Belgique - Musée

Entretien avec Jan Hoet

Jan Hoet parle de son parcours et de son nouveau musée, le SMAK, inauguré avec un match de boxe

Par Michel Draguet · Le Journal des Arts

Le 14 mai 1999 - 1215 mots

Provocateur incontesté, conservateur souvent discuté, Jan Hoet vient d’inaugurer à Gand – avec un match de boxe – le Stedelijk Museum voor Actuele Kunst (SMAK), doté de la plus importante collection d’art depuis 1945 en Belgique. Le nom résonne comme un baiser provocant : Jan Hoet a en effet délaissé le « Hedendaagse Kunst » (art contemporain) pour un « Actuele Kunst » qui témoigne d’une profession de foi. Dans cet entretien, il explique comment « l’histoire du SMAK a été marquée par la résistance » et pourquoi le musée doit « devenir un territoire où l’on fasse rentrer le monde ».

Le changement d’appellation se veut un acte de provocation. Pourquoi  ?
L’ancien nom était dépassé. Plus personne en Flandre ou aux Pays-Bas n’utilise encore ce terme un peu snob d’“hedendaagse”. Alors l’idée d’actualité s’est imposée à mes yeux comme un signe de provocation, car l’art actuel est celui qui répond aux problèmes d’aujourd’hui, à la montée de l’extrême-droite qui ne s’explique que par une peur de la fragilité et par un rejet de ce qui, à première vue, apparaît comme une menace, mais sans lequel la société ne s’enrichirait plus. Introduire l’adjectif “actuel” dans le nom d’une institution garantit à mes yeux l’évolution future de ce musée,qui devra nécessairement  bouger, évoluer et se transformer pour coller à ce qui sera son actualité.
Dans le cas présent, l’histoire du SMAK a été marquée par la résistance. Gand est une grande métropole bourgeoise avec une vie intellectuelle stable. L’irruption d’un musée consacré à ce qui se passe dans le chaos de l’actualité a d’abord été perçue comme un risque. Le monde politique a un moment voulu étouffer le projet, et c’est pour cette raison que je me suis lancé en politique. Maintenant, j’ai mon musée, et l’aventure politique est terminée car ce n’est pas là que se situe mon implication. Je ne suis entré dans la mêlée que pour réaliser un projet pour lequel une équipe s’était engagée.
Cette idée de combat est métaphorique. Elle explique sans doute le parti pris qui accompagne l’inauguration du SMAK, avec un réel match de boxe qui opposera un conservateur à un artiste. Je relèverai ainsi, sur le ring, le défi lancé par Dennis Bellone, un jeune artiste américain au fait des techniques de communication. Mais cette rencontre n’est possible que parce que le match qui a opposé le conservateur au monde politique a trouvé une issue positive : l’institution est là.

Le SMAK dispose d’importantes collections qui vont de l’immédiat après-guerre à l’art actuel. Jan Hoet va-t-il ainsi pouvoir “jouer” au conservateur dans la pure tradition née de Broodthaers ?
Un nouvel édifice est toujours une menace. Je ne veux ni consécration ni consolidation. Ne pas toucher aux choses est dangereux. Tout en conservant le patrimoine qui y est rassemblé, j’entends donner une vie au musée sans penser fréquentation, institution, image. Au contraire, ici, expositions temporaires et salles de musée doivent se fondre pour donner naissance à une muséologie mobile qui, partant d’une date fixe, doit remonter jusqu’à aujourd’hui en restant conscient que le regard porté sur ce passé immédiat n’échappe pas à l’actualité. Autrement dit, tout doit en permanence changer, car la vision des années 50, 60, 70 ou 80 évolue constamment.

Et donc Jan Hoet achète des artistes des années 40, 50 ou 60. Et même de la peinture, ce qui aux yeux de certains apparaît comme un virage surprenant.
Mais il n’y a pas de changement. Je n’ai pas changé. Je suis né avec la génération de l’après-guerre. J’ai grandi ici avant de m’intéresser au monde. C’est à travers des peintres comme Jan Burssens que j’ai découvert Jackson Pollock, et non l’inverse. Le musée est un parcours, et  je l’organise à partir de mon expérience, de ce qu’a été ma vie, même si j’ai été un des premiers en Belgique à acheter des artistes de ma génération, parce qu’un Broodthaers et un Panamarenko parlaient de choses qui faisaient ma vie avec des mots qui étaient ceux de mon âge. Avec le musée, ma mémoire est en cause, c’est elle qui a articulé les choix et les mises en place, avec des rencontres, des contrastes, des chocs. Mais sans demi-mesure. Après moi, le prochain conservateur devra “actualiser” sa conception du SMAK en se fondant sur sa mémoire et sur son expérience. Comme moi, il pourra mettre en dépôt au Musée des beaux-arts qui se trouve de l’autre côté de la rue ce qui lui semblera appartenir à une histoire dégagée de sa propre expérience. C’est ce que j’ai fait avec l’art de l’entre-deux-guerres.
Je n’ai jamais été hostile à la peinture. Pour moi, entendre parler d’art, c’est d’abord voir la peinture. Je n’y suis hostile que lorsqu’elle est académique, c’est-à-dire lorsqu’elle ne s’interroge pas sur ce que cela signifie de peindre aujourd’hui. Le peintre doit affronter les limites de la peinture. Il n’a pas d’alternative.

La vision que vous esquissez du conservateur tient de l’artiste contemporain. Vous imaginez des installations en prenant l’art comme matériau d’une création muséologique. Quelle signification donnez-vous à votre fonction ?
Je suis fils de collectionneur. Tous les musées sont liés aux collectionneurs. Or, le collectionneur fabrique une image qui révèle directement sa personnalité. C’est un “art de faire de l’art” au sens où l’entendait Duchamp. Et le musée est né de là, pas de la bureaucratie ni de ses compromis. Je développe donc ma vision de l’art actuel. Mieux, ma vision actuelle de l’art actuel, car tout bouge et la réflexion doit suivre ce mouvement. Pour moi, l’essentiel tient dans l’ironie. Il y a là une tradition que je poursuis. Déjà avec les primitifs, la peinture résistait à la logique usuelle. J’ai une lecture flamande de Magritte, marquée par l’obscurité et l’ironie, par un désir de subversion qui, parfois, va beaucoup plus loin que chez Duchamp. L’institution doit être comme un tableau de Magritte. Présent, visible, et en même temps en lutte contre la logique qui le fonde et qu’il fonde. Ce besoin de forcer la légitimité est important, et j’espère que le SMAK jouera un rôle moteur en Europe en développant une approche multiculturelle qui déborde les limites de l’ancien monde de l’art. Il faut que le musée devienne un territoire où l’on fasse rentrer le monde. Moi, je suis un sparing partner. Je ne veux pas tuer l’artiste en organisant une rétrospective. Je veux au contraire l’enrichir d’un dialogue qui m’enrichisse moi-même. Je l’échauffe. Il trouve un répondant et la création naît du va-et-vient. La complicité doit être le maître mot.

Un ancien casino

Le Stedelijk Museum voor Actuele Kunst (Musée municipal pour l’art actuel) a ouvert ses portes le 8 mai. Installé dans l’ancien casino transformé par l’architecte Koen Van Nieuwenhuyse, il comprend 6 855 m2 d’accès public pour un budget de transformation de plus de 300 millions de francs belges. Jusqu’au 5 décembre, le musée présentera l’essentiel des collections rassemblées depuis 1975 : des œuvres d’Appel, Jorn, Alechinsky, Bacon, Fontana, Hockney, Warhol, Dine, Arman, César, André, Flavin, Judd, LeWitt, Gilbert & George, Richter, Merz, Long, Pistoletto, Broodthaers, Panamarenko, Delvoye, Fabre... - SMAK, Parc de la Citadelle, 9000 Gand, tél. 32 9 221 17 03 ou museum.smak@gent.be, tlj sauf le lundi 10h-18h, chaque premier mercredi du mois 10h-21h. Entrée : 300 FB (7,44 euros)/TR 100 FB (2,48 euros).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°83 du 14 mai 1999, avec le titre suivant : Entretien avec Jan Hoet

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