l’irradiation gamma, par ailleurs utilisée pour stériliser du matériel dans l’industrie », explique Amy Benadiba. Ramsès, trop fragile pour faire le déplacement jusqu’au laboratoire grenoblois, est escorté par la police jusqu’au centre CEA de Saclay, où l’attend l’équipe de Nucléart pour le placer dans un irradiateur qui détruira les moisissures, sans causer de dommage à la momie.

Un grand drap funéraire en taffetas d’or

Le 10 mai 1977, l’irradiation accomplie avec succès, Ramsès II peut décoller du Bourget pour repartir sur ses terres, avec les mêmes honneurs qu’à son arrivée, avec ministres et Garde républicaine. « Sur la caisse prête à être embarquée, Christiane Desroches Noblecourt dépose un grand drap funéraire en velours lapis-lazuli, doublé d’un lourd taffetas jaune d’or qu’elle a fait faire par les artisans du Louvre. À la tête et aux pieds, les tapissiers ont brodé en fil d’or les deux plantes héraldiques de l’Égypte, le papyrus et le lotus », lit-on dans Christiane Desroches Noblecourt, la reine de l'Égyptologie. L’égyptologue aura la surprise de retrouver quelques années plus tard ce magnifique drap utilisé comme couverture par un gardien des réserves du Caire, qui dormait paisiblement ! Quant à nous, si nous ne reverrons pas Ramsès II guéri à Paris – les momies royales sont interdites de sortie du territoire –, nous aurons l’honneur d’accueillir le couvercle de son cercueil mais… sans la Garde républicaine !

L’exposition "Ramsès et l’or des pharaons" 

Après l’exposition « Toutankhamon » en 2019, c’est au tour du grand Ramsès II de s’inviter à la Grande Halle de la Villette. Autour de l’œuvre-phare de l’événement (le couvercle du cercueil de la momie de Ramsès), 180 artefacts, des bijoux en or et en argent massif, des statues, des amulettes ou encore des masques, donnent vie au pharaon. Dans la mesure où la tombe de ce dernier, contrairement à celle de Toutankhamon, a été pillée dès l’Antiquité, les pièces présentées témoignent surtout des caractéristiques de son règne, de l’Égypte ramesside, ainsi que de ses relations avec l’empire concurrent, celui des Hittites, mais aussi de ses ancêtres (son grand-père Ramsès Ier et son père Séthi Ier) et de sa postérité (ses enfants). Le visiteur peut admirer, entre autres chefs-d’œuvre, un colosse en calcaire de Ramsès II, troisième pharaon de la XIXe dynastie, le masque d’or du général Oundebaounded, au service de Psousennès Ier, sous la XXIe dynastie, ou le magnifique cercueil du roi Chéchonq II de la XXIIe dynastie, où le pharaon est assimilé au dieu faucon.

Marie Zawisza

 

« Ramsès et l’or des pharaons »,

du 7 avril au 6 septembre 2023. Grande Halle de la Villette, 211, avenue Jean-Jaurès, Paris-19e. Tarifs : 24 et 20 €. Commissaire : Dominique Farout. Tous les jours de 10 h à 19 h. www.expo-ramses.com

1305 av. J.-C.
Naissance de Ramsès, fils de Séthi et de Touy
1292 av. J.-C.
Ramsès Ier, son grand-père, inaugure la XIXe dynastie en montant sur le trône
1290 av. J.-C.
Séthi Ier monte sur le trône et prépare son fils à sa succession
1279 av. J.-C.
Montée sur le trône de Ramsès II
1255 av. J.-C.
Mort probable de Néfertari, son épouse
1246 av. J.-C.
Ramsès II épouse la princesse hittite Maâthornéférourê
1213 av. J.-C.
Mort de Ramsès II
Ramses II - Le rayonnement de la résurrection

Film 16 mm réalisé par Gérard Langlois pour le CEA lors de la venue de la momie de Ramsès II à Paris en 1976-1977. Documentaire exceptionnel sur son traitement au rayonnement gamma.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°763 du 1 avril 2023, avec le titre suivant : Et la France sauva Ramsès II

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